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orlando de rudder
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14 septembre 2006

Un texte d'Otto Ganz!

Je l'ai déjà dit! Il faut lire Otto Ganz! On peut tout trouver de cet écrivain sur le net!  Et puis, voici un texte  d'Otto: cela paraîtra aux éditions "écoline" avec des illustrations de Catherine Amathéü! Carrément!
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les réalités premières 

Otto Ganz, Septembre 2006

Pour Cassiel

A ma Théü

En Egée

Je suis face à une porte sans serrure, sans ferrures. Je suis incapable de faire le moindre mouvement, pris dans une toile tissée minutieusement en une fraction de seconde. Seuls mes yeux bougent. Aucune araignée.

Jacky Lecce

On dira ou on pensera… on racontera ce qu’on pourra de moi, mais : c’est comme ça. J’ai une pourrie mémoire… un fromage de tête où il fait beau vide : c’est comme ça ; un tortueux troué frometon dans lequel l’écho prend toujours le détour de m’égarer brelan a été vissé sur mes épaules. Pas que ça ne m’ennuie pas, pas que ça me mine pas, au contraire, mais : c’est comme ça. Je fais toujours plus que ce que je crois devoir, oui… par contre, pour ce qui est de la mémoire, on repassera. Le pôpa et la môman d’Otto Ganz se sont appliqué à le fabriquer avec désir et attention, concevoir, dit-on consensuellement, sous tous les angles : un charmant bambin, rangé et agencé, avec la batterie de cuisine, la bibliothèque, les commodités et le vaisselier plein à craquer, les bibelots bien où il faut. Par contre, pour le ciboire, c’est en gruyère qu’ils le sculptèrent, avec des vides, des poches sombres et des galeries de souris, histoire d’assurer des courants d’air, histoire d’éviter que ça ne stagne trop ou que ça sente le vieux soulier renfermé. C’est bien fait la nature, non ? De toute façon, c’est comme ça. Pas de mémoire, depuis qu’il est p’tit, l’ami Ganz, parce qu’il disait ne voir le monde que par la serrure de ses paupières.

C’est beau un trou de serrure, c’est propre, net, bien dessiné. Ça demande de la précision, du doigté, des gestes de dentiste ou de gynécologue, un beau trou de serrure. Ça vous date une porte et un intérieur, ce petit orifice : ça connote. Et puis, imagine-t-on pas le boulot que ça suppose de l’habiller ? Du travail d’artiste je vous dis, et j’en sais quelque chose. Ma vie passe par des trous de serrures, les clés sont enlevées et j’aperçois, de l’autre côté de la porte, une jeune femme. La boniche qu’on disait, qui se déshabillait. Si je n’ai oublié que son nom, c’est sans doute qu’il m’intéressa peu...

Je ne suis pas grand, j’ai déjà pas de mémoire mais des yeux, ça, j’en ai deux bien pointus, bien perçants, un fermé, l’autre calé dans l’axe, bien droit, derrière le rond de lumière qui traverse la porte. Presque tous les soir, le petit Otto colle l’oeil au trou de serrure d’une porte cirée en bois clair. S’y déroule, tout au fond et à heures plus ou moins fixes, l’effeuillage inconscient d’une servante dont il scrute le corps sans comprendre en quoi et cette position d’arrêt et ce corps sont déplacés l’un pour l’autre. La porte sépare deux individus… heureusement ? Oui, sans doute. Sans le refuge de la serrure, sa position stratégique, Otto ne serait pas là. Je doute en effet que, sans cette séparation, sans le trou de serrure, sans l’impossible ignorance, les choses vaillent encore la peine d’être vues, observées, déshabillées du regard.

Le sexe du gamin Otto est dur et tout petit. Il ne sait de toute façon pas encore qu’en faire. Qu’on se rassure, ce n’est pas un problème de mémoire, non. Otto ne l’apprendra que bien plus tard, dans d’autres circonstances, mais aussi, c’est comme ça, au travers du trou d’une serrure ouvragée sur une autre chambre.

Celui qui s’agitait sur le lit, que j’observais sans laisser filtrer le moindre son, n’était autre que moi-même. Je savais que j’allais mourir.   

*

*   *

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Commentaires
P
Bon ben j'comprends mieux maintenant pourquoi tu en parles si souvent et le cite à tour de bras. J'sens que j'vais me faire une cure d'Otto Ganz de derrière les fagots moi. Garçon un Otto Ganz s'il vous plaît, et qu'ça saute !
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