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orlando de rudder
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24 janvier 2006

Le Miroir et le masque 6

Le Médecin. Le masque d’Ombredane. Le chirurgien opère, masqué d’un tissu bréhaigne, sous les scialytiques, ces lumières sans ombres. Aujourd’hui, il n’utilise plus guère de masque pour endormir le patient. Autrefois, le chloroforme, l’éther s’appliquaient par ce biais. Et la vie a voulu que l’inventeur d’un des ces masques pour anesthésie se nommât : Ombredanne … Les hommes sont-ils des ânes, ou est-ce ombre d’âme : qui plaque du son au sens n’a pas tout à fait tort. Profondeur, inversion. C’est par certaine inversion de sens, en tant que direction, que nous donnons parfois le nom de spectacle ce que perçoit notre sens de la vue, en tant que sensation. Le spectacle du monde n’est pas son reflet. A moins que nous vivions en pleine caverne platonicienne, perfectionnée par le cinéma en couleur. Ce que nous voyons existe autrement, du moins le pensons-nous, que l’impalpable image qu’on trouve dans un miroir, enfin, à sa surface…quelle est sa profondeur ? Illusion de l’espace : perception perspective… Speculum. « Spectacle » dérive du mot latin speculum, qui signifie « miroir ». Au pluriel, spectacles, en anglais désigne une paire de lunettes, c'est-à-dire le contraire d’un miroir, ce qui permet de voir à travers, et non pas l’opacité glacée jouant à un sorte de ping pong stable avec notre visage. Il va falloir approfondir le risque rayonnant de l’unité sémantique, dirait un savantasse. Et même témoigner de la transparence plurielle de ce qui se reflète, comme de ce qui se voit. Soyons attentifs au contexte éthique de l’unité ! Assumons l’approche non-sécurisante de la réalité humaine ! … Spéculum. Quel est ce trouble ? Et ce mystère ? Continent noir ? Allons donc : c’est en pleine lumière ! Quoi ? L’éternité ? Est-elle retrouvée ? Presque : l’origine du monde ! Un secret ? Non, un caché : crypsamen. Le creux, la bouche d’ombre, la caverne, l’antre de Cypris, l’ergastule ? Tout cela, avec quelque innocence fendue qui demande un miroir qui n’en est pas un. Un objet qui inspecte, qui respecte aussi puisqu’il aide à soigner : le spéculum du médecin, et plus particulièrement du gynécologue. Accent aigu. Il porte le nom latin du miroir. Mais il ne lui ressemble pas tout à fait. D’abord parce qu’il est d’usage d’écrire les mots d’autres idiomes que le français en italique. Ensuite parce qu’il y un accent : ça n’existe pas dans la langue de Sextus Empiricus. Pourquoi un accent aigu ? Ca pourrait blesser les délicates muqueuses de l’observée ! Se vider les yeux ? Mais ce n’est pas un miroir. Il sert à voir l’intérieur du sexe d’une femme. Il va loin. Il révèle quelque souffrance, quelque atteinte, quelque maladie. Il est chaste en plein lieu du désir. Il pénètre mais ne jouit pas. Il scrute. L’œil n’est pas sexe, du moins masculin. Pas tout à fait. Le devrait-il ? Soyons grossier : On ne se voit pas pour se vider les yeux. Henri Meischonnic, Dans nos recommencements, 1976. Ce qui s’inverse ? On ne voit pas son semblable de sexe opposé dans ce but là non plus… Il est d’autres façons de se pencher sur la source sans reflets. Métallique, glacé, poli comme un miroir, le spéculum éclaire l’ombre. Il fouille, il farfouine le creux. Il veut savoir, et pour cela, voir. Il rejoint l’inconnu par le connu lui-même : ce qui fonde. Ce qui engendre, non pas crée. Ce qui s’inverse, n’est-il pas ? Cosi et questo. En effet. Il y dans le sexe une retour sur soi-même autant qu’une communion avec l’autre. Cette fois, ce n’est pas au système du reflet qu’il faut se référer. Au masque, peut-être, encore qu'il ne soit pas un visage retourné. De l’anatomie ? L’évocation d’une rétroversion des organes masculins pour former le sexe féminin ? Que le concave rejoint le convexe, comme un cosi et un questo ? Fi donc ! Point ne daigne ! Au miroir sémantique s’articlent les mots. En dynamique parfois. Marché de village. On trouve encore des gaines et des combinaisons roses, assez moches, sur les marchés de village. Tissus élastiques, contention : la gaine rosâtre programme l’ambivalence contraignante des féminités mûrissantes. Il faut que ça serre ! Que ça comprime les chairs bouffies. Que ça donne l’air mince, comme, jadis, le corset. Quelle dégaine, sans leur gaine auraient certaines rurales aux caquets vrombissants ! A la laideur du corps, elles ajoutent celle du sous-vêtement, truc machin de contention et presque de torture… Mais attendez la suite ! Etymologie. Une gaine, en général, pas seulement celle qui gaine les femmes, une gaine, oui, se dit en latin… vagina ! L ‘histoire des mots est celle de leur phonétique : elle est stable et quelque chose de francique est advenu pour inverser les syllabes, syncoper la désinence, "métathèser" à l’envi. Bref : Une femme qui porte une gaine se fourre le corps dans un vagin étymologique de satin élastique rosâtre et synthétique : rayonne, viscose…. Ou l’inverse : le vagin d’une femme est une gaine rose et satinée qui rayonne et s’émeut. Nous voilà bien ! Que faire ? disait Lénine. Rejoindre la transparence plurielle de ce qui vit ? Voisinage. N’allons pas jusque là. La gaine et le vagin voisinent. La gaine de tissu contient un corps adulte. La gaine de chair est apte au passage des enfants. La femme qui ôte sa gaine, le soir au coucher, ne s’auto enfante pas. Ce n’est pas accoucher que de dormir sans gaine. Que de coucher vêtue d’une chemise de nuit, pourvue d’un masque cosmétique, hérissée de bigoudis. C’est demeurer, stagner au lieu d’un peu bouger pour fortifier ses muscles. En délaissant la gaine. Je veux dire : le sous vêtement pareil à un prothèse. Qui ne ressemble pas du tout à son homonyme étymologiquement apparenté. Tout creux n’est pas sexe. Loin de là, puisque une personne au cerveau vide, une andouille est une espèce de con. Spéculum et stéthoscope. Le spéculum est le frère du stéthoscope. Ou plutôt son reflet inversé, du moins dans l’intention. Le premier ouvre, écarte, montre. L’autre écoute ce qu’on en saurait voir, sauf opération. L’un dévoile ce qu’on garde secret. L’autre, l’instrument de Laënnec, ne voulait pas voir autre chose des femmes, ni surtout, toucher… juste entendre. Un pionnier : Laennec. Laennec, médecin catholique et breton, « découvrit » la cirrhose du foie . Il fut le premier à la décrire, à tenter de la soigner. Il devint l’un des pionniers, voir l’inventeur de l’auscultation méthodique. Il a su décrire les battements du cœur en fonction des atteintes subies. Son oreille, avec la subtilité de celle d’un musicien, d’un accordeur, distinguait la moindre fibrillation, la plus petite extrasystole… Pudeur. Ecouter un cœur ? Il n’y a rien de plus simple : On pose son oreille sur la poitrine de quelqu’un et, boum-boum, swing vital ! Fort bien, s’est dit Laennec, mais s’il s’agit d’une femme ? On entend quand même ! Fort bien, mais la pudeur ? Moi, Laennec, si prude et fort croyant, je ne vais tout de même pas risquer d’être troublé par la chair féminine en deux faons jumeaux apparue à mes yeux pour me perdre indéfiniment dans l’enfer de la lubricité ! Ce qu’on a dans le coffre. C’est ainsi que, paraît-il, d’après un jeu d’enfants, Laennec roula un cahier pour en faire un cylindre, un tuyau. Il en appliqua une extrémité sur la poitrine, dûment voilée d’une mince chemise, de sa patiente. A moins qu’elle ne portât une gaine. Ainsi, le médecin put-il diagnostiquer. En plus, ce dispositif amplifie le son des battements ! Impec pour Laënnec ! Il fit fabriquer des tubes en bois, les premiers stéthoscopes. Plus tard, on amincit le tuyau, puis on y ajouta une paire de tétons à enfouir dans l’oreille pour écouter mieux : deux oreilles, deux seins, un cœur. Le stéthoscope moderne voulait-il inventer la stéréo. Il servait aussi aux cambrioleurs, cherchant la combinaison d’un coffre-fort, pour l’ouvrir en douceur afin de s’approprier ce qu’il a dans le ventre. Il s’agit toujours de savoir ce qu’on a dans le coffre. Nous l’avons échappé belle ! Et la synonymie miroite tant et plus. Laennec portait-il des lunettes, spectacles, en latin ? Les rangeait-il dans un étui ? Certains gynécologues sont myopes…Imaginons que Laennec eût été sourd ! Et s’il avait ausculté une femme sans cœur ? On en frémit ! La vie est à peine un peu plus vieille que la mort. Spéculairement, les femmes. Ou LA Femme, comme disent les andouilles… L’origine du monde, comme Courbet l’a peinte, nous mène souvent à l’absurdité du dur désir de durer au plaisir un peu fou d’exister. Qu’entends-on si l’on pose son oreille sur le sexe d’une femme ? La mer, évidemment, car la conque de Vénus en propose les embruns et l’intensité du déferlement de nos désir coquin ! Quelques grandes âmes ont aussi pu savourer leplaisir de finir… A temps exact ! Amour et psyché, sosies et reflets. Ressembler. Amour désir, voici qui ne s’arrange pas. L’amour disait Maître Eckhart nous fait ressembler à, ce qu’on aime. Certaine photos de mariages montrent el contraire. A moins que le mariage suppose le manque d’amour. Après tout, c’est l’usage au théâtre, par exemple et les mal mariées font fureur, scènes s’apprivoisent ou non. Cette ressemblance est généralement plus intime et Tristan ne saurait se confondre avec Iseut. Ja a dis. Pourtant, dans la chambre des Dames médiévales, il y eut bien d’autres histoires. Celle que, lieux communs, racontait une jumelle à sa sœur, tout aussi jumelle… Jadis, ja a dis : « il y a des jours. Et, de ce jadis pour nous de la légende à raconter, voici que la jumelle raconte des histoires de jumeaux…Enfin presque. De sosies. D’identiques, mais pas de même sexes. Le miroir inverse d’une façon systématique, rusée, opiniâtre. Bonheur d’être soi-même. Même les jumeaux, l’un comme l’autre, peuvent connaître un plaisir simple autant qu’humain : s’asseoir un moment sur une chaise, ensemble ou séparément s’il s’agit de jumeaux, un fauteuil, un banc, l’herbe, le sable et savourer l’intense bonheur d’être soi-même. Cette jubilation n’est toutefois permise qu’à ceux qui savent vivre avec enthousiasme, quelles que soient les épreuves subies, et qui n’ont pas de souci d’identité. L’identité ; corrosion du moi. L’identité n’existe que sur els cartes du même nom. Ces cartes nous décrivent, nous représentent dans le miroir déformant du judiciaire, du policier, de l’administration. Elle n’a rien de nous sinon quelque semblance photographique, événementielle et nominale. Quant à l’identité nationale, ou régionale, voyons certainement qu’elle ne sert trop souvent à se fuir soi-même, à se vouloir semblable aux autres, sosies en origine, afin d’être admis, accepté, intégré. Et afin, surtout, de pouvoir détester, haïr ou tuer d’autre personnes déclarées non-ressemblantes, puis différentes, puis étrangères, voire en dehors de l’humanité. Le courage est ailleurs : être soi, c’est accepter aussi d’être seul. Avec d’autres. Par amour. Sosie du destin. Ainsi se ressemblaient les amants fidèles comme leur similitude : Floire et Blancheflor, le musulman, la chrétienne, avaient les mêmes yeux pour regarder ensemble dans la direction des miroirs du temps, des possibles labyrinthes et des nuits orientales… Ainsi furent aussi Aucassin et Nicolette. Ils se ressemblaient fort. Très fort. L’une était sarrasine et portait un nom français : Nicolette, « au cler vis » (au visage lumineux), l’autre était franc et portait un nom arabe : Al Kassem. En quel miroir troublent ces reflet se confondent. Rêves médiévaux, antiques, rêves de nuits difficilement câline, fussent-elles au même nombre que les conquêtes de Dom Juan, celui qui se trouva face à la statue sosie de son Destin. Mais… L’Orient. Revenons à nos agneaux, à l’Orient des amants se ressemblant l’un l’autre. Il y a Aussi Bel Heureux et Belle Heureuse, tout un programme pour un seul conte… Parmi tant. Mille et un. Car c’est Shéhérazade qui nous narre cette histoire et sa sœur Dinarzade l’écoute autant que son destinataire, au désert intérieur, à l’oriental ennui, celui qui pourrait aimer Shéhérazade, et qui se trouve là, avec leurs deux sœurs… Mille et une nuits ! Doubles. Dans ces contes on trouve des dualités intéressantes : Sinbad le marin, l’autre Sinbad. Le portefaix. Des doubles jusqu’au nombre des voleurs qui sont deux fois vingt… Considérons l’effet de ces reflets multiples et de ces miroirs innombrables, se faisant face, bifurquant,n comme le labyrinthe qu’on trouve gravé sur le fond des miroirs chinois, comme le miroir qui, au centre du labyrinthe déroute autrement le voyageur perdu… Mille et un mirages. Et bien sûr, le nombre ! Nombres. Révélation se dit Apocalypse en grec, n’est-ce pas ? Nous n’en prendrons le chiffre que pour parfaire un miroir déjà triple. Le nombre devient chiffre s’il porte quelque secret et ne l’est qu’en tant que signe s’il est unique ou plus, mais considéré comme tel, et non opératoire ? Chiffre, miroir du nombre ? On ne sait pas, SI ? Non ? Plus ou moins ? Par défaut ? 3, chiffres. 1001, donc, nombre miroir reflétant en miroir tout nombre de trois chiffres qui s’y multipliera : 666, par exemple, chiffre révélateur. 666×1001= 666666. Et voilà le travail ! Ainsi s’annonce quelque clef de la fiction. Comme l’amour des sosies en nombre tel ou tel. Devenir qui l’on aime ou reflet d’iceluy ? Tant de ressemblance peut gêner : Voici Belle-heureuse, et nous l’imaginons, tâchant de rire devant son miroir. Ne se trouve t-elle pas belle ? Si assurément. Mais ne croit-elle pas voir Blancheflor, l’absent qui lui manque en contemplant sa ressemblance, en se voyant elle, absolument pareille. Sauf la féminité, les deux faons jumeaux et la caverne d’ombre. Qu’importe cette chair, puisqu’une vitre polie suffit à dire la vérité, impalpable reflet du monde tel qu’il va : On est comme un homme devant un miroir, ou plutôt, selon que l’a dit un poète, on est ce miroir. Sainte-Beuve, Chateaubriand. Devenir ce que l’on aime, pur reflet, mirobolant destin. Et Bel-heureux, ailleurs, ne fit-il pas pareil, se constatant aussi bien autre. Si semblable à s’amye que c’est à en pleurer au moins mille et une larmes ? De rage Il accusait le miroir d’être faux. Jean de La Fontaine, Fables, « L’Homme et son image ». Il n’en croit pas ses yeux, alors, alors, alors ? Incrédulité. Non point autre chose : Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer. Jules Renard, Journal, 18 février 1892. Elle lui ressemble ou bien se voit-il LUI. L’amour spéculaire de Narcisse rôde et vaque… Et l’amoureux se leurre peut-être sur l’objet qu’il convoite : Il ne sait pas (aveuglement extrême) Que sa Vénus n’est autre que lui-même, Qu’il est l’amant, qu’il est l’objet aimé, Brûlé d’un feu par lui-même allumé. Malfilâtre, Narcisse dans l’île de Vénus, 1769 . Vieux poème, d’un mort jeune, d’un poète quelque peu légendaire. Ainsi, dans le portrait de sa belle, l’amant ne se voit pas. Mais l’inverse nous possède quotidiennement. Pire ! Car même si l’on est soi, si l’on se reconnaît, le doute s’installe complaisamment : Lorsque tu te regardes dans la glace En te disant : » c’est moi », il vient toujours Un moment de panique. Es-tu en face, es-tu ici ? Quid de ce moi venu un jour, dont il ne restera rien. Liliane Wouters. « Lorsque tu te regardes », L’Aloès. Comment reconnaître l’autre de soi dans ce reflet trompeur. A moins qu’il soit sincère…Y a-t-il un nom gravé quelque part ? Un monogramme, des initiales, quelque chose à lire, comme sur une pierre tombale : miroir accablant aux pesanteurs extrêmes. Lire ! Comme on lit le nom de la Liberté : Je lis ton nom: tu es MOI-MÊME. Jean-Pierre Duprey, La Forêt Sacrilège. Lire comme on lit un conte ! Une histoire… un roman. Floire et Blancheflor, par exemple. Ou un autre… Un roman, c’est un miroir, tout le monde le dit. Mais qu’est-ce que lire un roman ? Je crois que c’est sauter de l’autre côté de la glace au milieu de gens et d’objets qui ont l’air familier. Jean-Paul Sartre, Situation I. Tout roman est aussi une histoire d’amour : L’amour et la littérature coïncident dans la recherche presque toujours désespérée de la communication. Jorge Gaitan Doran, Si Demain je m’éveille, 1961. Et si l’on écrit pratiquement le nom de Liberté, au risque de se perdre, au risque d’en perdre la tête, le visage, toute forme sous la lame du bourreau, on connaît les affres mêmes du désir et de l’attachement réunis : La littérature est une passion qui porte jusqu’au délire, elle a ses inquiétudes, ses alarmes, ses absences, ses tourments, comme l’amour. Olympe de Gouges Qui regarde ? Le mieux serait d’agir comme Basil Sidney qui ne peut même pas se voir en peinture. L’amour ? Nos bonnes précieuses se faisaient belles aussi, beauté vite démasquée de mouches et de perruques, de fards et de regards un peu trop étudiés. Ou alors on ne sait ce qui imite quoi. De plus, ça ne nous regarde pas, et c’est par pure audace que nous réfléchissons C’est le miroir qui se mire dans la femme. Xavier Forneret, Encore un an de sans titre. Encore faut-il lui mettre le miroir en main, comme un marché, entre soi, son reflet, l’ombre du temps qui passe, le masque du futur qu’on essaie de discerner… Etre soi-même enfin En sachant que Les yeux sont les miroirs du corps, ils en disent beaucoup plus long sur l’état de nos viscères que sur celui de notre âme ou de notre esprit. Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord. Ciel ! Voici donc ce qui doit rester juste et ne pas se gauchir par telle image maussade de domestique quelconque ! Apportez-nous le miroir (…) et gardez-vous bien d’en salir la glace par la communication de votre visage. Molière, Les Précieuses ridicules, VI. Dire qu’il suffirait de l’essuyer… Un miroir ne pleure pas quand il est tout seul… Et parfois même, il ne nous fait pas rire… Est-ce toi, Marguerite ? Oui, déjà le temps passe… Nous contemplons, hélas La surface polie du constat redoutable. Guy de Maupassant, Fort comme la mort. Polie, mais peu courtoise, irréfléchie parfois… Enfermement spéculaire. Le destin emprisonne comme toujours chez Maupassant, au moins chez Maupassant dont une des héroïnes (Dans Notre cœur) se mire dans une glace triptyque inquiétant dans lequel elle s’enferme. Le temps passe, madame, pour de nouvelles romances, pour de nouveaux romans, ou pour rien du tout : naufrage et solitude, on vivra décati. Emprisonné. En devenir d’image ou bien de souvenir… Création du miroir. Ô, grande pitié d’amour : Mon miroir pour un destin ! En fixant ma glace à m’embrouiller les yeux, je vois encore la vie d’une toute autre façon, un clignement ? Tout est parti ! Création de miroir ne dure qu’un moment. Quand au chagrin… N’as-tu pas vu, Thérèse, des miroirs de formes différentes qui diminuent les objets, d’autres qui les grossissent, ceux-ci qui les rendent affreux, ceux-là qui leurs prêtent des charmes ; t’imagines-tu maintenant, que si chacune de ces glaces unissait la faculté créatrice à la faculté objective, elle ne donneraient pas du même homme qui se serait regardé dans elle un portrait différent, et ce portrait ne serait-il pas en raison de la manière dont elle aurait perçu l’objet ? D.A.F. de Sade, Justine ou les Malheurs de la Vertu. Qui se mire est perçu… On peut y penser, au prix du jeu de mots habituel : La réflexion est appelée l’œil de l’âme. Bossuet, Institutions sur les états d’oraison. N’allons pas plus loin, les images se brouillent. Elles n’en sont que plus fascinantes… Pourtant, si chaque miroir « unissait la faculté créatrice à la faculté objective », nous deviendrions ses œuvres, ses créature. Et le miroir serait comme Dieu. Nous créerait-il à son image ? Spéculaire culinaro-pâtissier. Téléviseur et lèche-vitrines. Certains magasins ont en vitrine un téléviseur dans lequel on peut se voir en train de le regarder. Le filtrage est double : verre de l’écran, verre de la devanture et tout peut se mêler à divers reflets. Il est possible de se voir sur l’écran tandis qu’on se voit réfléchi par le verre de la vitrine. Sur ce verre, comme sur un miroir on ne saurait embrasser son reflet que sur la bouche. On ne pourrait se lécher que la langue : le lèche-vitrine demande un au-delà du reflet. Le contact, stricto sensu serait froid. Faire du « lèche-vitrine », c’est « manger des yeux ». Ce n’est pas pour cela qu’un miroir se nomme aussi « glace ». En regardant la devanture du pâtissier, on peut pratiquer le « lèche-vitrine » : il s’agit de « manger des yeux » les gâteaux offerts à notre désir : notre reflet peut les accompagner, les jouxter, les comprendre alors même qu’ils sont inaccessibles. En entrant dans le magasin, en choisissant, en payant, il devient possible de déguster ce qu’on a admiré de l’autre côté de la glace. Mais on ne peut jamais manger son propre reflet. Pourtant, on l’a bien vu, là, parmi les gâteaux ! Le reflet résiste à l’autophagie tandis que le verre casserait les dents. Précision. La langue est ambiguë, qu’elle désigne l’organe ou l’idiome. Une expression comme « manger des yeux » permet l’équivoque. Il pourrait s’agir d’un festin de choroïdes et de cristallins nappés d’humeur vitrée. Les guerriers d’autrefois agissaient ainsi pour s’approprier l’acuité visuelle de l’ennemi vaincu autant que dévoré. L’équivoque propose son sens en brouillant les pistes. Quelle signification peut en masquer une autre ? Les mots ne sont pas que le reflet des choses, puisqu’ils servent aussi à mentir, à dissimuler. A masquer. Ils sont inévitables… Biscuit. Il existe une façon de manger un miroir sans l’épaufrer ni l’ébrécher. Il s’agit d’un gâteau sec. D’un biscuit à forme humaine. Ou plutôt qui représente un personnage drolatique ou grotesque. Certains sont en forme de visage, comme des masques. Avec un moule idoine, on pourrait en fabriquer à sa propre image. Ces friandises traditionnelles fleurent bon la cannelle, les épices, le caramel. Ils se nomment speculoos, mot néerlandais venant du latin speculum qui signifie « miroir » et qui a donné « spéculation » en français, le tout étant de la même famille que « spectacle ». Les personnages grotesques nous représentent : ils sont le miroir des caractères humains. Certains spéculoos peuvent représenter des saints ou des saintes, miroirs de ce que nous devrions être. Avant qu’on ne les mange. Croquer, c’est aussi dessiner, faire un croquis, une esquisse, un sketch. Nous ne quittons pas la représentation, le reflet, le semblant, le même, l’image… Lunettes. D’autres gâteaux nous regardent. Deux sablés ovales, collés l’un à l’autre par de la confiture. Le sablé du dessus est percé de deux trous. On nomme parfois cette pâtisserie « gâteau-lunettes ». Ils doivent voir rouge, malgré leur calme, puisque la confiture est de cette couleur. Mais cette disposition, ressemblant, donc, à deux yeux bésiclés, constitue une sorte de masque. Il existe d’ailleurs de petits gâteaux industriels au chocolat qui vont jusqu’au visage complètement, schématiquement, délibérément représenté. La disposition en yeux de ces sablés ressemble à celle des œufs sur le plat. On nomme ces derniers « œufs miroirs » . Ab ovo. « Œufs miroir » ? On ne voit pas bien ce qu’ils reflètent. Nous regardent-il comme deux yeux jaunes en dôme qu’on va bientôt crever? Sait-on ce qu’ils représentent ? Un exemple : A chaque fois que je te regarde manger des œufs, c’est comme si tu goûtais mes ovaires. Claire Castillon, Le Grenier. Ces miroirs ne sont pas des masques. Pourtant, leurs coquilles ne cachaient rien qu’on ne puisse deviner. Les anglais nomment ces œufs au plat sunny side up, « côté ensoleillé dessus ». Ils les dégustent le matin, en lisant le journal, autre miroir quotidien. A moins qu’il ne préfèrent les oeufs brouillés : on n’y voit plus rien. Dans les charivaris et autres fêtes anciennes, des personnes grimées, masquées, lancent des oeufs sur les gens. A Binche, on préfère jeter des oranges. Il y a du soleil là-dessous. Goethe, en mourant, demanda plus de lumière : Mehr Licht. Ce furent ses derniers mots. Comptait-il la manger ? Manger des yeux. Pourquoi voulons-nous nous nourrir de ce qui nous regarde ou ce qui nous ressemble ? Manger des dents, non pas seulement des yeux ? Art. La recette des spéculoos, comme des « gâteaux-lunettes » est relativement simple et, ne demande pas une grande habileté pâtissière. Les oeufs au plat sont encore plus simples à cuire. Tout le monde peut donc se régaler en jouant au jeu du masque et du miroir croqués. Le seul problème, pour les speculoos, demeure le moule, la forme. Celle qu’il faudrait sculpter, puis mouler avant de la fondre. Le moule est aussi une sorte de masque. Spécialement le premier qui englobe le noyau, la forme de départ. Le premier : la matrice. Ce qui naît prend un masque. Pour en changer plus tard. C’est une question de poésie. D’écart entre ce qui est et ce qui représente, entre ce qu’on regarde et ce qu’on transpose. Geste et art. Regarder s’apparente à un geste : Le moindre geste est un souvenir futur. Claude Aveline, Avec toi-même. Les yeux se souviennent. Ils bougent tout procède de la mémoire, de la comparaison, de la mise en perspective : jeu de masques et de miroir, miroir du temps, masque de la nostalgie : La République était si belle sous l’Empire ! Voir est un art : Il prit le temps de la regarder. Elle était vêtue d’une simple culotte jaune. Le visage dévoilé par la nuit des artifices du maquillage, à son goût, car bien faite et les traits fins, mais empreinte des principaux défauts qu’il déplorait chez les femmes : ce goût extrême de la théâtralisation, ce besoin superflu de maternage et cette voix, transitant sans cause du registre le plus menaçant aux vibratos les plus sensuels. Virginie Durand, Emma Rovski, 2000. Mais où ? Parfois même celui de la divination. Même si le visage s’est dévoilée, autant dire: démasquée. Associé à un physique, une voix, des sentiments. Le tout projeté sur ce visage sommé de refléter ce qu’on y voit ou ce qu’on veut y voir. Y ? Que signifie cette lettre ? Qui se prononce en anglais why ? Ce qui signifie » pourquoi ». Cause et lieu. Circonstances. Là est la question : pourquoi, mais où ? Pourquoi l’inconnu (e) : y x ? Ombre du doute, miroir de l’histoire… Directions. Stars masquées ou démasquées. Les stars, jadis, portaient des lunettes de soleil afin de n’être pas reconnues. Ces lunettes faisaient alors office de masque. A ceci près qu’en certains endroits, comme, par exemple à Cannes, durant le festival, ces bésicles désignaient et signalaient la star. Ce masque, loin de dissimuler devenait emblème. A tel point qu’il suffit pour se faire passer pour une star. A travers le miroir. Contrairement au masque de comédie antique, dont nous avons vu qu’il se laisse percer par le regard enfiévré du comédien, les lunettes cachent le regard de la star. A Hollywood, comme dans tous les pays de langue anglaise, on les nomme glasses, ce qui peut aussi signifier miroir. Le miroir d’Alice au pays des merveilles est appelé looking glass, « verre à regarder » ou « miroir regardant ». C‘est une question de sens. Car ces deux mots pourraient tout aussi bien signifier « verre pour regarder », autrement dit : « lunettes ». Un autre nom pour désigner ces dernières, toujours en anglais, est spectacles. Les lunettes et la star, comme le miroir sont décidément liés au masque. Décalage. J’ai évoqué plus haut l’éventualité d’un masque qui serait aussi miroir. Pour ce qui est des lunettes, la choses existe : certains verres réfléchissants, non contents de maquer le regard, reflètent ce qui se trouve devant elles. Ce que voit le porteur des susdites lunettes. Et ce que peut voir son vis-à-vis, s’il se décale un peu, pour ne pas voir que lui… Car tout, en ce domaine, est une question de décalage, de translation, de transposition. On voit ce que voit l’autre, on se voit le voyant, l’autre et ce qu’il voit. Ce n’est pas rien. Faire l’amour. Le jeu devient complexe, puisque la « chose vue » traverse le miroir et se contemple depuis chacun de ses côtés. C’est le principe du miroir sans tain des maisons closes. Mais, dans ce cas, ceux qui sont vus, et qui se voient dans la glace, ne savent pas qu’on les voit tandis qu’ils se regardent. Ils se regardent, se contemplent et s’excitent sexuellement à la vision de leur propre excitation. Et de ses conséquences. Le voyeur, qui regarde au travers de la glace sans tain s’excite de la même excitation. Le réel du coït observé demande le renfort de son image pour ceux qui y participent. On appelle ça « faire l’amour », locution, à mon sens, pire que tout obscénité : ça ne se fait pas. Même si ça se voit. Qu’il y ait amour ou non. Regarder ensemble. Saint-Exupéry nous a appris que l’amour consiste à regarder ensemble dans la même direction. Et non se regarder l’un l’autre. Les lunettes réfléchissantes permettent de faire les deux à la fois. Toujours au prix d’un décalage, sinon, nous ne verrions que notre propre reflet dans les verres des lunettes de l’autre. Et vice-versa. Se regarder ainsi face à face, tout en contemplant ce que voit l’autre derrière soi, par dessus l’épaule ne manque pas de grâce. Mais après tout, on peut aussi voir derrière l’autre, par dessus son épaule. Il y a ce à quoi on tourne le dos, ce à quoi on fait face. Et ceci, symétriquement. L’amour peut regarder toute image jusqu’à l’obnubilation. Ou vers la transcendance… Interpénétration des points cardinaux. Ce jeu est pourtant sans mystère : ce qu’on voit n’est pas fait pour ça. Le mystère ? C’est celui du cœur et de l’esprit de ceux qui en viendraient à se scruter ainsi, en compagnie du monde ou de ses paysages. On doit pouvoir trouver là quelque métaphore efficace. Ce n’est pas forcément nécessaire. Ce qu’on a fait à deux, on peut le faire à quatre en décalant davantage. Ce face-à-face décalé permet l’interpénétration des points cardinaux. En images, en reflets, en masque.
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