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orlando de rudder
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23 décembre 2005

Ail et andouille

Voici encore un extrait de mon livre à paraître chez LArousse, Les carottes sont cuites (titre provisoire): ail Ail vient du latin allium. On le trouve en français, au XIIe s., au sens figuré : « Ne li valurent puis deus alz. » (Benoît de Sainte-Maure, le Roman de Troie) – ail signifiant ici « quelque chose de peu de valeur ». Le pluriel aulx pose problème : « On est souvent embarrassé dans l’emploi de ce mot au nombre pluriel. Doit-on dire : Craignez-vous les ails, ou craignez-vous les aulx ? Ce substantif et presque tous ceux qui finissent en ail, en al et en eau, changent au pluriel cette terminaison en aux, et le mot dont il s’agit ne souffre pas d’exception ; mais il vaut mieux l’employer au singulier. On a mis de l’ail dans cette salade. » (E. Mollard, Le Mauvais langage corrigé, 1810.) On préfère dire : « de l’ail » ; autrement, on précise : « une ou plusieurs têtes ou gousses d’ail ». Le pluriel, de ce fait, sera plaisamment utilisé par quelqu’un qui n’apprécie guère la cuisine provençale : Que d’aulx, que d’aulx ! (Roland Gouvernail, Éponine, 1922.) En langage populaire, à l’ail signifiait « savoureux mais un peu vulgaire ». Cette locution, en argot, désignait ce qui brille. On ne l’emploie plus guère. Elle faisait partie du langage militaire : Un mors astiqué à l’ail. (L. Rigaud, Dictionnaire d’argot moderne, suppl. 1888.) On disait aussi sentir l’ail pour parler de ce qui reluit intensément : Le comble de la patience, c’est d’astiquer une lame de sabre jusqu’à temps qu’elle sente l’ail. (Charles Virmaître, Dictionnaire d’argot fin-de-siècle, suppl. 1899.) L’odeur de l’ail ne plaît pourtant guère et permet quelque ostracisme social : Qu’est-ce qu’une bergère ? un gros morceau de chair qui a le visage roux, les mains rouges, les cheveux gras, qui sent le beurre et l’ail. (Jules Janin, L’Âne mort et la femme guillotinée, 1829.) Les Romains raffolaient de l’ail. Pourtant, au premier siècle, Horace s’était indigné contre ce goût qu’il jugeait désastreux. Ce satiriste, peu délicat, pensait que l’ail était toxique, plus même que la ciguë. Sans doute, le sens de l’observation, qui lui a permis de tracer de vifs petits tableaux, lui faisait parfois défaut : si l’ail était aussi toxique, la plupart de ses contemporains seraient morts ! Mécène, néanmoins, protégeait Horace. Ce qui n’empêcha pas ce dernier de lui écrire (Épones, III) : Ô Mécène si jamais On voit servir sur la table Un aussi funeste mets Que ta maîtresse intraitable Toujours prompte à refuser Quand tu voudras un baiser Mette la main sur ta bouche Et puisse-t-elle le soir, Trompant encore ton espoir, Garder le bord de la couche. Cette odeur de l’ail parfumant l’haleine est, pour certains, insupportable. De là à l’interdire, le shérif d’un village des États-Unis n’hésita pas à « dégainer » la loi suivante : Les coiffeurs de Waterlo (Nebraska) doivent s’abstenir de manger crus ail, oignon, et échalote, de 7 heures du matin à 7 heures du soir, les jours où ils ouvrent leur salon. (voir : http//www.opuscitatum.com.) Pauvres barbiers, pourtant parfumeurs de leur état ! Mais l’ail sait se faire discret : Colette, dans Récriminations, nous rappelle qu’il peut, tel un conspirateur, se faire oublier, agir dans l’ombre, et secrètement : Laquelle d’entre vous se doute, lectrices, en savourant l’authentique « lièvre à la royale », fondant, chaud à la bouche, que soixante – vous lisez bien soixante – gousses d’ail ont coopéré à sa perfection ? Un lièvre à la royale réussi n’a pas goût d’ail. Sacrifiées à une gloire collective, réduites à une consomption sans seconde, les soixante gousses d’ail, méconnaissables, sont pourtant présentes, indiscernables, cariatides qui soutiennent une flore légère et grimpante d’épices potagères… L’ail est fortifiant, tonique – on le dit même aphrodisiaque –, et l’on sait qu’Henri IV, fameux amateur de poule au pot, en faisait grand cas. Cependant, malgré son effet revigorant et propice aux étreintes, son parfum gêne la disponibilité érotique, semble-t-il… Mais connaît-on la signification de marché à l’ail ? En argot, une « gousse » est une femme qui se rend au « marché à l’ail », ou qui prise la cuisine à l’ail, c’est-à-dire qui apprécie les relations amoureuses avec une autre femme. En tous les cas, quelle qu’en soit l’acception, la dégustation d’une bonne soupe à l’ail est de rigueur. Ce régal était particulièrement apprécié de Claude Monet, qui la lampait voluptueusement entre deux Nymphéas : une sorte de magie a lieu durant l’oarystis velouté de la crème et de l’ail, indicible, serein, courtois… andouille Mot provenant du latin inductile, lui-même formé à partir de dux, que l’on retrouve dans le français conducteur et édicateur, au sens de dirigeant, de gouvernant : d’où les substantifs duc, en français (gouverneur), conducator, en roumain, et duce, en italien ; la même signification est présente dans l’appellation Grand Timonier… Ce n’est pas une raison pour déclarer que le pouvoir est forcément exercé par des andouilles ! Le terme andouille, donc, du latin inductile venant d’inductilis, relève de l’acception de ductilité, d’introduction. C’est même l’introduction par excellence, car il s’agit de boyaux, de chaudins, introduits dans d’autres boyaux qu’ils farcissent. Le dérivé andouillette apparaît, plus tardivement, en l’an 1451. Pour éviter toute confusion, sachons qu’andouillers, qui se rapporte aux bois du cerf, est totalement étranger à andouille : l’étymon semble en être *anteoculare, « qui pousse devant les yeux ». Sans doute… Inductilis peut varier en sens et désigner ce qu’on peut étendre sur quelque chose : un enduit, par exemple. Certes, on enduit facilement les andouillettes de moutarde, mais l’induction, forme de raisonnement, consiste à amener un sujet, à l’introduire, à le faire entrer, dans la tête de l’élève. Dans De oratore (III, 205), Cicéron nous met néanmoins en garde : Erroris inductio ! Et nous voici craignant d’être induit en erreur, ce qui nous conduirait à faire l’andouille, irrévocablement ! On peut alors devenir une andouille ficelée, ce qui équivaut, chez Loredan Larchey, à un maladroit, à un empoté, voire à une cruche. Il y a comme une réminiscence étymologique de l’introduction initiale : le naïf, l’andouille, se fait « introduire », « baiser », ou subir tout autre forme d’effraction corporelle que l’argot affuble ceux qui en sont victimes et ne sont pas très futés. Une andouille est, au sens figuré, un abruti. « Faire l’andouille » consiste à simuler la naïveté. Ce qui diffère d’être réellement une andouille, un imbécile, une buse : Andouille, triple andouille ! Crapule ! (Alphonse Allais, l’Affaire Blaireau). On admire toujours la scène des andouilles dans le Ventre de Paris, d’Émile Zola, mais l’on sait moins que, lorsque quelque chose s’est allé en brouet d’andouille, cela équivaut à son départ en « eau de boudin* ». Sans doute connaît-on le dépendeur d’andouilles, désignant un homme grand, mais cette expression semble tomber en désuétude, d’après la chanteuse Juliette : Qui donc les a revus, Le dépendeur d’andouilles, La mangeuse de santé Et l’étouffeur de vents ? Les petits métiers (paroles de Juliette Nourrédine, musique de Pierre Philippe, 2004.) Jadis, le révérend Père Lelong, dominicain, a publié, chez le regretté éditeur Robert Morel, une Célébration de l’andouille, où il traite du chef-d’œuvre culinaire… Aujourd’hui, on fabrique des andouillettes de canard : c’est une très bonne idée…
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