31 mars 2006
Réjean Ducharme
Réjean Ducharme ne mange pas de ce pain-là! Lui, c'est du brut, et du raffiné à la fois! De la grandeur, de la force et ça mord et c'est bon. Voici un extrait de L'Avalée des Avalés...
Mon père est juif, et ma mère catholique. La famille marche mal, ne roule pas sur des roulettes, n'est pas une famille dont le roulement est à billes. Quand ils se sont mariés, ils se sont mis d'accord sur une sorte de division des enfants qu'ils allaient avoir. Ils ont même signé un contrat à ce sujet, devant notaire et devant témoins. Je le sais : j'écoute par le trou de la serrure quand ils se querellent. D'après leurs arrangements, le premier rejeton va aux catholiques, le deuxième aux juifs, le troisième aux catholiques, le quatrième aux juifs, et ainsi de suite jusqu'au trente et unième. Premier rejeton, Christian est à Mme Einberg, et Mme Einberg l'emmène à la messe. Second et dernier rejeton, je suis à M. Einberg, et M. Einberg m'emmène à la synagogue. Ils nous ont. Ils sont sûrs qu'ils nous ont. Ils nous ont, ils nous gardent. Mme Einberg a Christian et elle le garde. M. Einberg m'a et il me garde. J'ai mis du temps à comprendre ça. Ça n'a pas l'air difficile à comprendre, mais, quand j'étais plus petite, je trouvais que ça ne tenait pas debout, que c'était impossible que mes parents ne puissent pas s'aimer et nous aimer comme je les aimais. M. Einberg voit d'un oeil irrité son avoir jouer avec l'avoir de Mme Einberg. Il est sur des charbons ardents quand Christian et moi jouons ensemble. Il pense que Mme Einberg se sert de Christian pour mettre le grappin sur moi, pour me séduire et Mme Einberg dit que je suis son enfant au même titre que Christian, qu'une mère a besoin de tous les enfants qu'elle a eus, qu'un petit garçon a besoin de sa petite sœur et qu'une petite fille a besoin de son grand frère. Je fais semblant de jouer le jeu que M. Einberg prétend que Mme Einberg joue. Ça fait enrager M. Einberg. Il tombe sur le dos de Mme Einberg. Ils se querellent sans arrêt. Je les regarde faire en cachette. Je les regarde se crier à la figure. Je les regarde se haïr, se haïr avec tout ce qui peut y avoir de laid dans leurs yeux et dans leurs cœurs. Plus ils se crient à la figure, plus ils se haïssent. Plus ils se haïssent, plus ils souffrent. Après un quart d'heure, ils se haïssent tellement que je peux les voir se tordre comme des vers dans le feu, que je peux sentir leurs dents grincer et leurs tempes battre.
Sans revendication particulière, Ducharme nous révèle les vrais problèmes. Beaucoup de choses s'expriment en filigranne... En même temps, ça passionne, ça fourmille... C'est la joie de la langue française qui jouit d'elle-même, s'épanouit, fait la queue de paon! Lisez Réjean Ducharme, vous aurez envie de continuer avec lui! Un grand!!!!
Un autre de ses livres, L'Hiver de Force me fascine... A lire! Cébô!
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