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orlando de rudder
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26 septembre 2005

Prairial turquoise: vingt-cinq ans de poèmes

Orlando de Rudder. Prairial Turquoise Jean-Johnny graisse-au-beurre Jean-Johnny graisse-au-beurre se faisait du souci pour la vertu peu fière de sa sœur capricieuse prénommée Jeanne-Marie. Voilà de la luronne ou je n'y connais rien. Non: c'était Marie-Jeanne. (Tout gauge à rien Tout traque à terre Tout s'ogresse et se rémige Tout se cinabre, et ça me trige). Les seins de Marie-Jeanne distillent quand elle marche un parfum assuré, solide et merveilleux. Ils dansent, l'un avec l'autre. Elle a des yeux aussi, qui font parfois très peur, et puis des jambes si longues qu'on en cherche la fin. Les garçons la regardent. Elle choisit l'un ou l'autre. Il paraît que c'est mal. Mais elle s'en contrefout. ( Tout se clameure et zinzoline tout s'est strygé, hagardement tout se démange et s'organisme, tout s'afublasse à bon escient). Jean-Johnny graisse-au-beurre ahanant tout à fait poursuivait les galants. Son sobriquet, c'est vrai, le chaussait comme un gant. Il n'en rattrapa qu'un autant qu'il m'en souvienne: Isidore le Slovène qu'il avait un peu tué. Pendant ce temps, nous deux, Jeanne-Marie et moi, ne perdions pas de temps: je me la renversais, par terre, oui, sous la douche du Stadium Fédéral, après la gymnastique du moniteur en bleu. On faisait l'amour fort, rien que pour agacer Jean-Johnny graisse-au-beurre. Mais il n'osait rien dire, rapport à la passion. Non, c'était Marie-Jeanne. ( Tout s'articule et se dédouble tout se langage et se pertine, tout se digère et tout se gère tout s'abomine et se panglosse tout verticine et s'enclinule). Avant qu'il revienne, on avait tout fini. On s'arrangeait la mise puis on sortait dehors. Et pour deux cent vingt francs de l'époque d'avant ça, on buvait goulûment un verre de beaujolaigre à l'antique buvette. Des regards se posaient sur elle, puis sur moi. Je disais quelque chose en moi-même, dans la tête que j’ai. Mais elle s’en contrefout. (Tout, mais tout jaconasse et marécage tout anglésure et morticipe, ce qui revient au même Tout vertigine et me sarcastre). L’alcool faisait grossir Jean-Johnny graisse-au-beurre, ce qui n’arrangeait pas sa silhouette agravée. Cela dit, Jeanne-Marie, d’un seul mot, ou de deux, aurait pu, ça c’est sûr, le persuader vraiment d’intenter un régime. Mais elle ne le fit pas. Il aurait tant aimé que sa sœur l’aime un peu. Non : c’était Marie-Jeanne. ( Tout carouselle et jaguenaude. Tout horizonte et s'éritèle tout architague sans manigance, tout artésiane et ça m'entrêve tout paradure et ça m'embête). Jeanne-Marie aimait boire et se pomponnait dur. Ça lui trémoussait l'esprit et ça la rendait belle à cause de la brillance des yeux. Ça lui donnait l'idée de la cajolerie et, quand elle faisait l'amour, juste après avoir bu, elle poussait des sourires réveillant les voisins si c'est pas au Stadium. Mais elle s'en contrefout. (ô, tout s'ardemment et s'enfuyait, tout se tourgise et tout se gicle tout s'abasourd et se crédence, tout va-nu-pied, et tout s'offense!). Jean-Johnny graisse au beurre mourut un beau matin parce qu'il faisait froid. Enfin, trop froid pour lui, parce que moi, vous savez... alors, je suis parti, toute tristesse bue sans rien dire à personne: ç'aurait servi à rien. J'ai suivi le chemin des rails du sept-heures-huit, tout à pied, tout à pied, comment faire autrement? je n'ai jamais revu Jeanne-Marie la dure. Non: c'était Marie-Jeanne. (tout se féline, snif!, et subreptice, tout cageolette et tout fébrile tout catéchèse et tout rédime, tout anaphore et tout me trace). Elle n'y pense plus, et moi non plus, d'ailleurs, sauf parfois quand le soir fait des ombres pas drôles et que la souvenance revient amèrement de ce frère si banal: Jean-Johnny graisse-au-beurre. Moi, ça m'arrive aussi de me dire: j'aurais dû. On s'aimerait peut-être en ce jour d'aujourd'hui. Un tantinet, au moins, faut pas trop demander. Ça changerait l'optique point de vue de la vie. Ça changerait grand'chose et ça ferait la fête. On s'irait peut-être bien, sait-on jamais savoir? Ça aurait de la chance, en faisant attention. Enfin, c'est du passé. Mais elle s'en contrefout. (tout participe abominable, Tout se monstrie et s'acclamance, tout vertibule et tangocycle, tout se galèje et vaporise. Sauf moi). …C'est Comme un désert plein de tumulte très mince, de nuages, d'horizon, beaucoup de bruit pour rien. Comme une grande salle aux lumières trop vives: des personnes y parlent en tenant des verres pleins …C'est Comme le mariage d'une amie de toujours quand dans mon coeur cavale un infini chagrin ou comme un grand café où s'agitent des foules qui boivent des alcools, disent du mal des gens, et comme un jour de pluie, comme de l'eau qui s'écrase en gouttes qui, blessées, explosent sur le sol. Oui: c'est bien être là inconstant et fugace sans être avec les autres on ne sait pas pourquoi, et c'est ma vie à moi, un moment puis un autre, et puis ça recommence, on ne sait pas pourquoi. …C'est La larme parcourant trop chaudement la joue: il n'y a plus d'amour on ne sait pas pourquoi. C'est de la solitude au beau milieu du bruit, avec cet air poli qu'on prend quand on s'ennuie, comme une farandole à la musique fausse que dansent des pantins, des arlequins sinistres! …C'est quotidiennement du gris sous le soleil, et le journal du jour imprimé noir sur blanc, ou bien c'est comme moi: du silence ou des mots que l'on n'entendrait pas. Mon ancêtre Bohémond. Pour Alain Pouillet Mon ancêtre Bohémond n'intéressait déjà personne lorsqu'il se tenait debout, vif et l'oeil frais. C'était un chevalier perdant. Il revint de croisade, un beau jour de septembre, contrarié par une entorse au genou. Il acquit un château pas trop loin d'Echternach et vint y habiter avec sa digne épouse. Pauvre Bohémond! toutes les minutes de son existence furent insignifiantes. Sans panache. Pourtant, il racontait sa vie. Même, il parlait très fort pour ce faire qu’on l’entende. Parce qu’à chaque jour suffit sa peine, personne ne prit soin de l’écouter comme il eût souhaité qu’on le fît. Sa femme, cependant, ne disait jamais rien. Elle se nommait d’un nom saturé de consonnes. Le teint jaune de son visage plat se surmontait alors d’une toison patine. On lui créa un surnom idoine à bon, escient : Pot-de-bière. Bohémond n’usait pas de cette appellation. Ni d'une autre d'ailleurs. Pourquoi l'eût-il nommée? Elle se trouvait là, toute seule avec lui. Alors donc s'il parlait, ce ne pouvait vraiment ne s'adresser qu'à elle.. Il lui parlait, donc, la croyant attentive. Il ne s'aperçut jamais que cette épouse mièvre contemplait en elle-même et sempiternellement un grand rêve sérieux, flamboyant, imbécile, un grand n'importe quoi non dénué de couleurs. Ce rêve sans ornement, aussi cru qu'un oursin, en affectait la forme avec moins de piquants. Il habitait Pot-de-bière. Constamment. Elle le songeait, c'est vrai, durant tous ses instants. Sous l'étonnante chaleur de ce rêve brûlant, des vapeurs se formèrent en dedans de son crâne. Ca fit de la pression qui souleva l'illusion. Ca fit des courant d'air, ascendants, descendants, et de droite, et de gauche à n'en savoir que faire. Le rêve en voyageait un peu comme autrefois les matrices anciennes dans les ventres des folles, puisqu'on voulait le croire. C'est tout de même bizarre qu'il arrive ces choses là! heureusement, c'est rare, et ce fut autrefois. Bien qu'il fût -voir plus haut- moins muni de piquants qu'un oursin ordinaire, le rêve rebondissait aux parois internes du crâne de Pot-de-bière. Ca lui faisait très mal, mais elle n'en disait rien. Même quand ça la blessa, et bien peu légèrement. A tel point qu'un beau jour, elle saigna des oreilles. D'ailleurs elle avait froid. Bohémond fut peu tendre, bien qu'assez germanique, avec des nattes longeant ses joues, une épée formidable à son côté senestre et l'habitude de boire de la soupe au hareng. Lorsqu'il vit Pot-de-bière les joues ensanglantées, il pensa que, vraiment, ce qu'il lui racontait ne pouvait provoquer ce type de genre de mal. Conscient de son inanité, ce chevalier inepte conclut que, forcément, quelqu'un d'autre devait narrer à sa belle quelques histoires fabuleuses propres à la blesser fort. Oui, des histoires gratinées, fussent-elles biographiques, scandées en langage rude et néanmoins sincère. Et c'est là le vrai pire. Bohémond, s'il te plaît, n'en deviens pas jaloux! Mais il n'écouta pas ce conseil de bon sens. Pour punir l'infidélité cuidée, la tromperie supposée de sa femme, Bohémond la plongea toute nue au vivier. Car cet homme élevait des animaux marins. Et c'est là qu'atrocement, des oursins carnivores s'empiffrèrent de la chair de la pauvre rêveuse. Et c'est là qu'ils s'en mirent vraiment plein la lanterne. Ce fut laid. La tête elle-même disparut dans le sang. Le rêve, comme on s'en doute fut alors délivré par cette dévoration. Comme par son allure, il ressemblait à eux, les autres- je veux dire: les oursins- ne l'attaquèrent pas. Il s'en fut donc, tranquille. Un rêve qui s'échappe, c est une bouteille à la mer. Personne, de nos jours, ne dira le contraire. Du moins vers Echternach. Ou alors, plus à l'Est, mais plutôt dans les villes. En cet exil… En cet exil, ma langueur efficace Evoque encore mon amour déserté, Je crois revoir l’infiniment passé : Voici l’absence, elle prend toute la place. En ma présence, existant mais fugace, Je me repens d’avoir un jour aimé Un cœur heureux doit-il être isolé ? Ma liberté se révèle pugnace Tenace idée de n’être plus que moi Et me voilà, évoquant autrefois Accaparé par cette lassitude Par-ci, par là, des tristesses obstinées Peuplent mon cœur. Même après tant d’années Je ressens un regain de solitude Sonatine du Trop Tard. Trop tard, les arbres rouges et les pêches de vigne, la rose trémière de l' âge qui s'ennuie... Tu pleureras encore l'amour, les nuits enfuies. Mais ton coeur, saccadé, te hante, et tu t’indignes. Oui, déjà, c’est fini, les baisers trop polis, les regards apeurés d’oiseau… Elle n’osait laisser choir sa pudeur, ni son tablier rose pour offrir ce moment, amer, acide fruit. Comme les galets des grèves l’amour s’est émoussé, arrondie la passion, chagrin outrepassé. Tandis qu’auparavant s’affolait la ferveur ! Aujourd’hui, trop certain, plus profond, mais plus seul, le cœur frappe toujours, enclos dans l’animal. Déjà l’amour se prend à parler de bonheur. Valentigney (Doubs), Place de la Mairie. 1992. Encre d'ocre du village, vaine terre, cependant. Une statue installe sa ténacité lente qui d'acier puis d'essence, de matière et d'esprit, fit de l'usine un temple aux prières vrombissantes. Adieu, pâtures et fruits! Là-bas, le Doubs paisible n'a plus de bateliers. Le buste sempiternel ne juge ni ne sourit. Une qualité de pierre se suffit à elle-même. C'est devant la Mairie. Si l'on y pense, pardi, on découvre aisément que ce visage ancien trône juste au-dessous du drapeau de la France. La frontière n'est pas loin. Il n'est pas d'autre idée que de travailler bien. On ne vit pas ici. On prie avec ses mains qui deviennent calleuses par cette oraison même. Et Notre-Père se dit: "je visse des boulons". Là-bas, le Doubs paisible n'a plus de bateliers. Autocritique. Jean-Alex Duglantier a des moustaches hideuses. Il pourrait les raser, mais ça changerait rien: il resterait pas beau. Adeline Marocquart, ses jambes, elles sont bien courtes. Sa poitrine est faiblarde, c'est pas comme la Lola. Lola Longanissa porte le nichon gras. Cela dit, malgré tout, elle n'est pas trop méchante, pour des seins comme ça. Et dire que son frère qui sera jamais docteur ne fait rien qu'à traîner au lieu que d'étudier! César (de la Montagne) est un épouvantail. Isidore Martineau repousse du goulot. Georges-Jacques Mathurin trompe sa femme Odile avec de sales filles qui sont à peu près rien. Bon. Jacqueline Anselme a très très mauvais goût, mais le coeur sur la main. Faudrait qu'elle s'attife avec des habits biens. Et Serge, le postier, n'aime que les garçons. C'est son droit, mais quand même, dans l'Administration, ça fait pas de l'exemple! Simon, le vieux Simon est totalement teigne et son neveu Armand, en voilà, un crétin! autant dire que sa femme, y'a vraiment que le train… tandis qu'à Rosalie, ça lui ferait du bien. Faut trouver l'amateur qu'a la vue défaillante. Alberto l'Africain boit vraiment trop de vin. J'ai beau chercher partout, les amis, les voisins, j'ai beau regarder tout: y'a que moi qui suis bien. Laps au fur D’instinct passé en laps au fur, J’amenuise en usant mes sens et la mesure Du temps tarabustant qui se bat dans mon âme Ses minutes habens au tic-tac cœur à cœur Me dégoutent et m écoeurent ! L’horloge-ment mouline en sassant de plain-grain La surface des jours qui craque sous la dent Du rouage extrudant des minutes fugaces : Avidement se grouille l’ineffable destin. Thème. Tous deux s’envoyaient leurs mots d’amour en pleine figure. Amour de hargne voguant dans l’air… d’abord souples, les mots de basse extraction découvraient en plein vol leur noblesse violente. Libres vocables, navires à voiles de linge, fouffes –cacatois, loques d’artimon, hardes de misaine… Revendication ! Leur passion youlait, stridente. Leurs voix s’abattait sur l’aimé, telle une pluie d’araignées s’accrochant ensuite de toutes leurs pattes à la peau. Chacun s’étoilait, passion rogue, ce qui se trame, ce qui enchaîne, rire d’espoir, amour carné, amour fixe d’œil crispé, écarquillé. - Tu me regardes, toi ? - De quel droit m’aimes-tu ? Mulhouse, un soir. Gens de liesse et de chou pâle. Prêtres salariés baillant et bavassant. Hommes au feu dans les yeux qui regardent, aplaudissent. Et muses archi-saoules aux tatouages étonnants, sur des seins épatants. Parlons: - Morsures, mon vieux, morsures toujours dit quelqu'un, sans cesser de mâcher. Ça sert à quoi? - Ça ne sert pas! Aigreurs et renvoi, choucroute avec saucisse. Et la bière… - Quelle mouche t'a piqué? - Une guêpe, pas une abeille… Durst: la soif! bière! - Pourquoi? - C'est sans produire, sinon des morsures. Saucisse: résistance fine du boyau, éclatement fondant de la farce fine. Pour moi. La Dame du restaurant s'affaire, et gouaille sans raison. Des Lustig Zigeuner jouent sur de vieux violons. Les gens ont faim. Mais c'est par habitude. Aiment-ils ce qu'ils mangent? on ne saurait le dire. Demain, je prends le train à seize heures zéro sept. Tournée de Boulanger en village du Doubs. Le pain, comme une alerte, s'annonce par la trompe. Borroillots, me voici semble dire le chauffeur. Il faut dire qu'il conduit conduit un camion trépidant. Quelques uns se dépêchent, se groupent et puis s'attroupent. Valentigney-Bruyères, c'est le pain qui arrive! On se dit, on se parle. Un peu de farine tombe d'une miche de campagne. On va vite: il y a du manger sur le feu. D'autres, là, ils ont ce qu'il faut. Il y a du pain chez eux. Un peu rassis, peut-être, puisqu'il est de la veille. Ils déclarent: Mais n'attendons pas, non, quelqu'un après quelqu'un: une file d'attente, ça rappelle la guerre, enfin, l'occupation. c'est fini, maintenant. Il ne faut plus attendre. Le pain doit demeurer accessible évident. Il n'est pas plus mauvais qu'en mille neuf cent trente huit. C'est moi qui ai vieilli. Dimanche après-midi, nous irons en Alsace. Ou alors à Belfort, pour voir le lion, qui dort, malgré son air d'avoir l'air de rugir, ou de s'y préparer. CUBA LIBRE. À la mémoire du "Coronel" don Luis de Céspedes, mon arrière grand-père. Alezane, disait-il en riant: sa peau est alezane... esclave cigarière, il fallait qu'elle le fût, fille de ferme ou des champs, servante ou cuisinière… Toutes étaient alezanes aux yeux de Don Manuel dégustant son cigare, plus à lui que tout autre, puisque c'était le sien. En lutinant les filles, plus à lui que toutes autres, puisqu'elles étaient esclaves, il semblait voir plus loin que tous les hommes de l'île, ceux qui graissent les fusils, ceux qui portent dans les loges d'étranges tabliers, ceux qui boivent comme lui et disent aux quarteronnes: "ta peau est alezane". Suivait alors un rire montrant de fières dents. (Ceux qui restent les maîtres lutteront cependant pour quelque liberté. Ceux qui sont indécis mais entassent des armes, ceux-là font des enfants sans pères et sans destin aux belles alezanes). Et le soir vraiment brun s'étalait, nonchalant tandis que Don Manuel, propriétaire, seigneur et même "Coronel", tout en buvant du rhum semblait envisager, plus loin, au travers de l'espace, perçant la transparence des êtres et des gens, la lointaine apparence des côtes de Floride. Oui Prairial Turquoise. Prairial. Saison nouvelle ? Déjà jouée l’an dernier. On n’a pas su s’aimer. Tout à recommencer. Redevenir, jour volage. Eperdu, mon amour, cette histoire à revivre. Faute d’avoir tout su, tout fait, tout dit. Il est midi, ça recommence. Amours crues ! Vite ! Biffons l’ironie du passé. Raturons sans rancœur les torgnoles de la vie. On n’a pas su, naguère. Cognons sur le regret, tabassons, qu’il trépasse ! Ravaudons nos moments. Sachons qu’on va mourir, corne d’acier ! Ailleurs ! Alors, c’est maintenant ! Prairial, liberté, mon désir. Chemise bleue du ciel et ta jupe envolée. Comme naguère. Mais cette fois… Ciel ! maintenant. Ce maintenant placide et qui va s’envoler… Comme naguère. Quand donc me souviendrai-je ? Aime t-on sans passé simple ? Ton corps est mon alarme. Turquoise en plein azur : le ciel prend des couleurs. Et toi, toi… Prairial. J’aurais vécu. Seigneur, le temps ! On ne meurt que d’amour. - Qui te l’a dit ? - C’est moi ! - Tu me mens ! - Comme l’été qui s’annonce. - Prairial turquoise. Tes yeux ! - Comme l’année dernière. L’ Echo L’automne vieillissait, confiture de chaleur. On en crevait debout. Par chance Monsieur l’orage se vida sur nos têtes. A ce moment, une femme, pourtant sérieuse, se mirait dans le lac. Quel lac ? Celui d’après la troisième vallée. Là où les fleurs sont amères. Toutes ! La pluie troubla la surface du lac. Le minois de cette femme devint camus, colichetrogne, coin de rue. Le vent d’Est se leva. Aussi le vent du Nord. Avant de se battre, ils voulurent connaître le prénom de la belle. Il leur parut grotesque. Leur combat provoqua d’intenses tourbillons. Cette violence secoua de malheureux oiseaux. Certains se fracassèrent aux branches des arbres. D’autres s’agitèrent en spirales, vissés par le plein air qui les fichait dans le sol par la pointe du becs. La femme sérieuse n’en sourit pas moins. C’est qu’elle venait d’entendre une voix mugissant : - Ne te regarde pas, traverse plutôt l’écho. Fortuit. Les lumières s'éteignirent et je fus là, fortuit. Était-ce sous un vieux soir, lorsque j'étais petit? attendais-je une femme, plus tardif dans ma vie, un sourire, un retard, un rendez-vous galant? Je ne sais. Chaque fois, à moins qu'il n'y en eût qu'une, je me mis à errer dans la ville noircie qu'une panne électrique rendait plus sombre encore. Me heurtant de par moi-même à tout échafaudage, trébuchant sur les marches, les bordures de trottoir ou butant à l'arête d'un pavé déchaussé,je n'en éprouvais pas moins un éblouissement, étourdi, vacillant, dans la clarté soudaine d'un phare automobile. Quand la lumière revint, je fus sur une place. La fête des forains se mit à repartir. Alors, j'ai contemplé, devant un jeu d'adresse les plus beaux, les plus grands, les plus étonnament véraces purs objets du désir: statues de plâtre peint, photo de filles blondes se dévoilant un peu, couteaux brillants et grille-pains d'acier, voire kilos de sucre et pendules à sujet. J'eus chaud, j'eus froid, j'eus mauvais temps en moi. Parfois même, j'eus faim. Il faut de la tendresse pour ces infirmités qui font de nous ce que nous sommes et même de l'indulgence pour l'émerveillement qui fait que nous avons un sens. Cyprès Là-bas restes-tu, dans le froid, toute seule Sous les arbres beaucoup trop noirs? Incessante, la nuit stagne sous les cyprès, Aux cimes plus grandes que l'amour. Là-bas, tous les arbres te cachent le soleil Les étoiles ne brillent jamais. Pleures-tu, comme moi, chercheras-tu encore le soupir qui prolonge la vie? Là-bas, autrefois s'engendrait le silence. Jamais plus je n'irai y voir Les sources taries et les fleurs qui se fanent Le désir rongeant ma mémoire. Ma belle, ô ma belle, je t'ai tant aimée, Que tu devins mon pays. Je suis loin,maintenant,j'ai parcouru l'exil, Et je sais que tu pleures aussi. Art Poétique. Je m'ai vu dans les rimoirs, à scrofuler de mots. Inachevé, j'ai dit: c'est même pas fini. C'est qu'on cavale vite et puis qu'on recommence à gratouiller sérieux dedans la remembrance, parce que la poésie, ben oui, c'est de la mémoire, même que de la mémoire, j'en ai jamais vu tant. Par une opérature simplette voire commode, ça commence un peu bien: on tapouille l'objet qui fait du souvenir, on le pressure tout doux: ça casse et je le sais. J'y pense même tout seul, j'y pense avant dormir. Ensuite, la soignaison de l'idée: c'est pas le plus facile. Le plus facile, d'abord, faut dire qu'on n'en voit pas. Y'a des qu'il faut longtemps pour choisir des vocables dans le vocabulaire. Moi, ça me vient tout seul quand Charles et nous, on boit. La beuration, chez moi, ça me rend tout pâle et ça fait romantique. Oh! t'as des virgulages, des pointures, des guimots. T'en mets ou t'en mets pas. Si ça se met, il faut. Après quoi, regardure. Alors là, c'est pas rien: tu fais de la rime au mot, de la vraie, pas du flan. Balance l'oeil et la voix, balance le poème. Déchirures et décharges rejetures puis poubelles pour recommencements. T’as qu’à voir de toi-même. Alors, c’est pas fini ? Non ! Je ne suis plus un loup, déjà. Je ne suis plus un loup, déjà… ô que j’ai aimé l’être… et désormais j’aboie entre mes dents limées qui ne te mordront plus. Mon souffle hurlait naguère et ma cruauté tendre ne signifiait rien. J’ai du silence en moi. Je te veux, je t’exige. Toi. Je ne suis plus un loup, déjà, mais ton amour féroce ne me fera plus peur. J’ai appris la patience, l’attente sans déplaisir et la ruse efficace qui marche à chaque fois. Je ne suis plus un loup, déjà. Las du sang des chairs crues, je cuisine mon désir, je concocte mes fièvres, j'aspire à n'être mais. Vois, je suis encore là. La lune m'accompagne. Or je ne hurle pas. Je ne suis plus un loup, déjà. Et je t'attends, amour, docile, étonnamment, mais ça ne te plaît guère, parce que tu devines cette force cachée qui habite mon coeur et que mon corps exsude. Je ne suis plus un loup, déjà. Et s'avancent les heures aux crocs démesurés. Je plie l'échine, amour, un peu comme il se doit. Mais tu ne m'auras pas… Aux terres des marennes Aux terres des Marennes, j'entendis sous le soir Des milliers d'oiseaux maigres, ceci malgré la boue, Regrettant le satin des caresses qu'on joue Et les chevaux paissant qu'il ne faut jamais voir. D'autres jours, d'autres glèbes criaient le désespoir Au souffle du vent saint. Un nuage se noue À la fortune carrée d'un bateau vert à roue Et dont l'erre indécise singe le nonchaloir J'avais, dans ma jeunesse quelques vieux aujourd'hui J'ai connu que les jours se finissent en nuit Après le crépuscule à la lueur perdue. Sur les sols gras qui bougent de glaise et de fleur d'eau J'aurais voulu marcher, refermer le rideau M'enfouissant tout en bas dans l'obscurité nue. Racail Je décomposerai un racail de poèmes Avec des vers mi-figue et des raisons niées Chapelet unanime de perles ensillées… Je vais décomposer des sonorités blêmes Détourner les nuages, exiger leur rançon : Il devient nécessaire de trahir l’horizon ! Dialogue A ma fille, Léonie. Mélancolie: mélange. La fleur et les roseaux... Treillage, silence lourd, trop clairvoyant, mais Réchauffé par, soudain, le flot solaire épais: Un rayon rouge troue la tresse des rameaux. - Regarde! - Ecoute et tais le moindre de tes mots! C' est l' instant du soir même aux nuages de paix Poissons, saumons du ciel menacés car jamais Le jour n' a pu durer... - Mais il est encore tôt! - Léo se mariera au début de l' Hiver - Neigera t-il? - Peut-être... - Ou la pluie? - Comme hier! Alors, je pleurerai... -Donne-moi du vin blanc. En s' éloignant le temps a perdu sa distance, Léonie s' est levée pour toiser son enfance: La vie donne ses heures, nous perdons les instants. Trois fois rien. Lundi s'est envolé, pas un mot, pas un geste et j'ai revu Mardi, habituelle séquence. Mercredi s'ensuivit: il plut dès le matin. J'eusse aimé voir jeudi redorer de soleil l'ombre morcelée de la veille pluvieuse. Puis Vendredi passa, sans encombre ni rien. Samedi l'amour mienne m'écrivit une lettre qu'elle n'envoya pas, et je n'en sus donc rien. Ce Dimanche apporta au cortège sa fin. Jours blancs d'une semaine, abolis, successifs, palimpsestes gavés d'heures qui s'attendent aux autres et de tout petits riens, recommencez encore: vous êtes là pour ça. CANINES Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles, un vieux chien pillard ne trouvant pas de chienne, aussi libre que possible, sur la terre gâtée. Dans la mémoire des chats, on dit qu'il y a du tigre, c'est-à-dire... oui, très libres, des savanes qui feulent des arbres incandescents et des soleils d'ailleurs. Je suis un pauvre vieux chien qui n'a que des pluies rances décolorant les chairs qui gisent prés de l'acier. Je ne suis qu'un vieux chien qui n'a pas de lumière, un vieux chien pillard ne trouvant pas de chatte sur la plaine gâtée Verdun ou Tannenberg, Marengo ou Hastings, qu’important terre ou mer, ville côteau ou plage : outremer et doré, par dessus les nuages, il est un ciel si haut qu’on ne saurait le voir. Mais je n’imite point le pas des hommes, je ne veux pas marcher debout, comme certains de mon espèce qui font rire les enfants, un sucre sur le nez : tourner le dos aux nues est un beau privilège. “ La liberté est là ! ” décide le vainqueur qui repassa l'ignoble. Moi, je cherche une chienne puisque je m'en trouve libre comme je le suis aussi de mordre les charognes qui gisent sous le ciel, qui se grisent aussi pour ressembler au fer. Avant la guerre, je vis certains de ceux qui y moururent: ils écrivaient au mur des phrases incendiées parlant de liberté comme parlant de la mort. On en tua certains, rangés comme les soldats qui leur tiraient dessus. On en tua certains, oui, adossés à cette paroi qui enclôt la prison. je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles. Tu m'as vu, dit, tu m'as vu? Je suis un pauvre vieux chien qui mange les cadavres puisqu' il y a que j'ai faim. " La liberté est une putain!" dit-il en se mourant celui qui le premier eut l'aventure de choir. Ainsi la liberté se donne à qui la paie... mais où sont les deniers d'un très pauvre vieux chien aussi libre que possible? Or je me plais à rire en pensant simplement qu'en mourant le héros eût pu crier pareil ou presque la même chose: la liberté est une chienne! Dans la mémoire des chats, on dit qu'il y a du tigre. Tu y crois simplement aux savanes qui feulent, aux arbres incandescents, à ces soleils d'ailleurs? On dit qu' il y a du tigre, des griffes et des dents, c'est-à-dire, c'est-à-dire... les tigres ne sont pas chiens, je parie qu' ils préfèrent un bout de chair bien fraiche, chaude encore de la vie, plutôt qu'une charogne ou plutôt qu' une chienne. Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles- Tu m'as vu? Tu m'as vu?- la liberté est une putain, mais ce n'est pas une chienne puisqu' en la reniflant je ne flaire que la Mort. Une chienne, c'est la vie, c'est pourquoi elles se donnent... enfin, certaines chiennes. Aussi libre que possible, j'ai vu passer une chatte qui, comme moi errait derrière les batailles. C' est rien moins qu' une chienne et j'eus l' étrange désir d'aller me renfermer derrière la paroi qui enclôt la prison. Las de la pourriture, j'eus envie de chair fraîche, autant que d'une chienne mais pour d'autres raisons. j'ai donc pressé le pas pour rattraper la chatte qui, dès lors, s'est enfuie pour être inaccessible. Et je demeurai là, derrière les batailles. Aussi libre que possible sur la plaine gâtée, sur les galets d'Hastings, aux tranchées de Verdun, je suis un pauvre vieux chien, désespéré mais veule qui recherche une chienne parmi le sang des morts. Devant les murs rougis je ne trouve pas de chienne, il n' y a pas de putain, il n'y a plus de chatte: évaporée, enfuie, elle reste inaccessible. Outremer et doré par dessus les nuages il est un ciel si haut qu'on ne sait pas le voir, sauf à tourner le dos, marchant à quatre pattes, contemplant son reflet dans le miroir des flaques: le ciel est sur la terre quand on trouve une chienne. Puis, dans le regard vide de ceux qui moururent, je vois ma propre image et ça m'ennuie plutôt. Je n'y trouve pas de chienne mangeant la chair des morts. Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles, un vieux chien pillard, esseulé, solitaire qui veut une femelle pour manger de l'amour et je sens dans mon coeur un étrange désir d'aller me renfermer derrière la paroi qui enclôt la prison. Si tu m'as vu, t' es mort. La Gavotte. Dans la maison sournoise qui loge dans ma tête, sussurée, lancinante, se plaît une chanson. Une autre la fredonne en lavant des assiettes qu'elle ne casse jamais. Moi, je n'ai retenu que bribes de ses mots. Cette fille qui chante, au tablier sali, pense t-elle vraiment aux danseries vieillottes d'un autrefois perdu? moi, je n'ai retenu que bribes de ses mots. Ne dites plus Que la gavotte Est une danse distinguée. On dirait des Juments qui trottent C'est pas pour les filles à marier. Une aïeule aux doigts maigres, sur un piano moins blanc composa la romance: outre ses larmes bleues, elle y mit sa mémoire, et ces bouts de son coeur qui reflétaient encore l'image un peu passée d'un soldat qui s'en va, qui ne reviendra plus. (On sait faire des maisons avec une peu de terre insinuée dans les pierres. Y poussent alors des plantes, résolument fragiles). Ne dites plus Que la gavotte Est une danse distinguée. On dirait des Juments qui trottent C'est pas pour les filles à marier. Dans la maison sournoise qui loge dans ma tête, une femme s'est tue au milieu d'une phrase, découvrant, éperdue le fin mot de l'histoire. Non, ce n'est pas pour la mort de l'officier câlin, mais par une certitude encore plus menaçante, oui. Car, fût-il même vivant que jamais, non, jamais, il ne serait revenu, coeur volage, coeur volage. Ainsi passent les soldats sur les routes. Ainsi pleurent les filles. Un froid vint s'installer dans cette maison là, faite d'un peu de terre incrustée dans la pierre pour qu'y poussent des herbes à l'aspect trop fragile. Une aïeule aux doigts maigres a fermé le piano comme on replie son parapluie dès lors qu'il ne pleut plus. Et dans sa tête résonna la chanson que des lèvres très rouges murmurèrent jadis: Ne dites plus Que la gavotte Est une danse distinguée. On dirait des Juments qui trottent C'est pas pour les filles à marier. Dans la maison sournoise qui reste dans ma tête, sussurée, lancinante, s'écoute une chanson. Une autre la fredonne en lavant des assiettes qu'elle ne casse jamais. Femme, elle ne chante plus, lavant très vite, trop vite, comme ajournant la vie. Ne dites plus Que la gavotte Est une danse distinguée. On dirait des Juments qui trottent C'est pas pour les filles à marier. Je suis au bord du fleuve. Pour Halima. Je suis au bord du fleuve, j y vais souvent pleurer. Pas loin il y a la route qu'on vient de repaver. Maman, Maman, si tu m'entendais, tu ne me croirais pas... Je ne suis qu'une fille dans un monde à soldats. Et les voici qui traînent la savate et le pas. Sont-ils morts ou vivants? Maman, si tu savais... je pleure au bord du fleuve un homme qui est mort. Et je ne l'aimais pas. Oui, moi, au bord du fleuve, je pleure. Je n'aimais pas cet homme: on m' a mariée avec. Tu le voulais Maman, et j'ai baissé la tête. C'est trop tard, maintenant. Il est mort, il est mort. Je pleure parce que c'est triste. Maman, ce que j'ai vu ne ressemble à rien. Un anneau à mon doigt le serre jusqu'au sang. Bientôt, je l'aimerai... Comme il était charmant! Parfois, il souriait. Il parlait de soleil et buvait moins qu' avant. C'était rare, Maman: il préférait penser à la guerre prochaine. Et maintenant je l'aime parce qu'il n'est plus là. Et je resterai seule, à moins qu' on veuille de moi... quelqu'un de quelque part, qui ne me battra pas. Parce qu'il me battait, pas plus que d' habitude certains soirs ou bien d'autres, je ne sais plus pourquoi.L'homme, c' est fait pour ça. C' est vrai: il me battait parce que je suis femme. Je suis femme toujours et me voici encore comme mes soeurs ma mère, la fille que j'aurais si j' avais une fille, pleurant au bord du fleuve comme vous pleuriez toutes, vous autres qui pleurèrent parce qu'il faut pleurer quand l'homme meurt à la guerre. La lune me regarde cependant que je pleure des larmes identiques à celles de la veille, de l'avant veille aussi et puis du jour d'avant, des larmes identiques à celles de ma mère et de sa mère aussi depuis qu'il y a du temps, de la guerre et des hommes. Et des hommes, moi, j'en vois. Il s'en vont, tout cassés en fumant du tabac quand ils en ont encore. Je leur souris parfois, alors, ils croient des choses. Je suis au bord du fleuve, je suis belle, il est vrai. Enfin, belle, peut-être pas, mais il y a en moi quelque chose comme ça qui plaît aux mâles. A ceux qu'on a pas tués: les autres, je ne sais pas. Ils fuient ou bien s'en vont, c'est du pareil au même. Assise près de la route j'entend leurs sifflements. Ils ont ces gestes drus, ces mots vulgaires mais grands que disent les garçons encore un peu vivants. Je n'ai plus qu'à pleurer ces innocences là, celles d'une femme seule parce que mon gars est mort. Mais je ne l'aimais pas. Ecoute-moi, Maman... Croirais-tu donc encore au vrai pouvoir des femmes? Si je l'avais aimé, il serait revenu, car l'amour, tu l'as dit, est plus fort que la mort... Maman, c'est de ma faute! Il est mort, il est mort! et je ne l'aimais pas! Il n'a pas fait d'enfant, mon ventre est resté plat. Si t'es garçon tu meurs. Si t'es fille, ferme la... Je pleure, je pleure, je pleure: je ne sais faire que ça, et puis filer le lin, cuire dans la marmite le déjeuner des hommes, parfois me coucher nue pour peu qu'on me l'ordonne... La guerre a tué cet homme, que je n'aimais pas trop. Pourquoi faire la fière quand on a le coeur lourd? Aussi vrai que j'existe, je n'ai plus que des larmes. Mes larmes cependant disent à la rivière que les femmes, les enfants meurent aussi dans les guerres... Malheureusement, pas moi. En même temps, j'ai faim et je ne mange pas parce qu'il n' y a plus rien à cause de la guerre. Je ne me vendrai pas à ces soldats qui passent... Parce que je suis à lui, l'homme qu' on m' a donné... Je suis au bord du fleuve, j' y vais souvent pleurer; Pas loin il y a la route qu'on vient de repaver. Maman, Maman, si tu m'entendais, tu ne me croirais pas... La Guerre, comme d’habitude. Pierres. Les hommes, jonchaient le sol, la terre : mauvais labour des bombes, des obus et des mines. Les hommes, des morts, durs, des pierres dans un jardin. Des hommes à l’odeur forte de charogne barabaque, et parfois, celle, gelée, sucrée, ignoble de champignons pourris des cervelles éclatées. C’était donc ça, le rêve, le rêve de sauver, de servir, d’aimer à en tuer les autres ? De retrouver l’humanité : ça se conquiert par le meurtre. C’est la mort armée, casquée, bottée. Joies des hyènes, vautours, corneilles… jubilations gloutonnantes des charognards repus. Cris d’orage, ô soleil noir, ô averse d’ironie ! nous vivrons tous, encore, le désir d’infini. On le traîne dans la boue… à peine y pense t-on ! Dans la nuit, c’état vague et croulant des nuages, là-haut, ces masses blanches, lait à thé congelé s’essayaient au galop parce qu’il ventait fort. Ah ! c’est quoi donc, la mort ? Notre histoire, mon bonhomme. L’homme réfrénait en lui toute fraîcheur de jeunesse, savourant salement des pensées vieilles et rances. Ah ! que les cons sont cons ! N’ont rien de mieux à faire, rien de meilleur à foutre ? Ils se gercent l’esprit, résidence du cœur, plutôt que de sourire et pensent à ras de terre si ce n’est pas plus bas. Voilà un choix de vie moisissante à l’excès. L’amertume avec des modes-merveilles bombinements atroces de mouches, poumons couleur chamois irisés de veinules, rates verdâtres au spleen désséché, estomacs noirs sortis des corps. La mal aimée chantait: Si j'étais une Arlésienne qu'on attendrait toujours et qui ne viendrait pas Tu serais plein d'impatience Et tu m'aimerais plus que ça. Si j'étais une Odalisque Replète et grassouillette Alanguie mollement Sur de grands tapis d'Orient Tu m'aimerais… bien plus que ça! Je ne suis pas Parisienne Mais sans façon simplette Et puis sans falbalas Or tu n'es pas vraiment tendre Tu ne m'aimes pas plus que ça. Si j'étais une Italienne Très coquine et câline À l'œillade assassine Tu me trouverais bien plus belle Et tu m'aimerais plus que ça. Ah! fussé-je une Espagnole Nerveuse danseuse Furieusement jalouse Comme le sont les Andalouses Toi, tu m'aimerais plus que ça Et si j'étais Cantatrice Roucoulant de grands airs Norma ou Traviatta je ne te dirais pas:"je t'aime" Pour ne pas me gâter la voix Si je n'étais pas Moi-même Imbécile qui t'aime et que tu ne vois pas Je n'aurais aucun problème Et je ne chanterais pas. Nuit Des cyprès vifs devant les vagues accoutumèrent le sombre au sombre, tandis qu'un jour qui s'en allait obscurcissait par son départ cet instant fort: paroles secondes et nostalgie ordinaire. Regardez-donc, Madame la lune qui s'envole qui accroche à son flanc de la nuée rosissante, mais regardez, ma belle, la vague du crépuscule et les ruisseaux ardents qui sourdent de nous autres! Oui, regardez encore l'attention solidaire du temps qui nous ausculte inscrivant ses minutes aux veines de nos pouls. Est-ce vraiment plaisant de tous nous faire mourir? Habile et si terrible, il restreint chaque jour et s'abolit aussi avec délectation. Or, sa chair est la nôtre,il n'est fait que de nous. Ainsi sont les horloges sanglantes, écarlates, pivoines effrayantes qui battent comme des coeurs. Le regard du cadran est celui d'un miroir. Le soleil tarissait sa clarté, tandis que l'ombre se dévoilait, surgissant d'un crevé, d'une fêlure de l'azur. Vous avez vu comme moi que le vrai fond du ciel est noir, que ce bleu, ô Madame, n'est qu'un tissu, une défroque, trivial vêtement, absurde pardessus, chemise de décence comme on en couvre le corps des gens par souci de pudeur. Anaphores A Martine. Je t'aime dans ton souffle, dans ton odeur de femme, dans tes yeux qui s'enflamment, et ta peau qui s'étonne tandis que je t'admire lorsque, toi, tu chavires parce que tu te donnes. Je t'aime comme un loup qui rôde sous la lune, je t'aime comme un matou qui te veux dans la rue, je t'aime comme un goret pour me vautrer sur toi, plutôt sauvagement puisque nous aimons ça. Je t'aime par tes mots qui caressent et qui griffent, je t'aime par ton corps que je mords et pétris, je t'aime avec tendresse imitant la violence, je t'aime et te bouscule comme un chien maladroit renverse un jeu de quilles. Je t'aime comme une bête, imbécile ou odieuse, mais je ne sais pas dire autrement que je t'aime. Je t'aime avec ferveur, avec soupir et sueur, avec l'élan crétin d'un désir d'animal. Je t'aime ma femelle, ma proie, ô ma pâture je t'aime toi, la femme et sans discernement. Et quand j'ai tout perdu de ma brutalité, je t'appelle ma belle, mon amour, et cela plus respectueusement. Dire qu'à ces moments là, tu me croirais galant! TEMPS CERTAIN. 1. Un temps pour tout, dit-on, vivre et mourir, un temps pour regarder, un autre temps pour voir les gens qui passent vite et ne s'arrêtent pas. Un temps pour tout, en buvant lentement, assis à cette table positivement restreinte d'un café comme un autre. Un temps certain pour être là, un peu tranquille mais déjà triste pour vivre la ville et sa chaleur, ceux qui ne s'arrêtent pas et s'en vont sans qu'on sache pourquoi. Non: ce que je vois n'est plus, même si c'est immobile. Les instant, c'est du verre, translucide, fragile, irrémédiablement, puis rien. Un temps certain pour n'être plus. C'est bien. 2. Décor, ou illusion. Peut-être. Absence, évidemment. Indifférence. Ce que je vois? douleur, sans doute. mais chaleureusement calme, satisfaite, ô combien de ma fragilité. Le temps de la ville se déroule en Tour Eiffel, en boulevards et en automobiles automouvantes avec quelque chose d'un regard qui s'attache à tout. Une femme qui passe, je la regarde. J'aime. Contemplation sereine du flot de ce qui va, et c'est jamais pareil, mais identiquement. Lucidité diaphane, avec d'aucuns reflets d'innocence tardive, et ça me fait mal, très très courtoisement. 3. Un temps pour tout, vivre et mourir, avec des bruits, des mots, et même des murmures. Le regard insoluble de l'amant à l'aimée, entrevu au passage alors qu'on est tout seul. La note trop aigüe du klaxon de taxi, la bière qui tiédit dans la chope si épaisse, "la fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé", l'attente d'une femme quand je suis en avance... est-elle sourire, mouvance, ou bien reflet d'un ciel dans ses cheveux qui bougent? Et je la toucherai, pour sentir sa chaleur, voir sa peau vibrer, la couver de mes yeux, sentir chaque battement de son coeur, si elle m'aime, comme pour m'assurer qu'elle existe, donc moi… Un temps certain pour être là, un temps certain pour être là… s'assurer de bien être c'est partir encore plus. Quoique, au milieu d'amour et d'elle pourraient s'insinuer un peu de certitude: un temps pour être là en disant "mon amour". 4. Bon, la vie est un chiasme, un subtil croisement. Une application vive de choses à bien d'autres. Des jours adviennent, on se dit:"c'est la vie". C'est rarement pareil. Le verre si fin du ciel, celui qui, lourd, tiédit à la table du café à terrasse inscrivent peu à peu les rides sur nos peaux. Un temps pour être là, ce mouvement du sang circule et se répète. Nous le croyons sans bruits. Croirait-on qu'il fait mal si efficacement? Il rugit comme la mer si l'oreille s'y prête, comme l'autre coquillage qui résonne d'elle-même? Chiasme, ô chiasme, imprononçable erreur d'être là malgré tout. Et le sang de bruire comme une locomotive. 5. Un temps pour tout, dit-on, vivre et mourir, un temps pour regarder, un autre temps pour voir, les gens qui passent vite et ne s'arrêtent pas. Un temps pour tout, en buvant lentement, assis à cette table positivement restreinte d'un café comme un autre. Un temps certain pour être là, un peu tranquille mais déjà triste pour vivre la ville et sa chaleur, ceux qui ne s'arrêtent pas et s'en vont sans qu'on sache pourquoi. Non: ce que je vois n'est plus, même si c'est immobile. Les instants sont comme un verre, finement trop fragile, irrémédiablement là, puis rien. Un temps certain pour n'être plus. Et c'est très bien. Explicit. L'ennemi. En quelques points de la Ville s'annonçait aisément la fin de notre monde: des poussières acariâtres salissaient les murailles et des mousses spongieuses s'y agglutinaient, veules… préfaçant l'ennemi. L'ennemi… Viendrait-il d'un désert, d'une solitude certaine? Je ne saurais le dire. Il y aurait là des milliers de guerriers. Je me les appelais d'un très fort mauvais nom. Je n'eus jamais leur savoir, ni même son désir. Quelques uns, de chez nous, tiraient des horoscopes à l'aide de pendules et de tables arithmétiques. Et je les regardais, à peu près surpris. Abominable Oiseau celui qui rôde en moi Plane, plane... Rapace volage volant enfermé dans le plus grand espace, se mouvant librement au milieu du très libre silence Plane, plane… Inscrivant décrivant en toute dérive à l'encre bleue du ciel avec ses propres plumes son existence, son existence même à moins que… Parlant soudainement du parfum oublié des grammaires antiques et des silences de la raison puis même d'un beau jour à jamais effacé et, politiquement du Désir et du cri, du corps si grand des femmes voire de ma ferveur cela dans ce silence tout cela sans un bruit, Ego, scriptor, J'écris.
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