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orlando de rudder
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23 octobre 2006

CANINES

Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les ba­tailles, un vieux chien pil­lard ne trouvant pas de chienne, aussi libre que possible, sur la terre gâtée.

Dans la mémoire des chats, on dit qu'il y a du tigre, c'est-à-dire... oui, très libres, des savanes qui feulent des arbres in­candescents et des soleils d'ailleurs. Je suis un pauvre vieux chien qui n'a que des pluies rances décolorant les chairs qui gisent prés de l'acier. Je ne suis qu'un vieux chien qui n'a pas de lumière, un vieux chien pillard ne trouvant pas de chatte sur la plaine gâtée

Verdun ou Tannenberg, Marengo ou Hastings, qu’important terre ou mer, ville côteau ou plage : outremer et doré, par dessus les nuages, il est un ciel si haut qu’on ne saurait le voir. Mais je n’imite point le pas des hommes, je ne veux pas marcher debout, comme certains de mon espèce qui font rire les enfants, un sucre sur le nez : tourner le dos aux nues est un beau privilège.

“ La liberté est là ! ” décide le vainqueur qui repassa l'ignoble. Moi, je cherche une chienne puisque je m'en trouve libre comme je le suis aussi de mordre les cha­rognes qui gisent sous le ciel, qui se grisent aussi pour ressembler au fer.

Avant la guerre, je vis certains de ceux qui y mouru­rent: ils écrivaient au mur des phrases incendiées par­lant de liberté comme parlant de la mort. On en tua certains, rangés comme les soldats qui leur tiraient dessus. On en tua certains, oui, adossés à cette paroi qui enclôt la prison. je suis un pauvre vieux chien er­rant derrière les batailles. Tu m'as vu, dit, tu m'as vu? Je suis un pauvre vieux chien qui mange les cadavres puisqu' il y a que j'ai faim.

" La liberté est une putain!" dit-il en se mourant celui qui le premier eut l'aventure de choir. Ainsi la liberté se donne à qui la paie... mais où sont les deniers d'un très pauvre vieux chien aussi libre que possible? Or je me plais à rire en pensant simplement qu'en mou­rant le héros eût pu crier pareil ou presque la même chose: la liberté est une chienne!

Dans la mémoire des chats, on dit qu'il y a du tigre. Tu y crois simplement aux sa­vanes qui feulent, aux arbres incandes­cents, à ces soleils d'ailleurs?

On dit qu' il y a du tigre, des griffes et des dents, c'est-à-dire, c'est-à-dire... les tigres ne sont pas chiens, je parie qu' ils préfèrent un bout de chair bien fraiche, chaude encore de la vie, plutôt qu'une cha­rogne ou plutôt qu' une chienne.

Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les ba­tailles- Tu m'as vu? Tu m'as vu?- la liberté est une pu­tain, mais ce n'est pas une chienne puisqu' en la re­ni­flant je ne flaire que la Mort. Une chienne, c'est la vie, c'est pourquoi elles se donnent... enfin, certaines chiennes.

Aussi libre que possible, j'ai vu passer une chatte qui, comme moi errait der­rière les batailles. C' est rien moins qu' une chienne et j'eus l' étrange désir d'aller me renfermer derrière la paroi qui enclôt la prison.

Las de la pourriture, j'eus envie de chair fraîche, au­tant que d'une chienne mais pour d'autres raisons. j'ai donc pressé le pas pour rattraper la chatte qui, dès lors, s'est enfuie pour être inaccessible. Et je demeurai là, derrière les batailles.

Aussi libre que possible sur la plaine gâ­tée, sur les ga­lets d'Hastings, aux tran­chées de Verdun, je suis un pauvre vieux chien, désespéré mais veule qui re­cherche une chienne parmi le sang des morts. Devant les murs rougis je ne trouve pas de chienne, il n' y a pas de putain, il n'y a plus de chatte: évaporée, enfuie, elle reste inaccessible. Outremer et doré par dessus les nuages il est un ciel si haut qu'on ne sait pas le voir, sauf à tourner le dos, marchant à quatre pattes, contemplant son reflet dans le miroir des flaques: le ciel est sur la terre quand on trouve une chienne.

Puis, dans le regard vide de ceux qui moururent, je vois ma propre image et ça m'ennuie plutôt. Je n'y trouve pas de chienne mangeant la chair des morts.

Je suis un pauvre vieux chien errant derrière les ba­tailles, un vieux chien pil­lard, esseulé, solitaire qui veut une fe­melle pour manger de l'amour et je sens dans mon coeur un étrange désir d'aller me renfermer derrière la paroi qui enclôt la prison.

Si tu m'as vu, t' es mort.

N.B Ce texte a été publié e "livre d'art "" avec des lithographies d'Alain Pouillet  par l'URDLA à Lyon.

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Commentaires
M
les plus beaux vers sont solitaires.
K
Moi, je suis une souris mécanique.
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