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orlando de rudder
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22 février 2007

Quatre et quatre font huit.

On aurait dit des tranches de bœuf, parfois minces, souvent joufflues : même les plus roses évoquaient des souvenirs de viande. De ci, de là les trous vers l’azur paraissaient exploser, violence d’un bleu hargneux.  J’avais deux pieds dans le ruisseau. Marjolaine me semblait immense. C’est grâce à elle qu’on était deux.  Nous avions refusé quelques ânonnements du désir. On se l'est fait aigu comme en tranches de silex. Ensuite, elle s’était assise sur l’herbe de la berge, les genoux en vacances et le corps. chamboulé.

Il y a souvent une Peugeot quelque part dans la campagne pour déranger les amants fiers. Celle-ci passa comme on se noie, absorbée par la torpeur étrange de ce jour d’orage. Ensemble, nous ressemblions à une promesse. De celles qu’on fait aux enfants. Ou encore, nous imitions la promesse d’une église à bâtir en un lieu désolé. 

Nous étions une reconquête. Une croix sur tel jour ordinaire et mesquin. Elle s’est faite à moi par la main. C’est une construction : chaque geste est un père. Je l’ai environnée de caresses futiles. Comme par hésitation. Elle m'a saisi au vif et vogue la galère. Nous savions tous deux qu’on recommencerait. Le futur antérieur est le temps des grandes vies. Celles qui sont juteuses et tachent les moustaches. En ce jour de viande avisée, les absents redevenaient de véritables autres.

Le crépuscule singeait le temps des malédictions de légendes. Marjolaine se sentait terriblement contente. Nos peaux échangèrent leurs jolies couleurs lesquelles font honte au ciel qu’on ne regarde plus . C’est en l’environnant que j’ai plongé en elle. Nous avons su montrer notre grandeur. Faire honte  au ciel sanglant.  Aux grands flocons de viande, ces nuages épais.

En ce lieu d’autrefois s’élevait une grange. Au carrefour , pas loin, il y eut un échafaud en des temps incongrus qui ont osé finir. Les pendus sous le vent s’écorchaient au bois de la potence. Les échardes ne saignent pas. Et j’ai outrepassé Marjolaine en ce jour. Ses genoux en vacances se sont d’abord boudés. On a joué le jeu jusqu’au cri déchirant. Quand on est en ferveur de rut âpre et rugueux, tout devient du futur, même pour un seul instant.

Le ciel ne soigna pas sa plaie à raconter. Il saigna derechef en blessures immobiles. Le vent soufflait en nous, le vent de l’esprit cru, le vent de viande aussi et de viscères dansants. Transparence de vitre ! Nos yeux qui se plantèrent et les uns dans les autres et les autres comme en un. Quatre et quatre font huit dès le premier reflet. Ensuite ça s’acoquine en infini verbeux, avec les mots qui déchirent, genre grosse brute en vadrouille.

Quand on a ralenti, ô désert de nous deux, le temps  à bien voulu des remettre à passer. Et les nuages rouges, comme dans un presse-purée, se sont effilochés car le vent commença. Et v’lan, la pluie osa tabasser la surface de la rivière lente : c’est pour l’accélérer. La Peugeot repassa, nous regardant peut-être vu qu’on était tout nus, elle encore plus que moi par ses genoux épars.

Mais nous étions vitres, infini des fenêtres, transparence éternelle et je ne sais plus quoi. L’eau impérieuse a donc célébré nos peaux. Chair de poule sous la tiédeur de grosses gouttes, tendres mais vachardes, comme les dents de Marjolaine gravées sur mon épaule.

Nous connaissions tous les chemins : celui d’Heurtebise, celui de Rosibus de Fefu, de Comagne et bien d’autres encore. Mais nous étions perdus. Perdus de corps à corps, de regards en regards et de mains décidées.   De bouche avides et lentes et, soudain, ça va vite.

Bah, même en voyant le hêtre rouge, réassorti au ciel, on ne s’inquiétait pas de savoir où l’on est. Ce genre d’égarements connaît toutes les routes. Le ciel n’est qu’une façade. On le sait, maintenant. Quatre et quatre font huit à la six-quatre-deux.

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