CANINES
Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles, un vieux chien pillard ne trouvant pas de chienne, aussi libre que possible, sur la terre gâtée.
Dans la mémoire des chats, on dit qu'il y a du tigre, c'est-à-dire... oui, très libres, des savanes qui feulent des arbres incandescents et des soleils d'ailleurs. Je suis un pauvre vieux chien qui n'a que des pluies rances décolorant les chairs qui gisent prés de l'acier. Je ne suis qu'un vieux chien qui n'a pas de lumière, un vieux chien pillard ne trouvant pas de chatte sur la plaine gâtée
Verdun ou Tannenberg, Marengo ou Hastings, qu’important terre ou mer, ville côteau ou plage : outremer et doré, par dessus les nuages, il est un ciel si haut qu’on ne saurait le voir. Mais je n’imite point le pas des hommes, je ne veux pas marcher debout, comme certains de mon espèce qui font rire les enfants, un sucre sur le nez : tourner le dos aux nues est un beau privilège.
“ La liberté est là ! ” décide le vainqueur qui repassa l'ignoble. Moi, je cherche une chienne puisque je m'en trouve libre comme je le suis aussi de mordre les charognes qui gisent sous le ciel, qui se grisent aussi pour ressembler au fer.
Avant la guerre, je vis certains de ceux qui y moururent: ils écrivaient au mur des phrases incendiées parlant de liberté comme parlant de la mort. On en tua certains, rangés comme les soldats qui leur tiraient dessus. On en tua certains, oui, adossés à cette paroi qui enclôt la prison. je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles. Tu m'as vu, dit, tu m'as vu? Je suis un pauvre vieux chien qui mange les cadavres puisqu' il y a que j'ai faim.
" La liberté est une putain!" dit-il en se mourant celui qui le premier eut l'aventure de choir. Ainsi la liberté se donne à qui la paie... mais où sont les deniers d'un très pauvre vieux chien aussi libre que possible? Or je me plais à rire en pensant simplement qu'en mourant le héros eût pu crier pareil ou presque la même chose: la liberté est une chienne!
Dans la mémoire des chats, on dit qu'il y a du tigre. Tu y crois simplement aux savanes qui feulent, aux arbres incandescents, à ces soleils d'ailleurs?
On dit qu' il y a du tigre, des griffes et des dents, c'est-à-dire, c'est-à-dire... les tigres ne sont pas chiens, je parie qu' ils préfèrent un bout de chair bien fraiche, chaude encore de la vie, plutôt qu'une charogne ou plutôt qu' une chienne.
Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles- Tu m'as vu? Tu m'as vu?- la liberté est une putain, mais ce n'est pas une chienne puisqu' en la reniflant je ne flaire que la Mort. Une chienne, c'est la vie, c'est pourquoi elles se donnent... enfin, certaines chiennes.
Aussi libre que possible, j'ai vu passer une chatte qui, comme moi errait derrière les batailles. C' est rien moins qu' une chienne et j'eus l' étrange désir d'aller me renfermer derrière la paroi qui enclôt la prison.
Las de la pourriture, j'eus envie de chair fraîche, autant que d'une chienne mais pour d'autres raisons. j'ai donc pressé le pas pour rattraper la chatte qui, dès lors, s'est enfuie pour être inaccessible. Et je demeurai là, derrière les batailles.
Aussi libre que possible sur la plaine gâtée, sur les galets d'Hastings, aux tranchées de Verdun, je suis un pauvre vieux chien, désespéré mais veule qui recherche une chienne parmi le sang des morts. Devant les murs rougis je ne trouve pas de chienne, il n' y a pas de putain, il n'y a plus de chatte: évaporée, enfuie, elle reste inaccessible. Outremer et doré par dessus les nuages il est un ciel si haut qu'on ne sait pas le voir, sauf à tourner le dos, marchant à quatre pattes, contemplant son reflet dans le miroir des flaques: le ciel est sur la terre quand on trouve une chienne.
Puis, dans le regard vide de ceux qui moururent, je vois ma propre image et ça m'ennuie plutôt. Je n'y trouve pas de chienne mangeant la chair des morts.
Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les batailles, un vieux chien pillard, esseulé, solitaire qui veut une femelle pour manger de l'amour et je sens dans mon coeur un étrange désir d'aller me renfermer derrière la paroi qui enclôt la prison.
Si tu m'as vu, t' es mort.
N.B Ce texte a été publié e "livre d'art "" avec des lithographies d'Alain Pouillet par l'URDLA à Lyon.