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orlando de rudder
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20 janvier 2006

Le miroir et le masque 2

La belle marquise. Fêtes galantes. La méchante reine ne pourra plus jamais être la plus belle femme du cosmos. Tout au plus retardera t-elle les effets des années par quelque masque ou maquillage. Ou séduira t-elle, anonymement, un jeune et beau garçon, cachée à l’abri d’un domino de carnaval, d’un masque de mardi-gras, durant une nuit d’intrigue nous évoquant Venise autant que Watteau ou Verlaine. Fêtes galantes, masques et bergamasques, déguisements fantasques, belles enfants méchantes et marivaudages parfois cruels… Jeu de l’Amour et du hasard, surprises primes ou secondes. La reine y croisera peut-être une autre belle dame. Belle marquise. Cette séductrice, par exemple, qui se mire, se scrute dans un joli miroir. C’est une rouée, une garce. Le temps n’a pas encore trop marqué son allure. Elle ne manque ni de finesse, ni de hauteur. La froideur de son coeur n’empêche pas qu’on l’affectionne. Qu’on la désire. Quel écho ? Les utilisatrices de produits de beauté se servent du miroir pour ne pas se voir telles qu’elles sont. Le passé et moins tenace que l’idée qu’on s’en fait, ou qu’on se fait d’un présent idéal, d’une fin de l’histoire, d’une durée stable : il s’agit de trouver le prince charmant, autre masque. Et l’histoire s’arrêtera là ; on ne vieillit qu’après. Et ça ne se dit pas : les miroir sont tous muets… quoi qu’en dise la méchante reine. Le temps passe. C’est un piège qui se referme : Méfiez-vous des psychés Qui reflètent vos vingt ans Elles sont feintes Norge, « Autoscopie », Plusieurs malentendus, 1926. Oui : on souhaiterait l’écho en surcroît du reflet. Mais quel écho ? L’époque est révolue. Revenons à la Merteuil, ou à toute autre coquette mûrissante à la fin d’un ouvrage, d’une carrière de séductrice. Son visage, dans le miroir lui devient contraignant. Elle guette le moindre défaut. La moindre échauboulure, la plus petite ride. Elle soupire : son visage n’est pas encore aussi horrible qu’il le deviendra bientôt. Il fut si beau ! Madame de Merteuil sera dévisagée, démasquée par la maladie autant que par l’âge. Bientôt, elle pourra déclarer : L’époque est révolue; le teint blêmit comme s’il passait sous terre. Jérémy Fraise, Le Cube, 2003. On ne fait pas la guerre. On ne fait pas la guerre au temps. Le cadran solaire est aussi un miroir avec un reflet d’ombre. Un reflet ou un masque On ne fait pas la guerre au soleil. Même si la jeunesse et la beauté illuminèrent un jour le cadran du miroir. On ne fait pas la guerre à qui l’on fut. Ni d’ailleurs à l’amour : des ses yeux encore vifs de fort belle marquise, qu’amour la fait mourir de, sourd une petite larme… Il y a de quoi. Naufrage de vieillesse n’advient que lorsqu’on fuit la. Merteuil n’avait pas le choix. Il lui fallait être encore ce qu’elle avait été. Et pour l’être, le prix est fort. La vérole, la solitude font qu’elle avait peut-être, comme la Berma : … la mort sur le visage… Ombres portées. Une mort rongeuse, qui pend son temps compté au miroir des horloges, des ombres portées sur le cadran solaire : On voyait de longs rubans sculpturaux parcourir les joues avec une rigidité minérale. Les yeux mourants vivaient relativement, par contraste avec le terrible masque ossifié, et brillaient faiblement comme un serpent endormi au milieu des pierres. Marcel Proust, A la Recherche du temps perdu, « Le Temps retrouvé ». Intact. Comme on peut voir, le masque et le miroir s’accompagnent fréquemment, mais ne font pas toujours bon ménage. Spécialement lorsque le masque n’est autre que le visage, le visage même, masqué par l’âge. Comme s’il existait idéalement un être intact au fond de soi, comme si tous ces allongeails injurieux des jours rajoutés en accumulation ne faisaient que masque une jeunesse éternelle, un rêve au fond de soi. Comme si le temps n’était qu’une circonstance. Il est acte, acte du monde et de lui-même. Il se confond, pour nous, à son effet. Etrange désir, vouloir continuer d’être là. Que sommes-nous ? Un Faust un Dorian Gray, imbécile et cocasse qui croirait « xa va durer » ?… La voix du reflet. La voix nasillarde qui s’échappe du masque de Polichinelle ? Ou celle, plus matoise d’un Arlequin rusé. La diction imbécile d’un quelconque Gugusse ? La douceur travaillée d’une rusée Colombine ? D’un Sosie ? D’une Manon Lescaut, D’un Lamme Goedzak ? D’une Conchita Pérez ? D’un Sancho Pança ? D’une Clarisse Dalloway ? D’un Sganarelle ? Ou d’un Scardanelli ! Personne. Le masque antique servait, au théâtre, de résonateur. Il permettait de porter la voix au loin de telle façon qu’on l’entendît au plus loin des gradins. Ce masque spectaculaire proposait un rôle figé. Une voix stéréotypée en sortait ; celle du héros, celle du fourbe. En même temps, ce masque signifiait le rôle : l’homme, derrière se trouvait en jeu. Le masque, en latin personna, désignait l’acteur, en grec hypocrite. Et le spectateur pouvait en juger grâce à un miroir, celui de l’âme, miroir jumeau en miroir comme deux oeufs, les yeux : Ex persona ardent oculi histrionis . Cicéron, De Oratore, 2, 193 Ce regard suffirait au mime qui, même masqué, se tait. D’un œil exercé, le spectateur peut reconnaître le comédien à ses yeux. Comme à sa voix, même contrefaite. Un miroir n’a que le regard qu’on lui prête. Il reste muet. L’image en témoigne autant que moi. La méchante reine entend sa voix, entend des voix : le miroir s’est tu. A moins qu’elle ne l’ait doté de sa parole à elle. De son mensonge. Dans ce cas, elle n’a jamais été la plus belle. Ni belle. Ni rien. Il n’y pas eu d’histoire ni réponse sonore du miroir. Silence. Vieillir. Surtout qu’il est douleur de se voir vieillir : ce visage ressemble au mien, quoique plus vieux. Quelle ressemblance ! Il ne lui manque que la parole ! C’est un mime. La preuve ? Il se masque : regardez comme j’ai l’air vieux dans ce miroir menteur ! Il blanchit mes cheveux ! Sous telle autre lumière, ils ne sont pas si pâles ! Mes mains sont encore chaudes de caresses anciennes. Ce miroir ment. Ce n’est pas mon portrait. Ou alors… Anticipation. Je suis Dorian Gray : plus ce visage est vieux plus je rajeunis, moi. Ce miroir n’est qu’un leurre, une fabrication, une anticipation comme ces photographies vieillies artificiellement d’enfants disparus et qu’on recherche toujours, des années après. C’est une reconstitution : l’enfant que je fus n’a même pas disparu ! Casser la glace ne déchire aucun calendrier. Agenda, en latin, c’est « ce qui doit se faire ». La surface convexe d’un sablier de verre déforme hideusement chaque face qui s’y mire. Ethique. Regardez, je me désigne, je pointe l’index vers l’image et le miroir m’exécute un reflet cinglant, celui d’un seul doigt abouté à lui-même, faisant mine d’être deux . Cernes sous les yeux, loups de fatigue… il y a personne, une personne : moi ; personna, la représentation, l’être au monde accompagné de son paraître. Et pourtant, quelque chose me dit que le regard là veut signifier : Ce passé montre aussi la douceur de vivre son temps. D’être fragile. Qu’il y a en moi de l’ethos ou de la dignité, contrairement au pathos commode de la méchante reine, de la Merteuil. Il serait doux d’avoir plus peur que ça. La mort ? On se fait à l’attendre en savourant parfois une lente douceur de vivre : Il faut que tout s’éteigne : c’est lentement et par degrés que l’homme étend son être ; et c’est ainsi qu’il doit le perdre. Etienne de Sénancourt, Oberman, Lettre LVI. Cultiver l’inquiétude. Le mieux est d’imaginer qu’on la voit venir, qu’on la prévoit : Omnem corde diem tibi diluxisse supremum Grata superveniet quae non sperabitur hora Horace, Epîtres. I, 4 Pourquoi ne pas cultiver l’inquiétude ? Oui, parfois ça manque, l’option tragique d’être soi : Je me regarde souvent dans la glace. Mon plus grand désir a toujours été de me découvrir quelque chose de pathétique dans le regard. Louis-René des Forêts, Le Bavard, 1947. Nous n’avons guère de choix. Ou alors celui du masque. Le miroir ne fait que son possible. Pas plus. Pas mieux. Parfois pire que tout. Voir et peser. Cette personne, ce personnage, cette personnalité on peut la juger. Jauger. Peser. Avec un pèse-personne, compagnon du miroir dans une salle de bain. Compagnon du miroir et s’alliant avec lui pour témoigner de nos décrépitudes : Ah ? Tu te crois la plus belle ? Regarde-toi en face, face-à-face, dans le miroir. Tu te crois encore mince ? Aplatis tes deux pieds sans tricher sur le plateau de la balance. On pèse le masque, l’être au monde, la personne, le personnage de la comédie humaine qui, tout bien pesé, n’est que ce qu’on en peut voir au regard des autres. Peser ? Pensare. Image, imago. Regardez-moi enfin, moi qui ne veut pas voir cette image là de moi. Je me désigne. Je désigne ma persistance. Elle ne me parle pas. Ca me regarde. Je me regarde. En silence. Le Bourreau et le chirurgien. Notre reflet. La mort ? Même le Bourreau est notre sosie, notre reflet. A quel moment saisira t-il le vif ? Bourreau réel ou symbolique, il plane sur les choses et les êtres dans l’ouvrage éponyme de Pår Lagervikst. Encore un objet du temps, l’atropopaïque par excellence : il coupe le fil, il coupe la tête, il fait, de douleur en douleur, d’aplanit les chemins de la mort. Il connaît des secrets qu’il ne révèle pas. Il fabrique des onguents à partir de la graisse des suppliciés. Il récolte les mandragores… On ne le salue pas. Ou alors, c’est fini. Le bourreau affectueux. Non, il n’est pas méchant. Du moins, pas forcément. Voyez ce tortionnaire durant l’inquisition. Il vous regarde, vous brise. Il prie avec vous. Pour vous. Va-t-il pleurer ? Peut-être. Ces hommes de tortures raisonnaient en Chrétiens, avec rigueur et pitié. Avec Charité et compassion : Le Bourreau parle. « Tu as commis une grave faute, dit le bourreau, un crime, coquin de voleur, marpaud, infâme maraud, espèce d’assassin, marpouille pitoyable !… ou pire ! Sale turlupin ! Ventre putier de l’Antéchrist, méchant trupelu, clabaudeur de vesse, bruyant frelon, strygial, épicène, pocillateur, satanique et pistolique, porte-venin de l’infaicte (sic) vipère, trahiste . Ou encore : ignoble cathare ! Templier lubrique ! Bougresse de sorcière et présumée putain ! Hérétique obstiné, relaps, vaudois, marrane ! Et ça déplaît à Dieu. Alors, tu vas payer. Et moi, moi, l’humble bourreau, simple instrument du Ciel, je vais t’y aider d’une façon précise, rituelle. Car la torture est réglementée. Elle a sa progression, sa cérémonialité. C’est écrit dans un Code. C’est presque une prière. Car nous servons Dieu en te faisant souffrir »… Comprends-tu que je t’aime ? « En t’administrant la morfle pour ton bien, pour ton salut dont je suis l’auxiliaire. Je travaillerai bien, car je sais que la douleur que tu vas supporter, pour odieuse qu’elle soit, t’ouvrira toutes grands les portes du Paradis. Plus tu souffriras, plus vite tu seras racheté. Et mon aide me permettra peut-être d’accéder, moi aussi, aux éternelles béatitudes ! Pécheur, mon frère, comprends-tu que je t’aime ? Je suis comme toi, pécheur. Un peu moins, mais tout de même. Mon salut à moi c’est l’acte d’amour de mon métier bien fait : te tourmenter, te torturer. De toute façon, tu ne souffriras jamais autant que Notre Seigneur Jésus-Christ. Car, lui, il était innocent ! Il a souffert pour nous ! Tu ne souffres que pour toi-même » ! Précision : Le bourreau portait généralement un masque ou une cagoule. Autrefois, on décapitait à la hache. A la hache simple , car le parcours était fini. La francisque, ou son équivalent crétois, la hache à double face représente deux aspects de la mort, ou du cheminement de la vie : le nom labyrinthe, c’est : « Palais de la double hache ». Et c’est ce nom là qui fut apposé au chemin de Dédale... Allons y faire un petit tour : au temps des téléphones mobiles, pas besoin de fil d’Ariane, fût-il rouge. (à suivre)
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