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orlando de rudder
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6 novembre 2005

mélancolie pratique (3)

Oméga mélancolique. Les chemins de l’écriture, l’organisation de la phrase, l’élaboration de la période, la distribution des chapitres se déroulent dans le temps. Ou plutôt en diverses temporalités superposées, mélangées, concommitantes. Parfois on pense avant d’écrire, souvent on écrit en pensant, vivant une réflexion lourde, répétitive, lente, obstinée, voire acharnée. En même temps nous éprouveons divers affects qui, certainement, ombrent ou éclairent le moment d’écriture ou encore le style. La mélancolie ne procède pas autrement. Du moins, elle est sujette à des variations d’intensité, de « couleur », d’impact. Dans son aspect dépressif, elle commence insidieusement par une vague perte d’entrain, une morosité tenace et s’augmentant, une hyperémotivité. On « fait la gueule ». s’ensuit un ralentissement g énéral de l’activité affective et mentale. On se trouve abattu, « stuporeux » et les psychiatres parlaient autrefois d d’une inertie asinine. La parole devient rare. L’écriture encore plus.Des cauchemars peuvent déjà noircir des nuits presques blanches. Ensuite vient l’anxiété, l’agitation. Le désespoir s’installe avec un dénigrement de soi, un abattement pénible, des bouffées d’auto-accusation concernant l’être même ou des fautes imaginaire. A mois qu’on n’augmente la gravité de peccadilles. La prostration, l’immobilité s’installent. Le visage exprime une expression de douleur chronique. Notons que le dépressif, ou la dépressive choisit souvent une compagne ou un compagnon à tendances persécutantes ou perverses, ce qui leur permet parfois de savourer indéfiniment leur propre douleur ou d’atteindre des états de détresse insupportable.La dépression est qulquefois le mal de l’autre. La mélancolie est endogène. Au senstiment d’indignité peut s’associer une négation du corps. A moins que des idées suicidaires ne viennent agrémenter un état déjà grave. Pire, on peut se senir disparaître, se dissoudre. Il arrive même que l’on se croie mort : c’est le très grave mais heureusement rare « syndrome de Cottard ». L’attitude du mélancolique à ce stade est signivigative : tête baissée, épaules tombantes, faciès « figé », immobile, le regard fixe, morne, les gestes lents tandis que l’on profère fort peu de mots d’une voix pâle, lourde,monocorde, pour se plaindre de ne rien ressentir. Car il y a aussi des moments d’anesthésie. Plus rien n’existe hormis une concentration extrême sur sa propre souffrance. Ajoutons à cela une mauvaise digestion, des ballonements, une anorexie avec, en corollaire, l’insomnie épuisante. Le tout peut conduire aux délires, aux hallucination, à l’autoscopie (on « rencontre son double », on se voit soi-même) ou de psychophorie « un autre nous habite », à moins qu’un anuimal ne circule dans notre corps). Le temps de la « réalité putréfiée » advient on voit Le monde comme un cimetière peuplé des cadavres des générations précédentes mais aussi de toutes celles à venir. Maxime Préaud, Mélancolies, 1952. Cette forme aboutie, clinique concerne une mélancolie non assumée, non maîtrisée au départ. Il s’agit du désespoir. La « saison en enfer » ne permet pas la psychomachie acrive, l’affrontement en soi des idées opposées, ni, bien entendu, de devenir un « opéra fabuleux ».Or, même le délire peut se gérer. C’est pourquoi il faut distinguer cette forme de dépression grave, de mélancolie médicale avec celle que l’on peut apprivoiser dans un fécond flirt avec le néant : celui de l’artiste, du mystique, du philosophe, du saint. Ceux qui peuvent poser une distance intime avec le moi qui morfle, ceux dont le « je » s’oppose à la déréliction. Tout écrivain est dans ce cas, puisque c’est une partie de la nature même de l’écriture : s’approcher, s’éloigner, revenir, partir… écrire, s’arrêter, y penser, l’oublier, se ressouvenir, se rapeler, se ramentevoire, recommencer. Il faut dépasser la dépression mélancolique simple, la manie dépressive. Autrement, une thérapie est urgente, avec du lithium ou d’autres médications qui réussissent à guérir l’état morbide à peu près certainement. Mais c’est un autre enjeu. De toute façon la phase dépressive n’est pas celle de l’action ni de la méditation efficace : la gamberge y supplée, avec des idées noires obsessionnelles inutiles et douloureuses. Si l’alcool met son grain de sel dans l’histoire, tout peut arriver. Tout ? c’est-à-dire rien ; la mort, peut-être. Il est très rare qu’un dépressif ou un déprimé temporaire réussisse à faire un livre et il est encore plus rare qu’un alcoolique trouve le courage d’écrire comme dans le cas à mon avis unique de Malcolm Lowry dans Au Dessous du volcan. Clément Rosset, « Dans l’œil du cyclone », propos recueillis par Didier Raymond, Magazine Littéraire, juillet-août 2002. La neurasthénie, sorte de dépression intense, , disait le psychiatre Dejérine est « un carrefour d’où peuvent sortir toutes les maladies possibles ». L’alcoolisme n’en est qu’une, parmi d’autres. En général celui qui boit n’écrit pas : Jack London dans John Barleycorn l’explique parfaitement, tout en montrant l’augmentation du sentiment de culpabilité que cette situation engendre cruellement. Pour écrire, il faut un je qui veille au grain : Dans mon cas l’attaque dépressive est souvent accompagnée de dépersonnalisation et de déréalisation. Clément Rosset, id. ibid. Il faut donc affronter l’état mélancolico-dépressivo-neurasthénique ou, si l’on n’en a pas les moyens, attendre une accalmie pour repenser le travail, la destinée de l’écriture, l’exploitation de l’affect sinistre qui nous essore l’âme car : Et, finalement, si l’écriture a un lien profond avec la dépression c’est bien qu’elle permet de se tenir à distance de sa propre mort Agnès Verlet, « Ecrire face à l’abîme », Magazine Littéraire, juillet-aout 2002. Ce n’est pas seulement la souffrance qui permet la mélancolie pratique et la rédaction consécutive, mais le regard qu’on pose sur elle, la pseudo-schizophrénie d’une distance amusée : J’avais treize ans et je craignais de ne pas souffrir suffisamment. Note Virginia Woolf quelque part dans son Journal… non sans un humour fort british ! Un autre regard… les étapes de la mélancolie le permettent. Le poète se fait voyant grâce à cette distance, cette surpopulation du moi qui se résout en je, car nous sommes légions, en écrivant, en méditant. Il n’est pas insignifiant que chez le neurasthénique, le mélancolique en pleine crise, il se forme un plissement particulier du front, quasiment circulaire que les spédialiste ont nommé « oméga mélancolique ». Ô pronfonde tristesse au signe alphabétique ! Car de l’alpha à l’oméga se joue la destinée, l’alphabet décline les états de Celui qui est , Celui qui était ,Celui qui vient . Le Maître de tout. Apocalypse, I,4,8. Car l’écrivain, s’il ne devient pas forcément « son propre dieu », règne en souverain sur sa narration. Divinité d’esprit, de papier, d’encre ? Le Narrateur est doté du regard puissant de celui qui voit tout. Le « rayon violet de Ses Yeux » peut se symboliser par le « troisième œil », étoile au front que signifie alors cet oméga ( grand O) mélancolique. Cet œil nous vient de loin. L’oméga et l’omicron semblent bien dériver de l’ayin, seizième lettre de l’alphabet protosinaïque qui passa dans d’autres systèmes d’écritures. Les Grecs l’auraient empruntés aux phéniciens ou à l’hébreu ancien. Ayin, c’est l ‘œil, la « conscience souveraine ». voir c’est aussi dire ce qu’on voit. Ou l’écrire : tout œil se paye de mots, pour l’œil, rien n’est gratuit. Mêm si c’est «à l ‘œil ». Plus que regard, pour l’écrivain, il est éclairage, rayonnement, laser. Et traduction, puisqu’après tout l’oméga représentait le nombre septante, celui des transmetteur de l’Ecriture en un autre langage… Les anciens voyaient dans l’ayin, voire dans l’oméga divers sens dérivés, diverses oppositions selon sa position ou l’intention du scripteur. Sens symboliques, donc contradictoires, antagonistes tels qu’apparaître, disparaître, visible, invisible…mais aussi, par synesthésie, oreille ou tympan. Sans négliger d’y voir la source.Ce dernier sens nous rapproche de l’œil buveur, avide. Mais aussi de l’œil origine, mêlé à la voix qui le dit. L’hébreu ancien disait Chéma pour « écoute » et c’est littéralement : « là-bas, l’œil ». En même temps l’œil est projection le Soleil visible maçonnique d’où émane la lumière. C’est dire qu’au lieu de recevoir la clarté, comme une chambre nopire, il la projette sur le monde qu’il éclaire, élucide,illumine. En absorbant il était mathésis, savoir organisé, en projetant il devient semiosis : Nommons-le « Maître le sens » acteur privilégié de l’aventure de l’impossible, d’un « là-bas » indescriptible parce que l’Auteur ne l’a pas encore fait décrire par le Narrateur. Ce regard, cette altérité d’un troisième œil voyant, une fois apprivoisé, transforme l’horrible poison de la mélancolie pathologique en fécodité ardente. Autrement : La mélancolie qui n’est communément qu’un dégoût universel sans espérance tient beaucoup de la haine. Vauvenargues, De l’Esprit humain, XXXIX. Ecrire c’est sortir de la haine.C’est aussi le cas des autres arts. Même si, au départ, l’état mélancolique s’ombre d’un peu de complaisance représentant …une sorte d’état flasque qu’on appelait mélancolie qui pâlissait avantageusement le front du poète et chargeait de nostalgie son regard. André Gide, Les Nouvelles Nourritures. Cet état flasque s’acoquine au masochisme. Le déprimé se délecte …car il avait l’étrangeté de chérir sa peine, cet incunable de mélancolie. Léon Bloy, Le Desespéré. Et ceci depuis belle lurette : Il eut tout enfant la concupiscence de la Douleur et la convoitise d’un paradis de tortures. Id. En ce cas le regard est mal orienté : on se regarde souffrir, et non pas triompher de la souffrance ; l’aventure demeure courte, la douleur ordinaire et l’attitude veule. L’oméga, ô soleil, fût-il noir, est énergie pure. Ce n’est pas un hasard s’il a donné son nom à une marque de montre : le temps est l’outil de l’écriture. La recherche d’un temps perdu ou à retrouver, à trouver ou à perdre derechef, c’est la conscience de l’instant, de l’acte, du moment précis. L’œil écoute le tic-tac des fameuses horloges de Charles Quint, assiste à de multiples morts du sujet qui s’éloigne de lui-même, se réifi, se mue en objet pour la plus pure commodité de l’action, de l’art, de l’art d’écrire. L’abbatement mélancolique, lorsqu’on veut bien l’exploiter, fait penser à cet ancien exercice scolaire de rédaction que l’on devrait remettre à sa place dans l’enseignement : l’imitation contraire. Il fait florès dans les atelier d’écriture. Il s’agit de choisir dans une anthologie, un recueil de textes, un livre lu, une description et de l’inverser au point de vue du sens tout en gardant le rythme des phrase, le nombre de mots ou de syllabes, l’organisation de la période. Par exemple, on choisira la relation d’un incendie qu’on transformera en description d et de l’inverser au point de vue du sens tout en gardant le rythme des phrase, le nombre de mots ou de syllabes, l’organisation de la période. Par exemple, on choisira la relation d’un incendie qu’on transformera en description d’une inondation. Ou encore, on gardera la forme du portrait de la créature de Frankenstein, dans le roman de Mary Shelley, pour en faire l’évocation écrite d’une fort belle jeune fille. De même, notre mélancolie, notre abattement devra se muer en allégresse, à toutes fins utiles. Le sarcasme, le grincement de dents, la palôte rigolade cynique et sinistre devra devenir rire, rire divin tandis que la tristesse s’adoucira en nostalgie ou en humour….et pourquoi pas les deux ? Fromage ET dessert ! Ainsi la mélancolie pratique, tout en frôlant le pathos et la pathologie, en constitue l’antidote, selon le souhait de Burton. Ce dernier, en disséquant la mélancolie tentait de l’amoindrir par elle-même. Idée noire entre toutes .La mélancolie pratique est une pratique de la mélancolie, oée, déterminée, audacieuse. Toute énergie, elle constitue un art au sens de technique, un artisanat au sens de connaissance des « trucs du métier » et autre « tours de mains ». Mais c’est l’oméga, l’ oeil ,qui tourne, si nécessaire, en rotation précise du dedans vers le dehors, extases ou pâmoisons, pour le plus grand dévoilement du réel transcendé en réalité savoureuse : Le poète paraît posséder cet art du savoir-faire qu’il partage entre le plus grand nombre là où nos névroses ne produisent que des symptômes. J-P Gilson, “Le séminaire de Psychanalyse de J-P Gilson et H. Coster », Le Mensuel Littéraire et poétique, Bruxelles, n° 202 Mars 1992 Forme. Ecrire commence par le regard d’Orphée. Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, 1955. La forme est une distance, avec abnégation : elle permet la transposition, l’abstraction, le reflet, l’évocation… l’art.Qui ne se définit qu’en limites et frontières. L’insaisissable objet crée la mélancolie qui le crée à son tour. Orphée et morphée se complète. La vie est un songe ? Banco ! rêvons en sommeil ou non avec ce regard de Morphée, et surtout celui que nous pouvons poser sur lui, sur Morphée, la forme pure, le « sosie de tous les êtres humains ». Il a fallu certaine terreur, dans le monde Grec, pour créer cette déité ! Ressemblances hallucinantes et… tellement vraies… Ô Dieu, il y a beaucoup trop de mondes inanimés Par contre il n’y a pas assez de mort prochaine : Cette statue Qui bouge en remuant lourdement ses seins relevés. Pierre-Jean Jouve, « La Mélancolie d’une belle journée », La Symphonie à Dieu, 1930. De la forme, de l’organisation mélancolique de toute perception s’invente le travail d’écrire, que cette forme demeure implicite, ou qu’elle se montre, se désigne, parfois au point de devenir l’objet même de la création. Autrement, tout roman, tout poème équivaudrait à un chèque sans provision rédigé en devise dévaluée : monnaie de singe, méninge de sot. La mélancolie de Tristan Derême. Va, tout le blé s’est égréné, rien ne sert de remâcher la glane. Georges-Olivier Chareaureynaud, « Le voyage des âmes », Le Héros blessé au bras, 1987. Du regret à la mélancolie, le chemin est court. Il passe par la nostalgie. Cette dernière constitue un processus, parfois mortifère. En revanche, la mélancolie se présente comme une halte, un état, apparemment immobile. Ils’agit d’un passage obligé, quasi-nécessaire pour un grand nombre de créateurs. Elle prépare un renouveau. Aussi peut-il devenir sagace, propice et productif de l’étudier. Charles d’Orléans regretta de s’y être consacré sur le tard : Escollier de Merencolie Des verges de Soussy battu Je suis a l’estude venu Es derniers jours de ma vye. Charles d’Orléans, Rondeaux, CCCXCVII. Pour cet exilé, s’agissait-il de s’éloigner de la nostalgie pour atteindre un état plus poétique ? Il nous faut lire, maintenant, littéralement et dans tous les sens. N’attendons pas. Maintenant, il nous faut lire les poètes, les écrivains pour comprendre leur « action de faire », ce qui est le sens grec du mot poésie.Ce qui est dit du poème doit être étendu au roman, à la nouvelle au prix d’une application : le tout est de bien se pénétrer du sens de l’action, de la pensée. Deux sœurs. Vieille lyre, faut-il que nous vivions encore ? A quoi bon répandre des vers ? Tristan Derême, « Mélancolie du poète », Caprice, 1930. L’accès à la mélancolie a besoin de ce désabus. Il constitue un moment. Il participe du temps, se mêle à la durée. La première demande s’adresse à l ‘instrument, à l’outil. La lyre ne pourrait répondre qu’en étant jouée, actionnée. Ce qui abolirait l’enjeu. Rêver ? Faut-il rêver ? Ce début d’état mélancolique pose un problème : l’utilité du rêve ? elle répond à celle de la création en général. On rêve ou on ne rêve pas. Mais on ne peut s’empêcher de rêver si le songe se présente… Hamlet pense au sommeil et ne dit que « peut-être »… pour l’instant, nous sommes loin de l’espoir : La mélancolie n’est que ferveur retombée. André Gide, Les Nourritures Terrestres. La mélancolie est une interrogation de l’esprit. elle constitue le « point de départ d’une action morale », déclare Romano Guardini. Sauf qu’elle concerne aussi bien toute action dont elle est, finalement, le moteur. Répandre des vers, c’est semer. Aux quatre vents, parfois. Le poète va t-il rester poète ? S’il ne sème pas des vers , il s’abolit en tant que tel car il se définit par cette « action morale ». Le poème ressemble à la prière dont il participe… Mais ce n’est pas à Dieu qu’on parle. A qui ? A la lyre ? allons donc ! elle se trouve présente en tant que symbole. Sa résonnance vient de qui la fait sonner. Miroir de l’œuvre qu’elle accompagne, elle l’est aussi du créateur. Le poète ne parle pas tout seul. Il se parle à lui-même. Ou à son reflet, la lyre qui le chante. Miroir. Approche lente mais sûre de la Mélancolie. Voyons un peu plus loin dans le même poème : Nous la verrons finir cette belle journée Que dans les cerisiers éveillent les oiseaux Fin du jour. Le sentiment de nuit, de crépuscule s’ancre. On l’anticipe. La mélancolie, avant de naître, se trouve bien d’une nostalgie inversée, d’un passé à venir : nous vivons déjà la fin du jour. La pénombre d’ entre chien et loup s’avance doucement : l’idée mouvante de la mort qui rôde. Rien n’avance, sauf ce projet : voir finir le jour. Le temps est venu de s’en imprégner, d’en prévoir les conséquences littéraires dans notre future écriture. C’est trop dur ? Il est alors trop tôt. Encore trop tôt. Continuons jusqu’à la plénitude. Cerisier ? symbole du printemps. Un hiver inversé : les fleurs blanches nous offrent comme une neige parfumée. Celles qu’on a niées de prime abord : faut-il semer des vers ? Voici venir les oiseaux. Sans doute des pies. Ce sont volatiles à cerisiers. Elle piquent les fruits rouge-sang qui se gâtent ensuite. Sales pies ! on les immolait à Bacchus pour que les gens parlent, dévoilent leurs secrets. Agaçantes rivales ! Neuf belles filles venues de Thrace vinrent défier les neuf muses. Vaincues, elle se métamorphosèrent en pies. Noires et blanches, double deuil. Quelle sera notre métamorphose au moment d’écrire ? Et nous verrons le soir de notre destinée Plonger comme un soleil au silence des eaux. Rouge encore, ou orangé : voici le soleil qui se noie à l’horizon, qui teinte l’onde. Voici la perte de vue, le noir, l’espace infini des peurs. Les voix se taisent. Le soleil va se noyer. Ou devenir noir, disque de mémoire coupé dans l’étoffe de la nuit. Quelles d’étoiles sur la lyre, le luth d’un Prince d’Aquitaine ?… Hélas, qu’aurons-nous fait au pays où nous sommes ? Et de quoi serviront nos plaintes et nos pleurs ? Nostalgie ! Il ne faut pas en rester là ! foutue nostalgie, elle risque de tout gâcher. Nous devons l’outrepasser pour avancer plus avant : Si la mélancolie semble crépusculaire, la nostalgie est funèbre. Michel Guiomar, Principes d’une esthétique de la mort, 1967. Il n’est pas temps de mourir ; la durée pourvoiera. Pour l’instant, il nous faut arrêter la fuite des moments, pour en vivre un justement. Celui que nous recherchons, l’immobile. Car la mélancolie est aussi … un état équilibré, stationnaire qui ne tend à aucune évolution. Michel Guiomar, Principes d’une esthétique de la mort, 1967. On se voit s’endormir dans cette torpeur qui peut paraître veule, un peu gluante comme ces enveloppes d’insectes qui muent. Chrysalides translucide dans une nuit aveugle. Quelle noirceur, quel sommeil ? tout est calme, immobile. On rêve qu’on dort et dans ce rêve on médite la mort. C’est déjà comme un chant. Il faut encore attendre avant d’écrire. Ca mûrit. Le double se tient lucide au chevet du cercueil : Un homme plus talentueux que moi veille si je dors. Ludwig Wittgenstein, Carnets de Cambridge, 1930. Attention : l’oubli du double double l’oubli. Non que le double soit un vrai double. Il s’agit du reflet, de l’ombre, un autre, une espèce de tout un chacun. Il faut le reconnaître dans un miroir ou déchiffrer. Dans certains cauchemars, on découvre une pierre tombale . Décidons : voici notre propre sépulture en tant que personne qui n’écrit pas encore. Je lis ton nom: tu es MOI-MÊME. Jean-Pierre Duprey, La Forêt Sacrilège. Même si le double s’en échappe, nous n’avons pas encore quitté notre prison intérieure. La vraie folie peut en profiter : un séjour prolongé pourrait conduire à nous évacuer de nous-mêmes, de nous exiler pour laisser place au double. Nous quitterions ainsi la mélancolie pour de bien dangereuses contrées… Un écrivain, un artiste qui n’envisage pas de se perdre pour son art est un jeanfoutre. N’ayons pas peur de l’idéal du moi ; la « petite voix »… Ecoutons son murmure : Je suis l’autre Trop sensible. Blaise Cendrars, « Journal », Du monde entier, 1913. Sensibilité de pellicule photographique ; révélateur : Plongeons ! Ce que tu vois de l’homme n’est pas l’homme C’est la prison où il est enfermé C’est le tombeau où il est enterré Le lit branlant où il dort un court somme. Guy du Faur de Pybrac, Quatrains. Sommeil de la raison, songe de la conscience : s’agitent les visions et grouillent les symboles, c’est l’ ange de Dürer ou plus féminin, la même de Cranach, avec quelque hostie, carré magique, chien couché, avecdes chimères et du sens… C’est Le regret d’être là se joint-il à celui d’être soi ? On peut s’en ouvrir à quelqu’un : AMIE, Tu n’es pas auteur, toi, parce que tu ne voudrais pas de cette vie-là. Si ti savais comment parfois elle ronge tout ; comme elle nous fait brusquer ce qu’on chérit le plus au monde, comme on est ennuyé, blasé sur tout ; comme on prend chaque chose en pitié, comme on se met à table avec fureur, comme on se couche malheureux, comme on se lève plus malheureux encore ; comme le jour vous paraît noir, le soleil obscur, l’eau trouble, les visages hideux, les paroles assomantes, le bruit insupportable, les cimetières magnifiques, les tombes riantes ; et qu’on voit dans sa pensée un squelette planant sur le monde, on voudrait occuper la place de cet exergue de la mort. Xavier Forneret, Rien, suivi de quelque chose. 1836. Fascination de la mort. Sommeil de la raison. Mais un songe le taraude comme une rage de dents. Concrétion, calcul : la pierre de folie sédimente sous le crâne. Prenons le temps du réveil.Ou de l’épiphanie … nous voguons en eau trouble si nous voguons encore: le moment n’a de sens que lorsqu’il doit cesser…Après.. le dur après s’annonce d’âpreté endurci, non ? L’appel du temps qui passe maugrée d’une voix rauque… Autrefois se fait jour, ça brode à vif sur peau des nostalgies, les meilleures et pristines : Maintenant l’âme gyrovague vogue en courants divers : Riez comme au printemps s’agitent les rameaux Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève, Goutez tous les plaisirs et souffrez tous les maux Et dites : c’est beaucoup et c’est l’ombre d’un rêve. Jean Moréas, Stances, I,9. Revenons à Derême : « qu’avons nous fait au pays où nous sommes ? » Au fait, en quel pays sommes-nous ? Sur la terre natale qu’on chérit malgré tout ? Dans la contrée aimée, choisie, vécue, choyée ? En pays d’exil, comme Ovide éploré ? Trop tard : nous n’y avons rien fait qui vaille. Du moins nous le pensons. Les vers semés ont-ils été mangés par les pies. Par ces anti-muses aux voix discordantes et massacrant les strophes comme des paillasses hilares à l’accent grotesques ? Poésie : Voilà où ça mène, la poésie, on devient lyrique, le cerveau plein de chiendent. Samuel Zadje, Guichet 2, 2000. Utilité ! Il n’y a d’art qu’utilitaire, disait Leroi Gourhan… Pleurons donc.allons même jusqu’à la geignardise, la complaisance. C’est un feu froid qui permet aux phénix falots d’éclore dès qu’il le veulent. Lamentons-nous : Jérémie fut un fondateur. Il assigna Dieu. Nous n’affirmons pas ici que les plaintes ou les pleurs ne servent à rien. Mais à quoi elle vont se montrer propices. Un espoir pâlichon se fait jour tout de même! L’erreur serait de croire l’utilité caduque. En célébrant ainsi des lamentations présumées, voire cuidées inutiles, le poète pleure ses propres larmes. L’œil devient neuf par lui-même en pleurant…la mélancolie est à ce prix léger. Car : Le désespoir jamais n’habite le cœur des mélancoliques. Pierre Mac Orlan, le Bal du Pont du Nord. Un peu de nous s’éveille. Nous commençons, piano, à ouvrir notre espace intérieur, à y faire le vide, à le peupler de souffle. On chigne, on renifle. La lyre va vibrer, d’abord à l’unisson des larmes. La chaleur de notre soleil va t-elle faire bouillir cet océan lacrymal s’autopleurant comme les voitures s’automeuvent ? Avançons doucettement vers l’attitude créative. En attendant l’acte créateur. Les yeux mouillés voient de plus belle. Dont acte. Suivons le doux chemin du poète à Derême. Celui qu’il fut sans doute, ou celui qui le fut: Et pourtant notre songe ouvre ses grandes voiles L’espoir les gonfle encore et nous pousse aux étoiles. Ô voile dévoilée, fleur de songe, pétale ! Le souffle se gonfle et ronfle, nous revoici d’attaque. Ou presque. La mer ne suffit plus : il nous faut le ciel. Eh bien, c’est l’horizon qui conjugue les deux ! Adieu, soleil noyé. Notre Nef d’un seul fou s’élance vers la nuée ! Autant dire le ciel, crachons le poétisme pour découvrir l’écriture. Allons, continuons ce joyeux périple: l’allégresse s’amuse.Mais ne clamons pas victoire trop tôt. Ni pouilles : Chantons cette aube encore et nous verrons demain Retomber sur le vieux chemin La colombe aux ailes froissées. Quelle oie, cette colombe ! Saigne t-elle dans la neige, au moins ? Ravissement de Perceval, nostalgie, silence… On le connaît, ce vieux chemin. On l’a creusé de nos pieds : ornières d’amphimacres et flaques de dactyles… La mélancolie commence à se montrer efficace. C’est une politesse, un savoir vivre. Cet art de vivre n’aura de sens que traduit en art d’écrire : la maîtrise de soi passe par la maîtrise du langage. Michel Décaudin, Les poètes fantaisistes, 1982. On a vécu le vide, le silence. Rien n’est joué. On devient vaste en soi . Ou alors, ça cloaque dans la rate. Ca cloporte en plein cœur si l’on a trop tardé à l’étape vicieuse de la démence qui guette. Alors, la nostalgie nous aura baisé comme un ange : plus de miroir, ni de barrière, ni de niveau exquis vérifiant la mer étale. Adieu , tamanoir des larmes, gobeur de pluie, d’œil frais. Craindre le devenir en pensant au passé, ça morfle. Mais ça rassasie le sens du beau qui chiale des larmes noires. Il nous aura faut affronter une esthétique du « bougé », comme sur les daguerréotypes à ectoplasmes. Ecrire ira de soi si l’on a bien suivi. Efficacité ; la mélancolie crée plus que tout autre état : N’oublions pas qu’un poème à la tonalité grave, nostalgique comme celui de Tristan Derême peut tout aussi bien être médité, exploré dans le but d’écrire une nouvelle comique, une comédie burlesque. Il suffit d’en suivre la progression, presque le plan, en respectantt le crescendo : il s’agit là d’une procédure, d’un itinéraire mental dont nous devons pouvoir tirer un profit général. Mémoire et degrés . On s’est aperçu très tôt qu’il était impossible d’inventer une technique pour oublier, puisqu’il est impossible d’oublier volontairement. Umberto Eco, « Un renversement des rapports humains », entretien dans Psychologies, décembre 1999. Il ne signifie rien de se demander si l’on est ou non mélancolique. Ne pas l’être condamne à l’inaction, tant elle en est l’un des moteurs. Cette nostalgie d’une amour perdu, probablement ou parfois illusoire donne du sens à l’existence. En tant que « veillée d’âme », inaction féconde préparant à l’action –ou à la mort, qui est la toute dernière- elle donne toute la puisssance nécessaire à la création. La mélancolie masquée, celle qu’on n’affronte pas se montrera toujours destructrice. Quant au refus de toute nostalgie, elle finit toujours par pourrir dans la lâcheté. Après tout, penser, et surtout « réfléchir avant d’agir » sont des actes mélancoliques. « Pense, pense , pense », nous l’avons vu, demeure la grande phrase de Winnie l’Ourson, personnage de la littérature enfantine, créé par Alan Alex Milne. Winnie se montre plus grave qu’il n’y paraît. « Réfléchir avant d’agir » est une méthode que découvrent les délicieux lutins Plick et Plock, après maintes déconvenues, dans l’une des toutes premières bande dessinées, due à Christophe. Dans les deux cas, nous pouvons découvrir une lecture nostalgique de ces œuvres, elles-mêmes nées d’une mélancolie, d’une mémoire enracinées dans leurs époques.Chez les deux auteurs, on ressent évidemment le poids d’une enfance qui n’aurait jamais dû s’achever. Les ouvrages destinées aux enfants sont, de fait effrayants, lorsqu’ils possèdent une vraie qualité. Relire Pinocchio fait mal. Ce qui n’est pas un conte, mais du désir de durer quand même, quoique le temps a passé : La mélancolie est la douleur causée par l’enfantement de l’éternel dans l’homme. Romano Guardini, De la Mélancolie, 1953. L’action est mémoire : la mélancolie n’est pas tellement jouer avec le feu, mais avec ce démon là. Mourir, c’est perdre la mémoire. Mourir momentanément au monde, c’est vivre un peu plus fort. On voit dans les ouvrages de psychiatrie de fréquentes références à d’aucuns personnages de l’histoire religieuse : Saül exprime sa mélancolie, tout comme Saint Jean, celui de l’apocalypse qui l’écrit en la vivant. Saint Antoine la laisse décider jusqu’à l’hallucination, tandis que Job, évidemment Job l’incruste dans une misère prétendûment extérieure. Quel démon est son dieu ? quel dieu est son démon ? Le dur malheur d’être au monde ? Pourtant : Tout homme non-né a le droit de ne pas naître La mélancolie saturnienne de l’humanisme renaissant s’assouvit dans la célébration d’une Antiquité rêvée. Elle pousse jusqu’à la « réalité putréfiée », à la prise de conscience que le monde constitue un vaste cimétière peuplé des générations précédentes, mais aussi de celles à venir . Même si le terme « renaissance » ne se prononçait pas à l’époque –de même que « Moyen Age »-, nous devons bien considérer qu’il faut mourir pour renaître. Et se souvenir C’est pourquoi l’époque vécut un renouveau des mnémotechnies, des arts de la mémoire. On cite souvent des érudits qui connaissaient évidemment la Bible, tout Aristote, etc. par cœur. L’entraînement mental de la mémoire frôle le ressassement la gamberge mélancolique. Quant à l’ars oblivionis, la technique de l’oubli, elle ne saurait se montrer endogène. La Renaissance fut aussi un âge de l’alcool, de la création de boissons enivrantes. On y buvait pour oublier d’avoir oublié ce qu’on voulait oublier. Ce qui revient à une terrible mémoire, hypotyposes en cascades, prosopopées déferlantes ! Non, il ne signifie rien de se demander si l’on est ou non mélancolique. Cette question joue de facto le rôle de sa réponse. Tout au plus peut-on tenter d’évaluer son propre degré de mélancolie et comment on parvient à en subvertir la souffrance. Certains conquièrent des mondes ou des personnes, sèment le meurtre pour leurs excellentes raisons, s’engouffrent dans un trop-plein d’activités plus ou moins néfastes, comme toute action mal réfléchie. Ils s’agitent et courent comme des dératés, des splénéctomiques, des gens à qui l’on a excisé la rate, siège de la mélancolie. Aussi croient-ils « ne pas se faire de bile ». Ainsi construisent-ils un courage extérieur, ombré d’une cruauté envers eux-mêmes et les autres qui permet de ne pas entendre les voix qui parlent en eux. Ils deviennent tueurs ou saint : c’est égal en personne. Trouille et glas. D’autres pensent ou méditent. Avant d’agir. Rarement, mais surement. Ils découvrent et créent si les précédent ne les persécutent pas. Tendresse et amour, vécus profondément, souvent déçus, leur donne parfois l’air arrogant du cynisme quotidien : Renversons la douleur de nos lacrymatoires. Arthur Rimbaud, « Hypotyposes Saturniennes », Album Zutique. Parfois saints, eux aussi, puisque c’est un destin qui l’exige, philosophes ou artistes, ils essuient souvent la détestation : Rien n’est plus odieux aux gens médiocres que la supériorité de l’esprit ; c’est là, dans le monde de nos jours, la source de la haine. Stendhal, De l’Amour. Ces gens affrontent leur monde intérieur tout autant que le réel dans sa stabilité passive. Par la pensée, ils l’instaurent en réalité, le tout devant encore et toujours se définir. Aussi changent-ils souvent le monde pour l’avoir bien pensé, fût-ce comme Einstein, en regrettant les funestes effets de leur lente action mentale. Ils peuvent aussi savourer leur mélancolie jusqu’à s’y dissoudre. A vrai dire, les uns et les autres existent peu : pour les besoins d’une présentation démonstrative, il a fallu caricaturer. Toute réalité doit être transformée, transposée pour qu’on puisse la percevoir. On n’y voirait rien sans ce grossissement du trait. C’est encore une morale : celle de ce qui existe vraiment. Celui qui apprend à penser, l’essuyeur de « tempêtes sous un crâne », l’orchestrateur devenant lui-même son « opéra fabuleux », le fruit exacerbé capable de mûrir en toute saison, fût-ce en enfer, oeuvrera mieux, toujours mieux que le travailleur s’épuisant dans la grande besogne du monde tel qu’il va mal : l’oubli de soi, l’inconscience, le langage restreint, la pensée muette, l’égorgement des « voix intérieures » : C’est sans doute le mélancolique qui a les relations les plus profondes avec la plénitude de l’existence. Les couleurs du monde lui paraissent plus douces et plus claire, sa musique intérieure a des accents plus intimes et plus doux (…) De son être jaillit la surabondance du flux vivant et son expérience est capable de révéler le caractère impétueux de toute existence. Romano Guardini, De la Mélancolie, 1953. La mélancolie assumée est une musculation plus profitable. Car la puissance obtenue se dirige vers l’action efficace. Mais aussi vers une existence plus dense, plus profonde, plus vraie : Ignorez-vous(…) qu’il y a dans le monde une sociéte secrète qu’on pourrait nommer la compagnie des « mélancoliques » ? Ce sont des gens qui, dès la naissance sont autrement faits que les gens ordinaires ; ils ont le cœur plus grand et le sens plus vif ; ils soçuhaitent et désirent davantage ; ils aspirent avec plus d’ardeur et leurs passions sont plus violentes que celles du commun des hommes. Jens Peter Jacobsen, Madame Marie Grübbe, 1999. Ce qui, d’ailleurs, nprovoque souvent des jalousies, des envies féroces. Cette expérience forcée d’une profondeur n’est pas seulement « en soi, pour soi ». car la littérature est aussi … l’art de se jouer de l’âme des autres. Paul Valéry, « Sur la technique littéraire », L’Herne, Cahier E.A.Poe, 1998. C’est aussi l’expérience de mémoire miroitante et déformante. L’écriture procède du souvenir. Et de sa déformation, de son gauchissement, de son primesaut frontalier : le réel se trouve de part et d’autre d’une limite imaginaire : le point de vue le gauchit. Le souvenir le percole. Nous sommes dans un monde de lumière, de marche, de carrefours, de vent, de pluie, de souvenirs. De souvenirs littéraires aussi. Et donc, nous voici quelque fois miroirs de nos vieilles lectures. Plagiat ? quel mot ! Il concernait, à Rome, le délit de vendre un esclave qui ne nous appartient pas ! C’est une fort mauvaise idée. Le miroir, comme le tambour du griot, comme ce qui devient voix et déglutit du sens, doit avant tout digérer, manger le texte, le ruminer, dire et redire. C’est l’acte de Racine reprenant les vieux mythes, celui de La Fontaine rapetassant Esope :Le plagiaire est un imbécile au plaisir inane : Le plagiaire est celui qui a mal digéré la substance des autres : il en rend les morceaux reconnaissables. L’originalité, affaire d’estomac. Paul Valéry, Tel quel. Nous nous éloignons du miroir, de la lumière : la littérature estomaquée maquereaute l’écrit d’un autre. Vomi incertain, l’œuvre plagiante est un manque de soi. Un manque gastrique, mais aussi un ratage. Un oubli de la rate, du spleen. Ne pas se faire de bile à ce point si réduit, c’est vivre étique, petit mangeur. Messer Gaster de l’âme, organe, veut qu’on le gâte. Un manque d’incertitude et de mélancolie le prive de satiété. S’il faut écrire en s’inspirant d’une œuvre précédente, choisisssons le respect, le miroir déformant, reformant, le filtrage en couleur, le vitrail illuminant. La mélancolie y gagnera en théâtre intérieur. La source abreuvera tout en nourrissant fort bien. Par l’autre prééxistant, on devient soi en vrai. Acte de mélancolie, poésie, « action de faire », présentation, représentation, répétition : mélancolie aux cothurnes de vent, sur la scène de nos consciences… Se jouer, la jouer, se la jouer, la représenter, la vivre ? La connaître plus que la comprendre ? La rejouer en miroir, en reflet, en symbole ? Quelle morsure ! La mélancolie asumée blesse d’abord comme le soc navre le sol. Précieux labour, peines d’amour gagnantes !
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