Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
orlando de rudder
orlando de rudder
Publicité
Archives
30 septembre 2005

l'homme qui voulut êtremoi (inédit)

Orlando de Rudder Extrait de L'homme qui voulut être moi (inédit) Premier chapitre. Le pistolet masqué. Chacun est sa légende… Même ceux échoués dans le salaire et la routine ou les épaves sur le plastique rouge du métro avec les yeux qui tombent et les chevilles violettes. Chacun est sa légende. Sa petite histoire. Unique. Intense. Freddy Woets, La Doublure lumière, 1998. J’attaque la banque. Moi ! un Professeur de Lettres Classiques ! Je braque la succursale au coin de la rue Traversière et de l’avenue Ledru-Rollin. En plein faubourg Antoine. On y voit peu de gens, à cette heure. Ils me regardent tous. Je suis la vedette d’un piètre public. Ils ont peur. Pourquoi pas moi ? je devrais éprouver le même sentiment. Affect. Ca me manque. Je me sens calme, mais excité. Je banderais presque : hold up. Je porte un masque: Si seulement il collait à ma peau ! Je sens, entre lui et mes joues, un peu d’espace, d’air qui s’immisce. Coulis. Ca m’agace. Pourquoi ne pas ôter ma ressemblance ? Pourquoi ne pas faire naître une nouvelle stupeur : montrer le visage nu de quelqu’un à tête de moi ? On me reconnaîtrait pour m’avoir déjà vu. Cette étrange envie, ce dangereux désir de me déchausser la face persiste. Voici mon vertige… Une attirance vers le fatal, un jeu d’appréhension, comme au bord d’une falaise : un mouvement, un geste, et tout bascule ! « Prends ta vie comme elle vient, fous une baffe au destin » ! dit une vieille chanson hongroise. Ou roumaine. Ou bulgare. Tout me semble irréel. C’est bon, c’est délicieux. Je me fie à mon apparence. Je me sens fier. Me voici, moi. Seul. Mon revolver peut vraiment tuer On l’appelle Magnum. Comme un gros flacon de champagne au bouchon fatal! Une femme aux yeux effarés me dévisage. Non, pas moi : le masque. En latin : persona. Elle m’inspecte. Je savoure son inquiétude. Alors, ce fric ? Le voici. La caissière s’exécute. Docile. Beau geste, belle coulée cahotique des liasses avec leur froissement. Un frou-frou de faille. Je me jalouse. Je jalouse mon masque. Pourrait-on m’identifier malgré lui ? Inquiétude. Mémoire de prof : Le regard enfiévré de l’acteur perce sous le masque . Fin de citation. Pédagogie de l’instant : La vie m’apparut claire, révélée : On n’est point sans méthode. On n’existe pas sans soin. On ne s’appartient pas sans attention. On ne devient pas sans technique. On ne saurait aimer sans exactitude. Tout se conquiert. Mon délit m’enseignait l’existence… Ce type, là, s’il bouge encore, je vais tirer. Il ressemble à un sournois. Un sournois apeuré. Les pires. Tuer un homme… Tacher les belles balles aux douilles de laiton avec du sang de client ? Les oxyder ? Tuer ? Serait-ce construire ? Rome fut bâtie sur le cadavre de Rémus ! La richesse s’annonce au fil des banknotes. La sensation de puissance m’amuse. Mais, franchement, il faudrait être bas pour en jouir un peu plus. Non : je savoure l’identité, le fait de se vivre en tant que soi tout seul. Je peux tuer. Je domine. Voilà un fait satisfaisant. Sans plus. Etre moi, quel délice ! En cachette du masque ! Je sors. Le vigile ne me poursuit pas. Ils reçoivent la consigne de ne pas se mouiller. L’avenue Ledru-Rollin vit sereinement cette matinée. Ö tendresse de Paris ! On l’avait prévu : peu de voitures. L’heure demeure gamine, matinalement. Quoi de plus harmonieux que ce calme ? Il me semble moral. Comme une fable. Je traverse aux clous. A grands pas, sans lenteur : j’arpente. Je décris dans l’espace une trajectoire rectiligne, économe. Me voici de l’autre côté. Je viens de changer de trottoir d’en face : c’est l’autre, maintenant. J’avance, un revolver faussement lourd, mais de sous-entendus, empoigné en main. Je compose le code d’entrée d’un immeuble. Ce bâtiment traverse le pâté de maisons. Une autre issue débouche dans la rue Saint-Nicolas. Gina Miller arrive, juchée sur ses rollers. J’enlève mon masque, mon imperméable. Je les lui donne ainsi que le fric, l’arme. Je revêts un blouson. Je me repeigne comme d’habitude. Gina Miller emporte le butin, les accessoires compromettants. Elle file sur ses roulettes. Le temps d’aller, de revenir, elle me rejoindra bientôt. Sans rollers. Je sors par où je suis entré. Sur le trottoir, on s’attroupe. On me demande si je n’ai vu personne. Je réponds non. Le vigile m’observe durant un instant. Comme la caissière. Le sournois itou. Ils secouent la tête : ça ne se peut pas. Je leur rappelle quelqu’un. Mais qui ? On entend les sirènes des voitures de police. Déjà, les conversations évoluent : mes victimes parlent de la délinquance en général : des voyous de banlieue, des salopards qui volent les téléphones portables des aveugles, des preneurs d’otage, de l’insécurité. Et me voici tout fier : je représente une partie de cette insécurité. Moi, le tout seul ! Avec ma face à moi ! Car le masque utilisé durant l’action représentait mon visage. Mieux : Gina Miller le retoucha longuement pour en accentuer la similitude. Par ce travail, il devint encore plus semblable à ma trogne. Tout en demeurant identique à l’aspect d’un accessoire de mardi-gras. Ainsi personne ne découvrirait la véritable identité du coupable. Nous n’avons guère d’objectivité. J’y ai pensé et repensé. Je l’ai réfléchi, médité, imaginé : Les gens de métier, par exemple, ne nous sont familiers qu’à travers leurs rôles. Qui n’hésita jamais à le reconnaître en rencontrant son boucher, son boulanger, en complet veston ? Son dentiste en blue-jean ou en tenue de sport ? Voilà le principe : ma face trop connue m’innocentait. De toute façon. Je rejoins Gina Miller au coin de la rue de Charenton. Elle a laissé ses rollers chez elle. Elle a glissé ses pieds mignons, aux ongles soigneusement rongés, dans de jolis mocassins fauves. Elle sourit. Aussitôt, j’écarte sa veste, je lui pince le bout des seins. Ils saillent sous un pull ajusté ! On va boire un verre. On est heureux. Plus tard, mon masque fut brûlé dans la cheminée de Gina Miller. On a aussi détruit celui du revolver. Enlever ce moulage le rendit à sa réalité de pistolet à crosse de nacre, calibre 6, 35. Pour le rendre plus impressionnant, on le recouvrit d’une résine contrefaisant l’aspect d’un 357 Magnum : grenouille voulant se faire aussi grosse que le boeuf. Mais ce molosse illusoire, au cas où, n’eût aboyé qu’un « wif wif ! » de caniche. Dans le vrai du réel, ce flingue provenait de la grand tante de Gina Miller, une Sicilienne capable de tout sauf de l’anodin. Un braquage ! Je ne pouvais l’éviter. Parce que j’étais en train de perdre mon emploi d’enseignant : faute grave. Suffisante pour m’exclure de l’Education Nationale. Quart-de-Brie n’en saurait rien : je rapporterais le montant mon salaire en fin de mois. Le butin y pourvoirait largement. Quart-de-brie ne se montre guère observatrice. Elle persiste, entièrement possédée par son mal. C’est une femme-néanmoins. Peut-être un peu à suivre...
Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité