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orlando de rudder
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16 octobre 2006

Mon ancêtre Bohémond.


Pour Alain Pouillet

Mon ancêtre Bohémond n'intéressait déjà personne lorsqu'il se tenait debout, vif et l'oeil frais. C'était un chevalier perdant. Il revint de croisade, un beau jour de septembre, contrarié par  une entorse au genou. Il acquit un château pas trop loin d'Echternach et vint y habiter avec sa digne épouse. Pauvre Bohémond! toutes les minutes de son existence furent insignifiantes. Sans panache. Pourtant, il racontait sa vie. Même, il parlait très fort pour ce faire qu’on l’entende. Parce qu’à chaque jour suffit sa peine, personne ne prit soin de l’écouter comme il eût souhaité qu’on le fît.

Sa femme, cependant, ne disait jamais rien. Elle se nommait d’un nom saturé de consonnes. Le teint jaune de son visage plat se surmontait alors d’une toison patine. On lui créa un surnom idoine à bon, escient : Pot-de-bière. Bohémond n’usait pas de cette appellation. Ni d'une autre d'ailleurs. Pourquoi l'eût-il nommée? Elle se trouvait là, toute seule avec lui. Alors donc s'il parlait, ce ne pouvait vraiment ne s'adresser qu'à elle..

Il lui parlait, donc, la croyant attentive.  Il ne s'aperçut jamais que cette épouse mièvre contemplait en elle-même et sempiternellement un grand rêve sérieux, flamboyant, imbécile, un grand n'importe quoi non dénué de couleurs.

Ce rêve sans ornement, aussi cru qu'un oursin, en affectait la forme avec moins de piquants. Il habitait Pot-de-bière. Constamment. Elle le songeait, c'est vrai, durant tous ses instants. Sous l'étonnante chaleur de ce rêve brûlant, des vapeurs se formèrent en dedans de son crâne. Ca fit de la pression qui souleva l'illusion. Ca fit des courant d'air, ascendants, descendants, et de droite, et de gauche à n'en savoir que faire. Le rêve en voyageait un peu comme autrefois les matrices anciennes dans les ventres des folles, puisqu'on voulait le croire. C'est tout de même bizarre qu'il arrive ces choses là! heureusement, c'est rare, et ce fut autrefois.

Bien qu'il fût -voir plus haut- moins muni de piquants qu'un oursin ordinaire, le rêve rebondissait aux parois internes du crâne de Pot-de-bière. Ca lui faisait très mal, mais elle n'en disait rien. Même quand ça la blessa, et bien peu légèrement. A tel point qu'un beau jour, elle saigna des oreilles. D'ailleurs elle avait froid.

Bohémond fut peu tendre, bien qu'assez germanique, avec des nattes longeant ses joues, une épée formidable à son côté senestre et l'habitude de boire de la soupe au hareng.

Lorsqu'il vit Pot-de-bière les joues ensanglantées, il pensa que, vraiment, ce qu'il lui racontait ne pouvait provoquer ce type de genre de mal. Conscient de son inanité, ce chevalier inepte conclut que, forcément, quelqu'un d'autre devait narrer à sa belle quelques histoires fabuleuses propres à la blesser fort. Oui, des histoires gratinées, fussent-elles biographiques, scandées en langage rude et néanmoins sincère. Et c'est là le vrai pire. Bohémond, s'il te plaît, n'en deviens pas jaloux! Mais il n'écouta pas ce conseil de bon sens.

Pour punir l'infidélité cuidée, la tromperie supposée de sa femme, Bohémond la plongea toute nue au vivier. Car cet homme élevait des animaux marins. Et c'est là qu'atrocement, des oursins carnivores s'empiffrèrent de la chair  de la pauvre rêveuse. Et c'est là qu'ils s'en mirent vraiment plein la lanterne. Ce fut laid. La tête elle-même disparut dans le sang. Le rêve, comme on s'en doute fut alors délivré par cette dévoration. Comme par son allure, il ressemblait à eux, les autres- je veux dire: les oursins- ne l'attaquèrent pas. Il s'en fut donc, tranquille. Un rêve qui s'échappe, c est une bouteille à la mer. Personne, de nos jours, ne dira le contraire. Du moins vers Echternach. Ou alors, plus à l'Est, mais plutôt dans les villes.

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