Le bûcheron de Reugnies (Conte hennuyer).

Hommage à Alphonse Allais.

Il y avait autrefois, près de Reugnies, un bûcheron de haute taille nommé Jean. Ma mémoire vacille un peu, mais vous allez voir, c'est une belle histoire. Attendez que je me souvienne.. Donc, à Reugnies... vous savez, là où l'on produisait de la terrine de rat musqué...Reugnies, quoi, à la frontière! Moi, j'aime bien la Belgique...Mais bon, ce n'est pas la question... Au fait, pendant que j'y pense, je me trompe...Ce n'était pas à Reugnies...

Mais pas loin...Zut, comment ça s'appelle? C'est plus grand que Reugnies...Et puis il n'y a pas de rat musqué... Ah, voilà, je recommence, parce qu'en fait, ça se passait en ville!

Reprenons: Donc, il y avait à Maubeuge un bûcheron de haute taille nommé Jean. Quand je dis de haute taille, n'exagérons rien. En fait il était petit et gros. Mais d'une petitesse et d'un embonpoint arrangés de telle sorte qu'il paraissait grand et maigre. C'est rare, mais ça arrive quelquefois, et pas seulement dans le Hainaut. C'est joli, le Hainaut...Reugnies, en tout cas...mais dans le genre moderne, Maubeuge c'est pas mal non plus. Et puis, à Maubeuge, il y a Jeannette... Ah! Jeannette! Ses yeux! Sa grâce, ses...Bon, je m'égare... Donc, un bûcheron, à Maubeuge...

Non mais vous en avez de bonnes, vous! Ca alors! Franchement, un bûcheron à Maubeuge! Que ferait-il là, en pleine ville, hein? Déjà qu'avec la tempête, il y a eu plein d'arbres brisés, alors un bûcheron, franchement, c'est peu probable! A Maubeuge! Pourquoi pas à Clermont-Ferrand pendant que vous y êtes? Non, il n'y a pas de bûcheron à Clermont-Ferrand, on y fabrique des pneus. Sauf les jours de congé ou de grève...

Revenons à Maubeuge. Donc, Jean n'était pas bûcheron. Mais que faisait-il alors? Épicier? Oui, c'est ça, épicier! Je me souviens, maintenant. Je recommence: il y avait autrefois, à Maubeuge un épicier petit et gros mais qui paraissait grand et maigre nommé Jean. Enfin, Jean...c'est peut-être Pierre. Ce n'était pas un aigle, en tout cas. Parce que Jean, l'évangéliste, c'est l'aigle de Pathmos... On le surnomme ainsi. Il ne faut pas confondre avec saint Jean-Baptiste, hein, parce que ce n'est pas pareil. Baptiste! Un nom de mouchoir! C'est vraiment ridicule. Mais ça n'a pas d'importance puisque Jean s'appelait Pierre. Et qu'il était épicier... Non, je me trompe encore! C'est le mari de Jeannette, ce salaud qui est épicier... Sans lui, il y a longtemps que Jeannette et moi... Jeannette Voilà pourquoi j'ai confondu les prénoms: Jeannette, Jean... En fait, c'est Pierre. Sauf que Pierrette, elle vit à Solre-le-Château. Vous savez, là où l'église à un clocher à bulbe qui penche. Je vous raconterai un jour pourquoi. J'aime bien raconter, moi... Pierrette habite dans une très belle maison. Mais elle a eu quelques soucis ces derniers temps;J'espère que ça va mieux, parce que c'est une chouette fille, Pierrette...

Donc le bûcheron n'était pas épicier...

C'est dommage, parce qu'à Maubeuge, les petits commerces ferment l'un après l'autre. Un épicier, ce ne serait pas de trop. D'ailleurs, le mari de Jeannette, ce gros bouffi, va s'installer autre part. Tant mieux, bon débarras. Moi, avec mon vélo, j'irai quand même voir Jeannette, si c'est pas trop loin. Ce serait marrant qu'ils s'installent à Solre- le- Château, près de chez Pierrette.ele n'est pas mal non plus, Pierrette, pour ceux qui aiment ce genre-là... Quand je dis « mon vélo », faut voir...Car cette machine montre une grâce toute féminine! Ça ne m'étonnerait pas qu'il s'agisse d'une bicyclette! Vraiment pas!

Mais alors, que faisait-il, Pierre, comme boulot? J'ai oublié. Ça arrive. Bon: il y avait autrefois, à Maubeuge, un homme nommé Pierre... Quand je dis autrefois, faut pas exagérer... Autrefois! Vous en avez de bonnes! En fait, cette histoire est un conte d'anticipation. Rien n'est encore arrivé;c'est comme moi avec Jeannette, j'ai beau essayer, elle se dégage, évite... J'en ai marre, d'ailleurs... Pierrette, après tout, ce serait peut-être mieux. Mais, pour aller à Solre -le- Château mon vélo, il faut que je le répare. A Clermont-Ferrand, ils font de bons pneus, mais des fois, que voulez-vous, on crève quand même. Faut dire que les routes, par ici...je sais, je sais, le Conseil Général fait des efforts, de grands travaux... mais les budgets... C'est toujours la même chose: l'argent! Y en a jamais assez!

Finalement, Pierre, on s'en fout. Ce n'est pas une très belle histoire. Et puis qui peut préjuger de l'avenir, qui n'appartient qu'à Dieu, hein? N'empêche que s'il est comme le passé, l'avenir, je ne le félicite pas, Dieu! Heureusement qu'il n'existe pas. Comme Pierre. Vous n'avez pas honte de lire des bêtises pareilles?