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orlando de rudder
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15 janvier 2006

LAurent tailhade, petit bréviare, première livraison

En intitulant mon livre qui se vent le plus Bréviaire de la gueule de bois, j'ai pensé à mon "grand ancêtre", LAurent Tailhad, l'allumé, l'anar généreux qui a mal tourné et à son Petit Bréviare de la gourmandise. Fils d'un chroniquuer gastronomique, je ne pouvais manquer cette merveille. Ce texte est rare; il fut publié en 1914 par le grand Albert Messein. Et c'est mon nouveau feuilleton dont voici la première livraison. On y verra quelque grandeur... La suite au prochain numéro, qu'on se le dise! Honneur et gloire au salsifis frit! ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ Laurent Tailhade Petit bréviaire de la gourmandise Dans Le crime de Sylvestre Bonnard, l’un des premiers et le meilleur peut-être de ses contes, ravivant la mémoire du sieur Antoine Carême, ce Napoléon de la cuisine qui mourut tout jeune encore (1784-33), brûlé par la flamme du génie et le charbon des rôtissoires, Anatole France a tiré de l’oubli un apophtegme, digne à jamais d’habiter la mémoire des hommes : « Les Beaux-Arts - dit Carême - sont au nombre de cinq, à savoir : la Peinture, la Poésie, la Musique, la Sculpture et l’Architecture laquelle a pour branche principale la Pâtisserie. » Le grand homme en veste blanche, qui légua cette phrase rapide et magnanime aux siècles à venir, qui, s’égalant à Mansard, à Gabriel, à Claude Perrault, ne voyait entre la Colonnade du Louvre, entre le Garde-Meuble et les fruits en pyramides ou les pièces montées, aucune distinction qui ne fût à sa gloire, promulgue un axiome définitif et la plus solide vérité quand, touché par la Muse des fourneaux, il attribue à la cuisine un rang d’élection, que dis-je ? la première place dans le royaume des Beaux-Arts. Car il serait injuste de borner à la technique, enchanteresse mais subsidiaire, des Boissier ou des Rebattet, la maxime du vieux maître. Elle comprend aussi bien que le Petit-four, la broche, la casserole et toutes les sortes de fourneaux. Depuis le temps de la préhistoire, cet Âge d’or où le Pithécanthrope mal évolué se nourrissait de glands, d’herbe verte et de gibier cru, buvait aux cressonières l’eau féconde en vilaines bêtes jusqu’à l’ère auguste des Cambacérès et des Grimod, des goinfres magnanimes dont s’honora la France, au début du siècle dernier, l’homme n’a pas eu de but plus constant ni de plus chère étude que le moyen d’accroître et d’améliorer les passe-temps de bouche qui sont à la fois le premier besoin de la nature et le plus bel ornement des civilisations. La table, en effet, se peut définir le lien civil par excellence. Elle donne de l’esprit aux niais, du caractère aux timides. Elle oriente nos humeurs vers l’optimisme, la courtoisie et la libéralité. L’heure de la digestion est celle où tous les hommes se reconnaissent pour frères, où, dans l’azur des cigares exquis, leur entendement, de prime abord, élucide les problèmes dont la discussion a pour effet ordinaire de les mettre en courroux. Le praticien, en veste blanche, qui marmitonne les ragoûts, entérine les sauces et conquiert sur Héphaistos la gloire des rôtis, quand il ajoute du poivre ou modère les épices, fomente, du même coup, belle humeur et sociabilité. C’est un grand poète, expert à créer des émotions, grâce au langage péremptoire des papilles gustatives. Il combine des saveurs, suscite des arômes. Il dégage le potentiel des truffes, les arcanes du gibier, comme d’autres élaborent une sonate ou un sonnet. La cuisine pacificatrice élève l’esprit, adoucit les mœurs. Elle fait jaillir l’éloquence des lèvres qu’elle a touchées. Certains coulis ont la profondeur abstruse des métaphysiques ; il est des sauces à la crème dont la douceur émeut comme le récit d’une bonne action. Les champignons évoquent des sites forestiers, les huîtres des paysages maritimes, souvenir de Courbet ou de Ruysdaël. Mêlé à la pulpe écarlate des pommes d’or, le poivre de Cayenne suggère une vision d’Afrique ou d’Andalousie, d’oulels-naïls ou de chanteuses gaditanes, mimant le jalejo dans une de ces venta où l’ombre de Don Quichotte semble revenir encore, auberges où l’on dîne, s’il en faut croire Mérimée, d’un potage aux piments, que suit un poulet aux piments, avec, pour tout dessert, une salade, à l’huile forte, de piments. Et l’ail, ce condiment divin, effroi des estomacs valétudinaires, méconnu par le débile Horace qui, sans doute, enviait les « dures entrailles » des estivadours, et se privait, à contre-cœur, de bulbes odoriférants, l’ail avec son frère l’oignon et sa cousine l’échalote, ne colore-t-il point de ses vigueurs l’allégresse permanente, l’ironie et le lyrisme incomparables du Midi français ? L’esprit et le cœur, l’imagination et la sensibilité se délectent pareillement à la mode culinaire. La cuisine inspire à ses adeptes des mots délicieux. « On mangerait son propre père à cette sauce-là », déclare Grimod de la Reynière, auteur des œufs brouillés à la laitance de carpes, en avalant une chartreuse de perdreaux. « Pour manger une dinde truffée, il convient d’être deux. affirme l’abbé Morelet. Je n’en use jamais autrement. Ainsi, j’en ai une aujourd’hui. Nous serons deux, la dinde et moi. » Et Montmaur, Montmaur le Grec, -helléniste fameux et non moins illustre pique-assiette, coupe court, sous Louis XIII, à des propos intempestifs. - De grâce ! réclame-t-il. Un peu de silence. On ne s’entend pas manger. Mais la cuisine, ce premier des arts, maître de l’univers, n’a pas eu tout temps relui d’une même splendeur. Il a connu des jours d’éclipse et de revers. Les peuples sobres, nourris d’olives et d’eau claire, les Grecs d’Aristophane qui, pour un banquet de fête conviaient leurs amis à partager des figues, un morceau de lièvre et quelques grives (Cf. La Paix, les Acharniens) n’atteignirent jamais à la voracité grandiose, à l’ampleur des Romains dans la goinfrerie et dans la bonne chère. Au Banquet de Platon, il n’est aucunement parlé de nourriture. Le jeune Alcibiade y paraît seul en pointe de vin. Il trouble à peine le sublime entretien des convives ; puis, ayant posé sur le front de Socrate sa couronne de violettes, il se mêle gravement à leurs discours. Les Hellènes d’à présent n’ont pas renié cette frugalité de leurs pères. Les compagnons d’Hadji Stavros ont même régime que les soldats de Léonidas ou les convives d’Agathon. M. Georges Clémenceau nous racontait que, lors d’un récent voyage en Grèce, il coucha dans un bourg du Péloponèse. Sa chambre - la plus confortable du pays - ouvrait sur un mail où les hommes du village eurent l’idée importune de se donner un medianoche. Les cris, les chants, les altercations et les rires empêchaient le touriste de dormir. On était en plein mois d’août. Il eut la curiosité de descendre pour voir de près ce repas tumultueux. Le festin se composait d’eau fraîche et de pétoncles faisant les trois services, tenant lieu de rôt et d’entremets. Au moyen d’une épingle, chacun des convives retirait le mollusque de sa coquille, comme on fait en Bretagne pour les bigorneaux en poussant plus de clameurs que tous les suppôts de Gargantua et les Argiens d’Homère, autour d’un bœuf entier posé sur un plat d’or. Maîtresse du monde, impératrice des nations, Rome étendit son empire sur la table et là - comme partout ailleurs - donna des lois à l’Univers. La tempérance de la vieille féodalité romaine, le goût des « ognons crus et du vinaigre militaire » quand la richesse du monde se vint condenser autour du Capitole, eurent bientôt fait de disparaître. Les noms de Lucullus, d’Apicius, de Sempronius, Rufus... qui le premier fit servir sur sa table la cigogne au pied rouge et le turbot marin, brillent comme des Dieux parmi les classiques de la bouche. On n’a retenu du premier que la déclaration magnanime : « Lucullus dîne chez Lucullus » encore qu’il se soit avéré comme un administrateur insigne et l’un des plus fameux lieutenants de Pompée. Le second reluit davantage, grâce aux faiseurs d’anas. Le public n’a pas oublié qu’après avoir dissipé en bombances gigantesques à peu près une centaine de millions, il préféra mourir que vivre dans la détresse, n’ayant plus que deux millions quatre cent mille francs pour alimenter sa boulimie. Il se tua plutôt que de renoncer aux turbots monstrueux, aux sangliers de Venafre ainsi qu’aux vins de Falerne cachetés dans l’amphore, Manlius étant consul. Aulus Vitellius revêtit de la pourpre impériale son insatiable gourmandise. (à suivre)
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