17 octobre 2005
souvenirs d'écriture 5
Souvenirs : Les instruments de l’écriture uuu.
Ma plume est une aile et sans cesse, soutenu par elle et par son ombre projetée sur le papier, chaque mot se précipite vers la catastrophe ou vers l’apothéose. Je viens de parler du phénomène magique de l’écriture en tant que manifestation organique et optique du merveilleux.
Robert Desnos, Liberté .
C’est l’envol, c’est l’appel, celui de l’écriture à la page assoiffée ! Gestes réguliers, gestes d’âme appliquée. L’attention prime ! Une aile c’est une main qui caresse l’air du ciel.
Apophyse styloïde, trapèze, trapèzoïde, carpe.
La lumière propose son jeu. Une lampe adéquate autant qu’idoine, si possible latérale permet de savourer le chemin de l’ombre de la mainL’écriture insiste pour voir son reflet, ou peu s’en faut : noir ou gris mouvant une silhouette aux mouvements régis par la chair et les os qu’elle duplique. Il n’y a qu’une seule lutte, celle du même au même : c’est pareil pour le consentement. Jacob et l’ange finissent par s’aimer comme l’ombre d’une main et la main de cette ombre. Gratitudes.
Apophyse cruciforme de l’os crochu…
Quel serait ce texte de l’ombre pour peu qu’il existât ? Dirait-il en noir ou en gris ce qui se trace, en noir aussi, voire en bleu-mer-du-Sud d’encre industrielle ? a coup sur ce ne peut être une écriture inverse du genre miroir et tout le tralala. La main est souvent comparée à l’œil.Elle voit. Elle tient aussi la canne blanche de l’aveugle.
Pyramidal et pisciforme
Semi-lunaire,
Scaphoïde…
L’ombre ? C’est toujours autre chose, ça ne se vend qu’au diable. Son absence au soleil indique qu’il est midi, pas plus. C’est l’heure fastueuse du démon éponyme. L’humain reste style mais n’a point de trace. La lampe permettrait de retrouver l’itinéraire, ô filament de foudre apprivoisée !
Hypothénar.
César raconte que les Gauloises, après la défaite, tendaient leurs mains, la paume en avant. Il s’agissait d’un geste de supplication. De plus, elles découvraient un de leurs seins. Il faut se soumettre à sa propre écriture. L’écriture menée à bien est toujours réussite. Il ne faut jamais froisser (surtout rageusement) déchirer puis jeter un feuillet inachevé. Même s’il est mauvais et semble puer la médiocrité stylistique.
Une main est constituée comme un pied. La faire cuire produirait de la gélatine, autant qu’un pied de veau. On coupe, en Islam, la main du voleur. Mais on ne la mange pas.
Non, ça se jette pas, la page maudite qu’on croit avoir ratée. Il convient de respecter l’écriture en son lieu tout intime, en son éveil bâclé. Il importe d’aller jusqu’au bout de la page.
On pourrait cuire une main comme un pied de cochon. Même à sainte Menehould, ils n’essayèrent pas : c’est la tête elle seule que l’on coupa au roi qui passa par là-bas.
Conserver provisoirement la mauvaise page demande du courage. C’est une bonne leçon enténébrée, certes. Mais le courage n’est-il pas nécessaire au poète ?
Vingt-cinq feuilles : c’est une main .
Plus tard, on jugera. On déchirera. On brûlera. Si le mal-cœur nous en dit. Car il se trouve parfois sur un feuillet défaillant quelque poisson d’argent ou de cuivre brillant suscitant une pécaille à modifier plus tard.Car peut-être s’y trouve t-il la maladresse féconde qu’on pourra ciseler d’aventure, avec tous les ambages qui lui seront dûs.
On dort à pleines mains mains si c’est à poings fermés.
Une feuille mal écrite n’est jamais un désastre, mais la promesse de faire mieux ! Vingt-cinq feuilles mal écrites, ça arrive souvent : vingt fois sur le métier… La catastrophe doit ici s’entendre au sens de dénouement… quant à l’apothéose, c’est la mue en divin.
La main est un sceptre sans manche.
De ce fait, l’écrivain devrait toujours savourer son écriture. Il faut, en composant, suspendre son jugement. Jusqu’au point final. Vivre d’espoir et d’allégresse ! Bienveillance constructive !
Le Sagittaire se nomme Chiron. Ce qui signifie : main.
Plus tard viendra le temps de se montrer féroce ! On jettera parfois des centaines de pages. On les effacera de toutes les mémoires. Autant avoir d’abord aimé les composer !
Quinze-vingts ; Trois mille doigts, comme des yeux tactiles.
Souvenirs.
Musique de modernité, touches hérissées, fiérotes : parade ! Voici la vieille Remington au nom d’arme à feu faite pour composer westerns et romans policiers… Et voici l’Underwood sylvestre, racontant les dessous des forêts de l’immense Amérique… machines à écrire de fonte noire comme des machines à coudre pour rhapsodes musclés…
Métacarpe, phalange,phalangine,phalangette.
J’ai peu usé de ces antiquités que certains affectionnent. Il faut pour y frapper des doigts en marteau. Le cliquetis fait sourdre le flot du mot-à-mot. Pica ! ça danse fort sur cette séguédille. J’ai peu usé de ces fourbis pleins d’affutiaux sentant l’encre et l’huile. J’ai pourtant pris le temps d’apprécier ce son de tricotage intriquant les intrigues à la Dashiel Hammet comme un tic-tac fébrile au tempo harassant.
Pour les bambaras, l’auriculaire est le fils des autres doigts.
J’ai plus tard possédé une machine plus moderne au nom d’Olivetti, Italie d’industrie, tomate et drupe acide donnant l’huile odorante, mais pas celle de coude. Puis j’ai acquis un jour un zinzin électrique aux touches de velours.
Le clocher d’une église est un index pointé vers le ciel.
Il se nommait Brother. Ce nom me fit penser à quelque prédicateur wesleyen ou baptiste ou d’on ne sait quelle secte parcourant l’Arkansas ou bien l’Alabama sous la nuit étoilée du chasseur de primes ou celel du pêcheurs d’âmes, une Bible à la main et de l’autre un fusil qui blesse les impies mais ne tue que les nègres. Quelle ne fut pas mon erreur ! ah ! quelle ne fut-elle pas !
Le pouce est le doigt de Vénus.
Hé non, pas d’Amérique ! Brother : Frère machine, ô, ma sœur japonaise…fabriquée en Corée. Laquelle ? Enfin, voyons ! Le chariot glissait, chuchotant unh beau whizzz ! comme une onomatopée dans un comic strip. Avec une brutalité soyeuse de sabre implacablement affûté ou de torpille sournoise et tournoyante.
L’index est le doigt de Jupiter.
Là, plus de tagada mais d’étranges gazoullis brefs, se succédant l’un l’autre, castagnant mon silence avec préciosité. Matin calme assuré. J’ai aime cet animal de fer et de plastique hideux.
Le majeur est le doigt de Saturne.
Il conservait encore un ruban bicolore, rouge et noir, comme une révolution. On eût dit une curieuse décoration.
L’annulaire est le doigt de Phébus.
L’écriture au clavier n’est pas une affaire d’ombres mais d’autres reflets ou miroirs. On marouflait alors sous les plages d’extra-strong d’autres feuilles bleues ou noires et qui tachaient les doigts.
L’auriculaire est le doigt de Mercure.
Ce papier carbone offrait des copies de textes aplatis, épatés, écrasés comme des caractères antiques d’imprimerie renaissante ayant tiré beaucoup trop d’exemplaires d’un austère in-folio plein de textes sacrés.
Saint Jacques le Majeur fut-il un médium ?
Souvenirs
L’écran. Celui qui luit et que je lis. Celui qui sauve en enregistrant : L’ ordinateur nous offre des joies analogues, mais aussi de fort différentes. Parfois, il semble nous regarder.Certes, il s’en fout. Mais on entretient avec lui un rapport familier, chaleureuxs. Certains lui parlent comme parlent certains : c’est-à-dire qu’ils l’engueulent.Rien de rien n’est plus peuplé qu’une solitude active.
I.BM.. France voulut éviter l’anglicisme computer. C’était l’époque de la trouille du franglais que l’asphyxie puriste rendait indispensable Computeur, il est vrai paraisait malvenu. Pourtant, c’est du latin. La même racine que le verbe compter s’y montre.
L’ordinateur fut mal aimé. Comme lors du passage de la plume d’oie au stylographe, et de ce dernier à la machine à écrire, d’habituels grinchouillards ont crié au scandale. A la mort, puisqu’on vous le dit, de toute littérature. Pendant ce temps là, on voyait se multiplier les jolis stylos dans les magasins.
Le comput, c’est l’ensemble des calculs nécessaires à l’établissement du calendrier des fêtes mobiles.
L’intérêt des nouveautés est aussi de faire sortir ces gens-là de leurs gonds. Ne les contredisez jamais. Devenez hypocrites : encouragez leurs anathèmes. Abondez dans leur sens. Et vous verrez jusqu’où la gnagnasserie autosatisfaite peut aller : cette distraction mérite qu’on la savoure… Parfois, ça va jusqu’à la haine.Alors on ne rigole plus : on s’en va. Berck !
Le plus ennuyeux, c’est lorsque des gens d’autre qualité s’en mêlent.Günter Grass par exemple vitupère et maudit la machine informatique. Il a tort comme avait tort Kosztolányi vilipendant la machine à écrire. Mais qu’importe ce sommeil de la rigueur…
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