La Mannekine (soupe à la bière brune et aux abricots secs).

(Oui: c'est un hommage lointain à Philippe de Beaumanoir!)

Plaisir d’automne pour la  servante. Au fond de l’estaminet rauque, quand la fumée des pipes va tomber sur le sol, quand ils sont tous partis ,les hommes qui parlent fort, elle vit à sa  merci, son souci d’elle-même. Les partons sont au lit et seule, elle balaie… 

Le chat vient se frotter contre ses mollets lourds. Un coup de pied rapide décourage Poesje.

La voici bien tranquille et oyant le silence. Gourmande, elle savoure cette absence de voix. Le feu s’en va mourir. La cendre refroidira comme une neige grisonnante.

Un peu de bière brune, qui vient des fonds de verres, dans une casserole, speculoos émiettés… et des abricots secs… Cette soupe mijotera jusqu’à bien épaissir. Ca vous calme le ventre et rend le sommeil lourd.

Rêve t-elle aux amours ? Elle n’en sait plus rien. Mais elle aime bien jouir sous un gros mâle farouche: Ca lui vient comme ça , le plaisir qui s'impose dès que ça tangue en biais car elle est forte fille faite de bonne chair! .

Un homme, même trop lourd, c’est toujours ça de pris !Avec un peu de chance, il donnera des sous. Elle n’est pas goton : C’est pour rendre service.  Des fois, ça se fait amitieux au lieu de la margouillauder comme pour un saccage. Mais il faut qu’ils se taisent : les confidences sont tristes. La servante a appris, depuis belle lurette, à ne s’apitoyer que sur elle et rien d’autre.

Elle se sent bonne fille, même en frappant le chat. Elle n’oublie jamais la pièce pour le pauvre, le pain rassis, l’oignon et  quelques mots gentils… Non pas qu’elle aime ça, mais ça se fait ici.

Le chat hésite un peu et revient à la charge. Elle le laisse faire, puis le chasse en riant. « moi, je n’ai pas de cœur » dit-elle dans le trop calme…

Voilà, dans un grand bol en vieux grès de Hollande, elle verse sa soupe en touillant lentement. Un peu de vergeoise brune adoucira le goût ; une lichette de genièvre ne fera guère de mal ! Ce plaisir de la nuit console à peu d’effort : Doux amer comme la vie, et la cannelle en plus… Derechef, l’obstiné petit chat se rapproche. Hésite. Ce chat  va renoncer car , des fois, elle fait mal.

Ainsi vieillira t-elle, sauf à trouver mari. Mais qui veut d’une goton aussi mal réputée ? Elle est la Mannekine, celle qui passe le temps et qu’on voit aux peintures des vieux maîtres flamands. Plaisir d’automne pour vivre dans le calme du soir. Le cul sur une chaise un peu dure mais pas trop. Elle rêverait bien, mais elle se sent trop pauvre.. .

Alors elle pense au sourires trop avides des hommes qui la regardent comme une brioche ronde, une cougnolle au sucre… Ils   voudraient savourer ses deux seins de cocagne et puis se la farcir comme on fait d’une caille.

Elle hausse les épaules, la soupe est encore chaude. Elle n’aime pas se brûler, mais elle en a envie. Le chat s’est endormi non loin du feu mourant. Demain, ça recommence !

Ô douce paix du soir !