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orlando de rudder
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23 janvier 2006

Le Miroir et le masque 5

Comédies du visage. Gain de temps. Un visage, ne l’oublions pas, constitue un gain de temps appréciable. On se reconnaît ainsi et nos familiers comme nos relations n’ont pas à nous demander de nous re-présenter à chaque fois qu’on les rencontre. C’est banal. Ce qui est décrit ci-dessus briserait les routines et trantrans. C’est, en quelque sorte, le rôle du carnaval. Alors, pour parfaire l’illusion d’optique dans l’optique de l’illusion, il faudrait inventer un miroir d’une espèce particulière autant que neuve : En s’y mirant, on verrait quelqu’un d’autre. Ou un masque. Plein ou vide ? Animé ? Décervelé ? Le coût d’un miroir. Le jeu d’être soi se désintéresse des identités comme des apparences. Il faut s’y dissoudre pour exister vraiment. Penser pèse : pensare. Refléter réfléchit. Admirable mirages de ce qui mire ou masque ! Mascarade démasquée de ce qui masque ou mire ! Attention ! A carnaval échu, prenez bien soin de vérifier que vous portiez un masque ! Sinon, croyant l’ôter, vous risqueriez d’arracher votre propre visage. Ecorcher, écorcer ? Dépecer, dévisager ? Démasquage, desquamage ? Quel dommage ! C’est douloureux. C’est une perte de temps. Cela rend les miroirs moins utiles. Un miroir, c’est coûteux : il convient de le rentabiliser, bien qu’on ne puisse parler d’amortissement : Je n’ai pas besoin d’identité, puisque je suis moi-même. Histoires : les stades du miroir. Si le masque passe son temps en présence chez l’homme, il n’en est pas de même pour le miroir. Le masque peut exister tout en n’existants pas : il suffit de changer d’expression de sourire, surtout fallacieusement, de se munir la face d’une expression hypocritement bienveillante pour que le masque soit, d’une façon plus intensément vraie que métaphorique. On peut, évidemment s’adorner de ces expression devant un miroir. On ne l’a pas toujours pu, du moins généralement. Les miroirs furent rares jusqu’à une date récente. Il a fallu le travail des verriers de la Renaissance pour en faire un objet d’usage courant. Autrement, Narcisse n’eût pas été surpris de se découvrir en plein reflet. Jadis, on utilisait d’infidèles surfaces aplanies, cuivre, acier… ou l’eau de la claire fontaine… Il a fallu le manque de transparence d’une glace sans tain pour qu’advienne le miroir. Mais le reflet a, semble t-il, toujours existé. Est-ce une ombre en couleurs ? Carence narcissique ? Le narcissisme est-il un vilain défaut ? Sa carence, les traumatismes qu’on lui inflige nous rendent criminels : parmi ceux qui tuent leurs prochains, serial cillés ou autres, souffrent souvent, disent les psychanalystes, d’une « blessure narcissique ». Il y a des vagues sur l’onde ou bien le miroir est fêlé. Car, s’il était brisé, on pourrait se voir parfaitement dans chacun des fragments, sauf ténuité particulière. En tout cas, il existe des sectes, des débris de grandes religions, éclats tranchants d’un curieux reflet que se donne l’être humain à lui-même qui interdisent la représentation de la figure des hommes, des êtres animés. Ce qui n’évacue pas le miroir : des femmes voilées d’Islam se regardent parfois, sans même découvrir leurs lèvres, masquées de tissu, assidues d’inapparence. Basil Sidney. Parmi ces sectes il en est une qui nous a offert un paradoxe du comédien particulièrement intéressant. On sait que beaucoup d’acteurs s’entraînent devant une glace et se regardent jouer au moyen de cassettes vidéo. Ce que ne pouvaient guère faire Armande Béjart, Lekain, Talma ou l’histrion de l’ancienne Grèce. La possibilité neuve d’une telle étude fut négligée par Basil Sidney (1894-1968), membre d’un groupe religieux antispéculaire. Basil Sidney n’avait donc pas le droit de contempler sa propre image. Il n’en fut pas moins un acteur respectable. Voici qu’un jour, pour une raison quelconque, le son d’un film fut défaillant. Il fallut post-synchroniser. Et Basil Sidney y consentit à la condition de tourner le dos à l’écran. Il devait donc se raser à l’aveugle… Comme le font ceux qui ne voient ni les masques, ni les miroirs. Mais qu’est-ce que « voir un miroir » ? Voir l’objet ou le reflet qu’il propose ? Sabre. Se raser… Jadis, nous, les hommes, utilisions de beaux rasoirs sabre, à la lame incurvée, en savourant le chuintement de l’acier sur le cuivre, le crissement de la pâte zéolithe. Les plus récents de ces rasoirs à l’ancienne mode, Sheffield ou Solingen, étaient en inox, et miroitaient brillamment, reflétant ainsi le poil qu’ils allaient trancher net. La lame nous offrait un vague danger quotidien. De plus, il s’agissait aussi d’une arme de voyou : frissons à bon marché avec la mousse en prime. Masque poilu ? Se raser… pourquoi ne pas se laisser pousser la barbe ? Certains la portent, d’autre non. C’est parfois une mode. Est-ce un masque ? On dit que Lincoln laissa pousser sa barbe pour dissimuler un menton trop fuyant, d’autres cachent ainsi une cicatrice. C’est donc aussi un masque en nous que cette barbe masculine. Que dire des femmes à barbe ? Elles ne sont pas hommes, mais en ont un peu l’apparence : masque ? Dissimilation, ressemblance ? Qui donc s'avance ainsi en désignant son masque ? L’acteur ? Le revoici ! Bombes. Mais aussi le soldat, le militaire, le terrible Perse qu’Alexandre combattit, les soldats de Darius, aux cheveux florissant, aux barbes spectaculaires, signe, pour eux, de virilité. Les soldats se ressemble d’une armée à l’autre : interchangeables, pions, ils n’ont aucune raison de ne pas ressembler à l’image de leur ennemi. Ceci au temps où les guerres, bien que débordant largement sur les populations par des pillages, des viols, etc. concernaient principalement les combattants. Aujourd’hui, dûment masqués, ils meurent plus rarement tandis qu’on massacre les civils avec des bombes. Pilosus versus glaber. A l’époque d’Alexandre, les Grecs connaissaient évidemment le combat rapproché. Une belle barbe est une bonne prise, une chevelure opulente transforme l’adversaire en Absalon : il est foutu, mort. Aussi Alexandre ordonnait à ses hommes de se raser scrupuleusement. Le masque barbu du Perse devint une galéjade. Et le malheureux soldat de Darius devint peut-être imberbe lui aussi… Ressembler. Autres guerres, autres masques : loin de la barbe du sapeur Camembert, les masques ou les tatouages de guerres doivent effrayé l’ennemi et rendre les dieux propices. Selon ce à quoi ressemble le masque. Ressembler ? Ce n’est pas encore être. Est-ce meilleur ou pire ? Que dire du visage, masque inamovible ? Pire ? On ne peut jouer avec sa ressemblance sans risques. Se mirer engage, qu’on se trouve beau ou laid. Pour un comédien, comme Basil Sidney, la mascarade devient caverneuse, profonde : on ne voit pas même l’ombre de ce qui serait si cela était. Car cela n’est pas ! Il s’agit de films, de rôle et l’image que Sidney ne voulait absolument pas contempler était un autre, le rôle. Pire ! L’ Autre n’est-il autre que par d’autres alternances d’egos ? Car il avait même joué un double rôle, un double je, un autre autre. Un autre faisant partie d’une autre religion que la sienne, puisque dans Romance, film oublié de 1920, il joue un prêtre catholique, mais aussi le neveu de ce dernier. A peine commence t-on la comédie qu’elle continue ! Ensuite, après avoir incarné Ponce Pilate, Il joua Louis XIV, celui qui fit construire la Galerie des glaces ! Imaginons ce pauvre Basil Sidney devant s’y déplacer sans se voir, sans se rencontrer, sans face-à-face infini ! Hamlet. Laurence Olivier fit jouer Basil Sidney dans son film Hamlet. Là encore, ça se complique, puisque ce fut pour incarner le roi, le roi meurtrier, celui qui avait tué le père d’Hamlet, celui qui revint sous forme de fantôme. Mais il ne s’agit pas d’un songe, comme dans le cas, déjà mentionné, de Jézabel. Le fantôme n’est pas maquillé. Mais en vêtement énergique de roi, gouverneur et soldat. Textile pour se vêtir et armures protègent différemment. Le songe n’apparaît pas comme l’hallucination. Je est un autre à titre onéreux. Nous ne nous éloignons guère du masque, ni du miroir, puisque la pièce de Shakespeare nous montre des comédiens. Hamlet leur fait jouer une pièce dans laquelle on voit se dérouler un meurtre similaire à celui qui détruisit son père. Masques, certes, de visages même, lorsque les acteurs jouent. Car ils « incarnent » en prêtant leurs faces, en les louant. Ils sont payés pour être des autres. Et sur l’argent, monnaies ou billets, on voit des effigies. Quant aux chèques… il va bien falloir penser encore à ce que représente une signature ! Abyme. Mais, théâtre dans le théâtre, la pièce représentée constitue aussi une mise en abyme. Comme les fameuses boucles d’oreilles de la Vache qui rit en forme de boîte de vache qui rit sur lesquelles on voit la Vache qui rit porter des boucles d’oreilles sur lesquelles… Continuons. Comme on le voit, le comédien, face à son destin, est fort impliqué. Et parmi les comédiens, Basil Sidney plus que d’autres dans ce jeu d’images à l’identique. Et c’est bien là le problème universel de la représentation. Continuons Miroirs de l’âme. Il fallut aussi la folie dévastatrice de Cavalcanti, cinéaste aux lumières à dormir debout pour que Sidney devînt un officier allemand se déguisant en allié. Rien n’est simple et ce film s’intitule Went the day well. La date? 1942! Dans quel regard fut-il lui-même, Basil Sidney ? Y eut-il quelques « miroirs de l’âme » pour l’envisager « entre quatre z’yeux » ? Son épouse, peut-être, s’il fut marié. Laquelle, ma foi, eût été « une seule chair » avec lui selon la formule consécratoire et consacrée. Restons-en là pour le moment ! Coupe au Carré. Se raser sans miroir est possible, quoique aventureux. On ne sait pas si Basil Sidney se coupait, s'il maîtrisait l'auto rasage ou si quelqu'un d'autre le barbifiait. Mais qu’aurait-il fait s’il avait dû interpréter le rôle de quelqu’un qui se regarde dans un miroir ? A la façon de Marguerite, dans le Faust de Gounod. Mais il s’agit d’une femme : elle ne se rase pas. Néanmoins, il s’agit d’un Opéra dont l’un des librettistes se nomme Barbier, tandis que l’autre s’appelle Carré, comme la coupe. Mais n’allons pas plus loin dans l’explication tirée par les cheveux que l’on coupe en quatre. Penser aux autres. Marguerite se regarde, se trouve belle et rit. Sidney n’a jamais pu vérifier s’il était beau ou laid. Mais quelle est la raison pour laquelle la secte dont –il faisait partie interdisait l’auto contemplation ? Est-ce parce que Dieu nous a fait à son image, selon la Bible et que personne ne peut Le regarder en face ? Voit-on Dieu dans une glace ? Mais les autres ? Car il faut penser aux autres : l’égoïsme est un fort vilain défaut. D’utilité, finalement, restreinte. La vie est difficile. Dès lors, il apparaît que Dieu a aussi créé les autres à Son image. Dont, si c’est la raison d’un interdit religieux, il n’est pas question de regarder son prochain, son semblable, son frère…Une radicalisation intégriste d’un tel dogme rendrait la vie difficile. Mais elle l’est déjà. Alors, pourquoi pas ? Faisons-nous partie de notre propre image ou bien, au contraire… ? Représentations. Pour les catholiques, entre autres, on peut représenter Dieu. Les Grecs en sculptaient des images. Est-ce à dire qu’on ne peut voir que des représentations de Dieu ? Et qu’on pourrait donc interdire de se regarder dans une glace, sous peine de le voir directement, en face, puisque nous sommes comme lui ou, du moins, à Son image ? Certains polythéistes ou animistes fabriquent de superbes masques représentant leurs divinités. Mais qui se raserait devant un masque africain ? Dissimulations et exhibitions pileuses. De là à penser que Dieu est Celui devrant Lequel on ne se rase pas, il n’y a qu’un pas. Est-ce pour cela que les intégristes juifs et musulmans portent la barbe. Et comment expliquer que les femmes juives cachent leurs pilosités, leurs cheveux au moyen d’une perruque ? Disons que l’homme exhibe son poil, dans cette religion, et que la femme le cache Le voile de la femme à barbe. Mais alors, que doit faire une femme à barbe juive ? Pourquoi ne pas la masquer ? … ou lui recouvrir la barbe d’un voile, ce qui est plus commode et rejoint un usage de certains musulmans ? Peut-elle montrer sa barbe et non ses cheveux ? A moins que la barbe soit, comme nos l’avons évoqué, un moyen de dissimulation du visage. Dès lors, le voile est le masque, tandis que le visage s’embroussaille en secret. Dieu reconnaîtra les siens, avec ou sans barbe, avec ou sans voile… Rôle de composition. Basil Sidney n’était pas grec. Ni antique. C’est dommage. Qu’aurait pu faire ce comédien, à condition que sa secte existât déjà bien avant Jésus-Christ ? Les acteurs, en ce temps, portaient des masques. Certes, les miroirs n’étaient pas aussi courants qu’aujourd’hui. Mais la question demeure : aurait-il pu se regarder masqué sur une surface polie ? Cette question semble pertinente : Et s’il avait joué, de nos jours, un rôle de composition dans lequel il eût été méconnaissable ? Ce qui est le cas dans le théâtre japonais, Nô, dans lequel des hommes jouent des rôles de femmes, se maquillent en conséquence, et ne se ressemblent pas sur scène. Basil Sidney aurait-il eu le même problème au Japon ? C’est à VOIR. Le Nô a ses limites. Imagine t-on sur une scène de théâtre un personnage de femme à barbe joué par un homme, un acteur de sexe masculin ? Il lui faudrait peut-être, ou alors sans doute, porter un postiche. Quelque chose d’analogue à ces faux-seins que portent certains travestis de carnaval… Mais d’un autre sens. Un film en hommage à Basil Sidney. La carrière de Basil Sidney fut celle d’un solide second rôle. Ce fut une longue carrière et sans doute mériterait-elle d’être relatée par des Mémoires, une biographie. Pourquoi pas un film ? Le mieux eût été de le réaliser du vivant de Basil Sidney. Ce film aurait été avantageusement produit en hommage au vieux comédien, avant sa mort. Sans doute aurait-il pu mesurer le chemin parcouru durant son existence et réfléchir à son destin. Mais aurait-il pu contempler un acteur jouant son rôle ? Voire lui ressemblant comme un reflet dans un miroir par le moyen d’un masque habilement fabriqué? Lui aurait-il été autorisé de se voir, durant ses débuts reconstitués à l’écran par un scénariste avisé tandis qu’un jeune acteur retracerait son existence ? Ainsi se déroulerait une version neuve du Portrait de Dorian Gray : l’image de la jeunesse d’un homme vue par le même en vieux, pétri d’une envie de jeunesse autant que d’une jalousie envers les moins âgés. Double jeu du je ! Nous ne saurons jamais si Basil Sidney, n’ayant pas le droit de contempler son image, aurait eu celui de regarder un autre lui-même, fallacieux, mais identique autant que faire ce peut ? Voire deux fois identique, puisque l’on devrait sans doute évoquer Romance, ce film de 1920 dans lequel Sidney jouait deux rôles, comme nous l’avons vu. Est-on soi-même quand on est joué ? Et qu’on est joué en train de jouer le rôle de quelqu’un d’autre par un acteur qui en fait autant ? Quand on est incarné ? Quand je est un autre et que l’autre n’est plus lui, mais soi durant le temps d’un film ? Et que soi devient autre d’une façon fictionnelle ? Démasquons le réel, fût-ce au cinéma !? Peut on parler de moi en soi, per se? D’ipséité ? De quoi a-t-il l’air, le réel, en tant que chose à représenter ? De quelle fiction sommes-nous bâtis ? Exigence. Il va sans dire que le film relatant la vie de Basil Sidney se mêlerait d’exactitude. De vérité. La conscience professionnelle du biographe serait sans faille. Autrement à quoi bon ? Ainsi reviendrions nous à la fonction même de la représentation : représenter. Quoi ? Le réel ? Sans l’être ! Sans dépasser une certaine frontière, sans jamais se retrouver de l’autre côté du miroir ! Diffraction. Lorsque Méliès filma, dans son studio de Montreuil, le couronnement du Roi d’Angleterre, sans doute se voulut-il fidèle au réel. Il ne le trahit pas plus que la plupart des « chefs d’œuvres » de la photographie que nous admirons et qui sont, en général, posés, organisés, préparés, joués. Ou qu n’importe quelle biographie d’un vivant écrite par un nègre et qui donne de l’auteur officiel un portrait plus vrai que nature. Est-ce à dire que la nature est fausse ? Ou encore que sa représentation lui devient jumelle, avec quelque diffraction ? Le frère douanier. Il ne semble pas que Basil Sidney ait eu un frère jumeau. En l’imaginant ressemblant, manière goutte d’eau, à son frère, nous serions bien ennuyés. Aurait-il pu regarder son frère ? Et, si ce dernier avait été douanier ou policier, lui aurait-il été permis de vérifier l’identité de l’autre en regardant son passeport, sa carte d’identité sur laquelle il eût été obligé de voir une photographie très proche de sa propre image ? De toute façon, pourquoi aurait-il vérifié l’identité de son frère? Pour établir la sienne propre en rapport ? Stupide ! En supposant, bien évidemment, que les deux frères aient pratiqué la même religion. Ce qui reste dans le domaine du possible. Le masque d’Homère. Si je portais le masque d’Homère, y verrai-je plus clair ? Ou (ne) serais-je Personne, comme Ulysse, celui qui n’eut qu’à éborgner le cyclope pour le rendre aveugle. Miroirs de l’âme ? Les yeux ! Polyphème ? Une seule âme pour autant de miroirs qu’on lui tendrait. Sauf qu’il n’y verrait goutte. Pas même deux « gouttes d’eau » se ressemblant une à une autant que l’une à l’autre. Expressivité. Le masque est expressif. Au théâtre, il représentait le rire, la tristesse, etc., ce qu’on appela caractère (de kara ; visage en grec). Un visage, lui aussi peut se montrer expressif. Qui n’a jamais fait de grimaces, ne serait-ce que devant sa glace ? Le bon acteur, spécialement aux temps du cinéma muet, devait varier les expressions faciales impitoyablement fixées par les gros-plans. Tel qu’en lui-même. Beaucoup d’efforts pour pas grand-chose ! A l’époque héroïque du cinéma soviétique, Lev Koulechov dénicha un gros plan du visage impassible d’un acteur, Ivan Mosjoukine. Il monta ce visage en alternance avec une séquence montrant une table bien garnie, une femme ans un cercueil et un enfant. Entre ces séquences apparaissait donc le mêler visage avec la même expression. Mais tous les spectateurs virent cette expression changer : tristesse après le cercueil, joie quand il s’est agi de l’enfant, gourmandise, etc., à propos du repas. Le cinéma démasqua le masque et fut un miroir stable dont le reflet ne changea qu’en des yeux autres… l’acteur, pour cette fois, n’en fit même pas trop. L’image filmée ou photographiée change tout ! Leçon d’un visage impassible. De cet effet naquit peut-être ce goût, assez particulier, ne serait-ce qu’en France, pour les acteurs qui ont la même impassibilité, et jouent de la même façon, pratiquent la même gestuelle, qu’ils soient flic ou truand, dentiste ou boxeurs… ceux qui ne « jouent pas », qui auraient jadis été considérés comme mauvais, qui ne sont crédibles que par un consensus médiatique dû à leur célébrité, mais imposent leur image aux rôles qu’ils incarnent : Jean Gabin, Lino Ventura… ceci fort loin des grands comédiens, ou des talentueux « seconds rôles » qui se moulent, se fondent dans le personnage (character, en anglais !) et qui sont parfois méconnaissables d’un film à l’autre, sans même qu’il s’agisse de maquillage… Les acteurs en question n’ont qu’à être filmés en gros plan qu’une seule fois ! Ca fait des économies ! Si l’on agit ainsi en plan américain, en profil, etc., le coût du cinéma va sérieusement baisser. Le masque de Mosjoukine donne la leçon du vrai : on n’y voit rien du tout ! Question efficace. Une réponse peut-elle devenir le miroir de sa question ? Inversé, ça va sans dire. A moins qu’une réponse ne dévoile qu’un non-dit préalable… Oui ? Celui qui ne s’est jamais vu, peut-il se reconnaître ? A propos… Le miroir et le masque posent –et ont « quelque chose à voir avec »- le problème, s’il en est un de l’identité. Feu dévorant, n’est-ce pas ? Et tellement pratique ! Loin de vouloir donner ici une description, une analyse, une définition, ni même un reflet de ce que serait l’identité- ou la quête de soi-même en identique à… à quoi ? Là est la question ! Se définir en terme d’identité se rapporte à la difficile relation de soi au monde, de soi avec le monde. Mais, en ce domaine, chaque mot est piégé : soi, moi ? Je, l’agent du moi ? (à suivre)...
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