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orlando de rudder
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28 novembre 2005

Mélancolie pratique 10

Approcher le lointain. Le roman tend naturellement et doit tendre à sa propre élucidation. Butor Michel Répertoire. Le roman ne fait pas de dettes. Il a le pouvoir d’exister sans cela. Voire même il jouit du privilège invraisemblable de constituer un fonds inépuisable ! Il est créé par l’écrivain. c’est dire le poète, au sens large, donc vrai. Celui-ci est soumis à la nécessité du devoir : Les poètes sont comme les souverains. Ils doivent battre monnaie. Il faut que leur effigie reste sur les idées qu’ils mettent en circulation:. Le poète : Philosophe du concret et peintre de l’abstrait. Victor Hugo, Choses Vues, 27 septembre 1863). Le fait que l’art représente un phénomène marchand ne doit pas nous désorienter, n’est-ce pas ? dans le fatras d’une balance commerciale, d’une comptabilité. Elle se fait toute seule et nous permet de penser à autre chose. Ce qui est un métier. Le nôtre. Gide écrivit un roman portant constamment l’image de sa propre élucidation sur le mode progressif, lui donne le nom de Faux-monnayeurs : sans doute à cause de l’explicite. En effet, les autres romans ne font pas exprès de s’auto-élucider. A ce prix, on paye chaque mot. Ce qu’on paye n’est pas intime : ça s’éloigne. Même s’il faut l’incorporer. Le fruit acheté, la pomme payée, les pépins recrachés ne doivent pas nous faire oublier l’argent donné au marchand. Les faux monnayeurs nous proposent des vocables étrangers, des mots foreigners, lointains avec une gueule de proximité. Comme la pomme à un penny, le poème au même prix de Joyce, Ou l’opéra de quatre sous, qui en vaut trois (dreigroschen) dès qu’on ne le traduit pas… L’élucidation peut donc commencer par une conversion. Donner le change demande de la justesse. Conversion n’est pas tout à fait le mot juste. A moins qu’on veuille évoquer la conversion, quasi-religieuse d’un auteur en écrivain, d’un type normal en fou furieux : En deux ans il changea totalement, devint un soûlard et un écrivain. Lorsqu’on lui demandait qui il était il répondait simplement: “ Je suis un état de fait”. Knut Hamsun, Mystères. Ce qui demande une certaine méthode, surtout quand le roman s’intitule Mystères. La conversion n’est pas à portée de toutes les ferveurs : il s’agit plus vraisemblablement de transposition. C’est-à-dire d’art. C.Q.F.D . Ainsi… Le roman se présente comme un whodunit implicite. On n’est pas obligé de savoir qu’il y a toujours énigme. D’ailleurs, l’énigme d’un roman policier ne fait que cacher l’autre. Une charretée de pourquoi. Quelqu’un ou quelque chose fait que cela existe ! Cela ; non pas ceci. Le roman conserve la distance, il n’est pas là, sinon sous la forme de pages encollées. Ensuite, il se rapproche. Le lointain s’approche, devient un ceci familier qu’on le bâfre à loisir. L’élucidation du roman met en jeu le lecteur. Mais le mystère ne se laisse pas épuiser. Comme on découvre un mur jaune, sur une toile familère, on en déguste de nouveaux détails à la relecture. Et le sens général d’un roman lu très jeune s’est foutrement modifié lorsqu’on le relit dix ans plus tard. L’exercice spirituel d’une lecture méditante, qui met au jour correspond paradoxalement à un approfondissement. Plus on s’élève et plus on creuse. Parfois même, on se trouve en train d’exhumer du sens, là où, on l’aurait juré, il ne s’en trouvait pas tant que ça. Ca devient bête ! Approfondissons ! Everything that rise must converge . Frôler la déraison ? Le poète paraît posséder cet art du savoir-faire qu’il partage entre le plus grand nombre là où nos névroses ne produisent que des symptômes. Gilson J-P: “Le séminaire de Psychanalyse” de J-P Gilson et H. Coster Le Mensuel Littéraire et poétique, Bruxelles, n° 202 Mars 1992. Il faut savoir frôler la déraison, s’offrir le vain vertige, laisser venir l’état que tant d’autres combattent. Ruser. Préparer la renaissance, même si l’on n’y croit pas. Pas encore.La mélancolie a fait ses preuves en ce terme même : Dürer, Chranach, Goya l’ont montrée crûment.:Saturne dévore ses enfants… voici l’état profond qui féconde le génie, la rage de César et le geste du peintre.Mélancolie ! sauvagerie tranquille qui vous taraude l’âme comme le sucre carie lentement la dent saine ! Loin des névroses ordinaires, la mélancolie opérationelle devient une sorte de mystique. C’est, en tout cas, le peuplement fort complexe de l’esprit, de l’habitus. L’ Encyclopédie la décrit dans son ambiguité. Avec une raison d’être, une utilité : C’est le sentiment habituel de notre imperfection (…) elle se plaît dans la méditation qui exerce les facultés de l’âme pour lui donner un sentiment doux de son existence et qui, en même temps la dérobe au trouble des passions, aux sensations vives qui la plongeraient dans l’épuisement. La mélancolie n’est point l’ennemie de la volupté, elle se prête aux illusions de l’amour et laisse savourer les plaisirs délicats de l’âme et des sens. Il n’y a pas d’amour sans mélancolie.Elle procède un peu de la dépression, puisque c’en est l’un des symptômes. La mélancolie, lorsqu’elle nous a pris ne nous lâche pas. Nous sommes d’abord sa proie : elle est aigle, rapace et fleur… Sa noirceur s’irise néanmoins, comme un peu menaçante, serpentine, aqueuse, couleure ou anguille, voire anguille de mer : le congre rhéteur sort d’un mur, comme dans un délirium tremens, mais d’un mur d’autres congres : Elles s’entassent, ces anguilles marines, sur l’étal du marchand : …si gluantes qu’elles semblent ramper, vivantes encore. Emile Zola, Le Ventre de Paris. Inquiétante mélancolie ! Surtout si nous la cultivons : elle s’incorpore, se greffe, s’ente… nous nous confisons en désabus, en nonchaloir, en tristesse infinie, parfois doucette, mignarde, mais peu constructive. Patience : il y a un temps pour tout ! Car… Tiens ? qu’est-ce ? Nous découvrons une lumière, paillette, strass dans le charbon, la cendre…Ouvrons encore tout bée notre grande faiblesse : devenon proie soumise de notre sentiment. Musique ? J’entends au loin de moi un air ancien… faut-il qu’il m’en souvienne ? Je chante ma solitude savoureuse hérissée d’orgueil. Comme les fétiches à clous. Je m’en occupe comme d’un enfant bien aimé. Ce monde est un cadavre immense qui se bat à vivre par tous les moyens. Sony Labou Tansi, Les sept solitudes de Lorsa Lopez,1985. Bah ! on va vivre. Arrêtons de penser à soi. Nous ne sommes pas les seuls morts-vivants ! Adressons au moins un faire-part de vécu aux autres agonisants qui ressuscitent doucement, doucement, doucement… Savourons l’article de la mort, le verbe de la durée, la conjonction des survies. C’est délicieux ! Crevons la solitude, allons vers eux, les autres : Ecris comme si tu étais en train de mourir. En même temps, dis-toi que tu écris pour un public uniquement composé de malades en phase terminale. Après tout, c’est le cas. Que commencerais-tu à écrire si tu savais que tu allais mourir bientôt ? que pourrais-tu dire à un mourant pour ne pas le faire enrager par ta trivialité ? Annie Dillard En vivant, en écrivant, 1996. L’odeur des chrysanthèmes et novembre naissant ? L’éternité, voyons ? Qu’en pensez-vous céans ? ecrire c’est la retrouvée, avec le soleil, cou coupé de poulet qui court encore, même mort, ou presque, chaos, survie des nerfs, rien, soubressauts en durée, poussières d’étoile, éternité, ça commence bien, ça ne finait pas, ça finit mal, ça va, ça vient, éternité… Toujours l’amour, nous n’irons plus au bois, mais résonnez musettes, ça ne renait plus rien, ça vit. Ô, maintenu, regard perdu, crudité d’instant, lenteur pesante, éternité. Danger : Eh bien, mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié. Vincent Van Gogh, Lettre à Théo, s.d. Travail de mélancolie, cheval noir, jument morte, deuil! Glas ! Sécurité du mal profond, lancinance, arrière goût de rate éclatée, fiel vert ! Gras ! Mort dans une décoction bileuse, mélancolie ! Eternité…le temps grince des dents, les rouages de l’horloge se serrent l’un contre l’autre, les picots s’embrassent, s’ébrèchent, ça fait mal, éternité, ça chauffe et même jaillissent des étincelles, éternité… engrenages, scies circulaires incisant cette rate, fiel-bile, jaune, vert, sirupeux, aigre. Cependant : Le monde de l’art n’est pas celui de l’éternité, c’est celui de la métamorphose. André Malraux, Antimémoires, 1967 Sans mélancolie, ça ne marche pas. Ecrire demande cet état, de l’assumer, son assomption, sa destruction. Cette succession peut durer quelques secondes ou s’étaler sur des années : rentrer en soi, s’étirer, comme ce congre debout de bougre de con qui enseignait la rhétorique au pays des merveilles… L’invention de l’urgence passe par l’acidité, le vinaigre de l’acédie, tendu au bout d’une lance par le soldat romain au crucifié banal ,pas plus celui-là qu’un autre, car ce bon militaire ne voit pas bien pourquoi… tel qu’en nous-même l’éternité nous transforme. C’est urgent : Je leur expliquerai qu’ils doivent toujours écrire comme s’ils avaient le couteau sur la gorge, comme si, avant de mourir,ils n’avaient que quelques instants pour parler de leurs secrets les plus intimes. Deszö Kostolányi , « Deux ou trois choses à propos de l’écriture », Cinéma muet avec battements de cœur , 1988. Voici que ça devient douceur, cette ancienne morsure ; la mélancolie s’attendrit, et se laisse caresser, dômes charnels, espérance. Fécondité. Avec de nécessaires cérémonies. Car la mélancolie touche aux psychoses, aux névroses : elle se récupère en manies contemplatives. Ses liturgies sont souvent calmes autant qu’intenses : Le reste de son temps s’écoulait dans une liturgie d’habitudes qui réussissait à le défendre du malheur. Parfois, les jours de vent, Hervé Jaucour descendait jusqu’au lac et passait des heures à la regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessiné sur l’eau, le spectacle léger, et inexplicable, de ce qui avait été sa vie. Alessandro Baricco, Soie, 1997. Ce qui permet aussi la jubilation : Toutes mes joies en cela sont folies, aucune n’est si douce que la mélancolie. Robert Burton, Anatomie de la Mélancolie, 1621. Victoire ! Mélancolie, méthode. Etat de fait. Etat d’âme, autre chose qui nous pense en miroir de nous-même. Folie Ecrire a été pour moi une forme d’autoanalyse imaginative. Si je n’étais pas devenu écrivain, j’aurais sans doute été une personne très perturbée J.G. Ballard, .« Entretien avec Henriette Korthals-Altes », Lire, Eté 2001. Flaubert voulair rendre fou le lecteur, l’affoler au sens propre et fort. Faut-il pour autant que l’auteur soit dément ? Qu’il le devienne au prix d’un « déréglement de tous les sens » ? Faut voir ! Ni le talent, ni le génie, ne sont névroses. Le « sens des affaire » l’est toujours, puisqu’il s’agit inmanquablement de » compensation. Ecrire peut, évidemment, servir, au départ, à réparer un trauma. Mais dès qu’on persiste, on découvre autre chose. Il en est de même quand on peint, compose, etc… Parce qu’on ne triche pas. Un écrivain, un artiste peut être, par ailleurs, névrosé. Mais il ne le sera jamais autant qu’un modeste ouvrier, dont c’est le métier, ou un homme riche dont c’est le moteur. Van Gogh était-il fou ? peut-être. Henry Ford l’était certainement. Et dangereux. Avec la perversité la plus compacte. Ce serait pourtant si simple : il n’y aurait qu’à se droguer, prendre des psychotropes pour devenir artiste. Hélas, le délire d’un nigaud est un délire faiblard. Flaubert stigmatisa de façon cinglante l’idée reçue du talent malsain. Il alla même plus loin : Génie : Inutile de l’admirer, c’est une névrose. Dictionnaire des Idées reçues. La force de cette assertion tient à sa subtilité. Flaubert ne dit pas qu’il ne faut pas admirer le génie. Mais que c’est inutile : ah ! qu’en terme bourgeois ces choses sont clamées ! Flaubert a su saisir l’aspect économique de la mentalité de base. A quoi bon admirer, si ça ne sert à rien ? Le père de Flaubert était médecin. Gustave pesait ses mots. La névrose était alors bien plus grave que ce que nous nommons ainsi de nos jours. C’était une atteinte véritable des nerfs, au sens physiologique et, certes pas, un trouble qu’une thérapie de la parole peut amoindrir, voire guérir. C’était une atteinte à la raison invalidante, empêchant, à coup sûr l’exercice du négoce, la pratique de la traite des noirs ou l’agiotage, activités on ne peut plus raisonnables en ce temps. Aujourd’hui, ça se soigne : Faites entrer l’écrivain guéri… Il a une crise de quoi ? De nudisme ?… Ah ! il ne peut plus parler (…) Il a été surlibéré, si j’ose dire. William Burroughs, Le Festin Nu, 1959. Les attaques contre l’art et les artistes n’ont pas tellement changé. Les malades de la banque, seuls ou presque, se taisent poliment : l’art, ça peut rapporter, coûter, ça se paie, se marchande… Quant à ceux qui, devant une toile de Mondrian affirment qu’ils en feraient autant, ils commettent la même erreur que ceux qui se croient le talent de Francis Ponge ou Virginia Woolf pardce qu’ils savant rédiger une lettre et un compte-rendu ou imaginer quelque histoire pour animer une soirée d’amis. S. Fauchereau, Peintures et dessins d’écrivains, 1991. Le badaud qui voit un carré bleu à côté d’un carré rouge se gausse : il en ferait autant. Eh non ! La preuve, il ne le fait pas. Et surtout, il n’a pas dessiné durant trente ans ou plus d’une façon d’abord académique parfaite, avant de varier sa manière, avant de chercher pour en arriver là, après une vie de tâtonnement. L’homme qui « en ferait autant » n’a choisi ni carrière ni destin. Il n’a ni eu faim, ni soif. Ni éprouvé cette ardente faim et cette fervente soif qui engage au point qu’on en peut mourir . Il ne connaît pas, non plus, la régénération par l’art : La littérature oui, c’est l’innocence retrouvée, l’innocence de la bête perdue en nous. Qui renaît grâce à l’écriture. Venaille Frank. « Exhiber l’écriture jusqu’au silence », Le Matricule des anges, n° 37, 15 décembre 2001-15 février 2002 . Arrêtons de nous remettre en question : nous sommes les meilleurs, nous autres artistes. La preuve : on nous envie. On a accusé Zola de perversité. A l’époque de Thiers et de Gallifet ! Gardons l’étoile au front et ne nous laissons pas avoir. La jalousie de ceux qui n’osent pas nous pèse, nous tue, nous fait vaciller, parfois, du côté raison. Mais si nous étions si malades, pourquoi serions-nous toujours les premiers tués par les régimes qui se disent fort ? La cérémonie se déroule liturgiquement : on brûle les livres, les poètes et artiste d’abord. ensuite le peuple s’autodétruit. La bourgeoisie demeure, parfois même parfumée d’un babouvisme élégant. Et Chronos, dieu du temps, du travail, du refus de la révolte, de la populace, mangeur de ses enfants, se marre, se marre, se marre… Quandoque Homerus sommeillat : Ballard se trompe. S’il n’avait pas choisi d’être écrivain, il eût vécu une existence, et non une vie, avancé dans une carrière plutôt que d’assumer un destin. Il eût travaillé plutôt que d’exercer un état, plutôt que de besogner, parfaire, ouvrager, œuvrer. C’est perturbant, certes. Mais c’est la norme. Nous nous modelons nous même. Austère discipline ! Mais joie profonde. Au prix d’un danger parfois délicieux. D’une solitude aussi. Mourir d’aimer ? Notre être s’identifie à l’oeuvre, et c’est au moins dangereux. Ceux qui sont à la fois le sculpteur et la glaise survivent mal aux traitements qu’ils s’imposent Alain Riou, « L . Le Maudit », Le Nouvel Observateur, 30 août/ 5 septembre 2001). N’hésitons pas à remettre à leur place les envieux, les cagots, les réactionnaires quelles que soient les clasees sociales dont ils sont issus : le milieu n’est jamais une excduse. Sinon, tous les riches seraient sublimes. Somerset Maugham prête un excellent discours à une pianiste virtuose stigmatisant la prétention d’une famille anglaise de noblesse parvenue et plus « british » que nature dont l’un des fils veut « faire l’artiste » et n’y parvient pas : Nous sommes les seuls qui ayions de l’importance car nous donnons au monde une signification. Vous êtes, tout au plus, notre matière première. « Le pain de l’exil », Amours singulières, 1995. Nous sommes attaqués parce que nous gênons, parce que nous remettons en question l’état social, en tant que bouffons ou comme penseurs, comme objet de révolte ou comme moralistes. Prenons les choses de haut ; nous n’en seront pas plus haïs, vilipendés, achetés, prostitués, récupérés : O poètes, vous avez été orgueilleux, soyez plus, devenez dédaigneux. Proses de jeunesses. Stéphane Mallarmé, « Hérésies artistiques. L’Art pour tous ». C’est pourquoi trois carrés rouges ne peuvent se comprendre qu’en connaissant l’époque et « celui qui a fait ça ». Et le cheminement. L’aventure. La quête du sens : il n’y a plus d’art abstrait ; ça déborde sur la vie. C’est la vie qui fait l ’oeuvre. Nous n’y pouvons plus rien : les marchands l’ont voulu, comme le peuple : on se justifie par son existence… alors, allons-y ! L’oeuvre d’art à venir, c’est la construction d’une vie passionnante. Raoul Vaneigem, Traité de Savoir-Vivre à l’Usage des Jeunes Générations 1967 Va mourir, l’ « homme qui en ferait autant » ! Même si c’est déjà fait ! Bisque bisque rage ! on l’a fait avant toi ! Et prends ça dans les gencives : La révolte poétique personnifie la liberté humaine dans son expression la plus complète. Elle ne castre ni ne sublimise l’homme mais le dresse debout avec ses désirs en liberté. Camille Bryen, Activation poétique, 1935. Pour une grammaire de l’ambiguité. Tout pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur. Code civil, 1804. En 1930, William Empson publia un ouvrage intitulé Les Sept types d’ambiguités. IL s’agissait d’une critique du sens, avec bonus. Empson découvrit que les ambiguités, les jeux de mots, les méprises et obscénités contenus dans Shakespeare contenaient, en fait, le principal de son message. Ce point de vue acquis, on obtient une justesse d’intelligence du texte, une précision, une véracité formidables. Empson s’opposait aux « logiciens de la langue », du langage, même, cherchant à le réduire à une machine opératoires. Empson prouve ainsi que ce qui est considéré comme obstacle ou restriction dans la poésie n’est autre que sa richesse, sa force. Voici donc ces sept types d’ambiguités. Quand un mot exprimant une seule chose a plusieurs niveaux de sens. C’est l’enfance de l’art, le moment où s’acquiert la conscience des trajectoires du sens. Franchir, degré par degré les degrés chatoyants pour accéder aux dômes du plaisir ? Le tout dans tout ; littéralement. Le langage n’est pas une traduction du monde. Il est au monde. Il en constitue la partie la plus prenante. Un mot ne peut signifier une seule chose : la langue n’aurait plus la volonté de dire. Quand d’autres sens se superposent à celui choisi par l’auteur. L’inadvertance ne ralentit rien : elle étend le sens à l’infini. La liberté s’octroie par ce mouvement pur. Mais pas plus gratuit qu’autre chose. D’où vient l’intention ? On aproche du rée, de sa complexité en additionnant les choses perçues. Le réel, dans ce cas, s’appréhende en additionnant la somme de nos interprétations. Tant pis s’il en manque. Ca tourne autour : Ca pense. Quand deux idées se rapportant au même contexte sont exprimées par un seul mot. C’est le bouquet d’un grand vin, la queue de paon aux milles yeux, aux cinq cents regards. Le mot s’équilibre aux balances du sens. Car il y en a plusieurs. Quand plusieurs significations ne concordant pas renvoient à l’état d’âme complexe de l’auteur. C’est la jeunesse de la manière : On pense à l’instant. Il se boucle trop vite. Après, ce n’est plus ça, peines d’amour perdues. C’est l’heure des synesthésies. Des confusions aussi. L’erreur, hautaine, maintient le cap. On sait que l’esprit s’accomode un peu à la façon d’une mise au point optique. C’est à voir. Quand l’auteur découvre son idée au moment où il l’écrit si bien qu’il utilise un terme ne s’appliquant pas à un objet particulier mais correspondant au passage d’un objet à un autre. Schuss du sens à l’avalée ! Processus, action : bougé de daguerréotype. Affinités si plus, correspondance si mieux : verglas du sens ! Le tour est joué d’avance : on progresse. Gare à l’analogie. On chemine, on y va. Quand une expression est tautologique, contradictoire ou absurde, forçant le lecteur à inventer une signification. C’est l’âge mûr de l’art : On n’invente pas un sens : il s’impose. Livre ouvert, histoire à devenir : le lecteur ne risque rien ! . Une grammaire de l’ambiguité est, en même temps, une grammaire des possibles. Ce qui est dit raconte. C’est une prime de risque et de fidélité. 7.Quand un mot offre dans le contexte deux significations opposées montrant ainsi le conflit intérieur de l’auteur. C’est la vieillesse de l’art, mais il ne mourra pas. La balance du style qu’on appelle fléau. C’est le fouet intérieur donné sur le forum de la mesure de soi. Equanime expressivité ; c’est le moment d’éprouver la sagesse furieuse de l’homme d’expérience. Tristesse d’Olympio. Citons donc, pour finir, Charles d’Orléans : Plus penser que dire Me convient souvent Sans moustrer comment N’a quoy mon cœur tire. Comme toutes les grammaires, celle de l’ambiguité qu’en rapport avec les conditions de possibilité de son objet. Ou, du moins, ce qu’on en pourrait saisir. Aussi, en tant que grammaire des possibles et de leurs conditions de possibilités ( ceci est un glissement ; en rapport avec le cinquième type d’ambiguité) ses limites correspondraient, je le crois, à celle de notre entendement : Je regarde la grammaire comme la première partie de l’art de penser. Condillac, Développements de l’art de penser
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