21 décembre 2005
Eau!!!
Encore un extrait de mon prochain ouvrage: "les carottes sont cuites". Et cette fois, je m'intéresse à... l'eau!
eau
Attesté vers 1050, dans la Vie de saint Alexis, ce dernier vit incognito sous l’escalier de chez ses parents. Nourri comme un mendiant, il buvait de l’eau, qui s’écrivait alors egua, où l’on reconnaît aisément l’étymon latin aqua. Environ cinquante ans plus tard, dans la Chanson de Roland, on lit : « Les ewes curant. » Sans doute, cette bizarrerie graphique est-elle dû à des usages phonétiques particuliers transformant la consonne intervocalique q en g espagnol (pour donner agua), se maintenant en italien mais disparaissant en français : aqua est devenu approximativement aue, puis parfois eve – homonyme de notre mère originelle ! –, et c’est ainsi qu’on a eu le dérivé "évier". On dit encore un « siau d’ewe » dans certains parlers du nord de la France. Dans la même région, on dit d’un avare : Il ne donnerait même pas l’eau qui a cuit ses œufs.
Lorsqu’un projet tombe à l’eau, c’est fini. On peut crier à l’eau quand on veut y jeter quelqu’un. Battre l’eau, c’est faire des efforts inutiles. Revenir sur l’eau, c’est redevenir à la mode, etc. Un avare ne « donnera pas l’eau qui a cuit ses œufs ». Se jeter à l’eau, c’est oser. Ne pas trouver d’eau dans la mer signifie que l’on est peu malin. Bref, l’eau intervient dans un grand nombre d’expressions.
Pour nous, qui l’envisageons du point de vue nutritionnel ou gustatif, elle est un aliment. Ou un anti-aliment. Compte là-dessus et bois de l’eau exprime qu’on n’obtiendra rien… Et pourtant, l’eau naturelle est souvent goûteuse, contrairement à ce que laisse accroire certains amateurs d’eau minérale. En 1986, Philippe Gangloff a ouvert, au 66 de la rue Nicollo, dans le seizième arrondissement de Paris, un « bar à eaux », où l’on put rapidement en déguster plus de deux cents variétés au verre : Sidi-Oulmès du Maroc, Hattenweiller d’Alsace, Apollinaris, San Pellegrino, Spa, Highland Springs etc. Un bar situé à deux pas de la fontaine de Passy qui offre une eau pure, délicieuse et … gratuite, à tel point qu’il s’y trouve de longues files d’attente ! Mais ce goût des eaux pures n’est pas spécialement français :
Un Espagnol apprécie les différents goûts de l’eau, comme un Français du vin. Il vous parlera d’une fontaine comme d’un cru, il vous vantera l’eau de certaines villes, et dans ces villes, de certains puits. (A. T’Serstevens, l’Itinéraire espagnol, 1963.)
La bouillabaisse, dit-on, devrait être cuisinée dans l’eau de mer : en fait, ce serait beaucoup trop salé. L’eau rougie, souvenir d’enfance, est mêlée d’un peu de vin, ui nous mettait « l’eau à la bouche », qui incitait à la gourmandise.
L’eau-de-vie, aqua vitae, n’est ni de l’eau de roses ni de la petite bière. Son appellation latine a donné, en suédois, le nom de la redoutable akvavit : il en existe de merveilleuses sortes, innombrables et aux parfums délicats, comme celle de céleri ou de rhubarbe. L’eau-de-vie de Dantzig mêle la force de l’alcool à sa symbolique éthérée à la sensualité métallique de paillettes d’or, symbole aussi, dans un curieux mélange, de puretés et de préciosités. Et les Brésiliens nomment l’alcool agua de beber, « eau à boire », expression qui est aussi le titre d’un standard de la bossa-nova.
Il serait dommage de ne pas citer ici les vers célèbres qu’écrivit en 1801 le comte Louis-Philippe de Ségur (1753-1830), grand maître de cérémonies, successeur du baron d’Oignon et médiateur entre Napoléon et Talleyrand, académicien :
Quand Dieu noya le genre humain
Il sauva Noé du naufrage,
Et dit, en lui donnant du vin :
Voilà ce que doit boire un sage
Buvons-en donc jusqu’au tombeau,
Car d’après l’arrêt d’un tel juge,
Tous les méchants sont buveurs d’eau
C’est bien prouvé par le déluge !
Les Buveurs d’eau dans le roman éponyme de Murger nous évoquent la « vie de bohême ». L’« eau de mille fleurs » et de l’urine de vache, considérée comme un remède eu égard aux nombreuses plantes que l’animal a consommées et dont la déjection garderait les propriétés médicinales. Les « lithinés du docteur Gustin » ont aujourd’hui disparu : il s’agissait d’un « eau minérale en poudre » que l’on dissolvait dans celle du robinet pour jouir de ses bienfaits.
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