Le Pont-Noir.
- Je m’en souviens, c’était avec Jeanne. Elle donnait un nom à chacun des mélèzes. Un nom tout noir, comme le pont de Jeumont. une âme crédible se déguste note à note, comme la musique douce dont on croit toujours se souvenir mais qui agace un peu comme le citron les dents ou un verre de Rodenbach.
- Des jours passent sans qu’on prenne conscience de la géométrie. Il y a là du besoin comme de la besogne: Tout un chacun s’attache intérieurement à quelque occupation qui n’a pas forcément de nom particulier. Il est hors de question, je veux dire : vraiment, que des âmes sereines s’occupent d’appellation. Ce n’est pas interdit, mais ça fait mauvais genre. Jeanne s’appelle Jeanne.
- Maintenant, Jeanne sèmera t-elle le doute sur le Pont-Noir, à Jeumont ? Cela donnerait des fleurs aux formes invraisemblables, comme en conçoivent les âmes aux musiques musclées.. Jeanne est une belle fille et ne vit pas sans précision. Certains n’y voient que sa grande blessure.
- La musique douce dont on croit s’en souvenir et qu’on perd dès qu’on la fredonne c'est un souffle à petites notes. Comme des ornements, des fleurettes neuves, dans un jardin qui n’attendraient pour tout potage un bien joli nuage déversant à gogo une rosée grasse et goûteuse à souhait. Bien sûr, on y ajoute tout ce que Jeanne n’a jamais dit, ce soir-là, près du Pont-Noir, à Jeumont… Alors, on se souvient, oui, on se souvient.