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orlando de rudder
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25 mars 2006

Toi, la mer… (Une fin préférable pour le Capitaine Nemo)...

VI. J’ai navigué, ma belle, sur tous tes océans, j’ai vu le Sud, le Nord, l’Est et L’Ouest, et même des cardinaux absentés des étoiles… car il y a sur toi des régions improbables, des limites imapssibles que nul autre que moi n’a pu voir pour de vrai ! J’ai vu les crépuscules, les aurores boréales et leurs cieux d’anchois qui brillent ou qui clignotent ! J’ai vu le soleil suer de sa propre chaleur et les fumées épaisses qui s’envolaient de toi ! J’ai vu le temps frileux, le temps qui se couvrait et qui s’emmitouflait à cause de son froid même ! Qu’ai-je vu donc encore ? Au secours, ma mémoire ! Qu’ai-je vu donc encore ? Le quadrille des homards ? Ils sont bleu outremer avant qu’on en les cuisent et deviennent rouges comme une petite fille entendant les jurons d’un perroquet dressé à parler le langage des matafs d’aventure ! L’arapède alcoolique collée sur un tonneau et qui chialait tue-tête l’air de Valparaiso ? Les moules d’Algésiras claquant en castagnette sous les ollés hilares de marins en goguette ? La sirène insoumise qui se faisait des jambes en se scindant la queue d’un rostre de poisson-scie ? Et les petits bateaux qui vont sur l’eau, Maman, tous ces petits bateaux qui jamais, sous le ciel, n’auront le pied marin ! Et la baleine rouge, qui ronronne comme un chat et qu’un navire nippon a tué en s’acharnant ? Son dos se hérissait de trente-tois harpons, mais elle ne mourrait pas : j’ai entendu son chant du cygne et c’était à pleurer comme il pleut quelquefois sous les froides latitudes du large de l’Irlande! Je connais tout de toi : c’est ma preuve d’amour ! Les poissons n’ont pas le choix : ils louvoient en ton sein par destin de naissance. Ils ne peuvent pas t’aimer comme je t’aime, moi ! Car je fus le guerrier qui a perdu d’avance ! Tu es devenu mon champ de bataille ! Et j’ai rompu des lances, Don Quichotte aquatique, ahuri d’impuissance ! Car là, nul espérance ! Pas de prière possible. J’ai vu sombrer des fûts que, là-haut, on jetait. La surface n’est pas le ciel et cette guerre atroce a dépassé ma vertu. Mais je me suis battu, comme la chèvre à Seguin, j’ai serré mes poings. Qu’ai-je fait ? Plutôt rien ! Quelle serait ma puissance contre la matière en furie… Comme c’est calme, l’atomique, comme c’est calme le déchet ! Ce n’est pas comme un homme avec qui l’on se bat ! Ce n’est pas comme les bagarres d’escale et de bordée, lorsqu’à grands coups de poings on s’explique entre hommes au bar-tabac de l’Ancre, dans un port oublié ! Ce n’est pas comme la guerre et les sous-mariniers : et v’lan, une torpille et le navire se meurt, l’étrave déchirée et ça sonne et ça crie, et ça meurt aussi bien… Non, le déchet atomique s’insinue lâchement : il se fout des torpilles et des bombes à Nobel, il te bouffe en silence, toi, la mer, mon amour et tu ne prends pas feu comme au cours des batailles quand les caronades fleuraient bon la poudre noire, comme aux temps flibustiers, Jolly Roger ricanant de ses trente-deux dents de tête de mort glabre surle tissu mouvant d’un grand pavillon noir ! La mort se fait silence, cancer blême, dans ton ventre, désséchant les sirènes et les étoiles de mer ! Elle attend ! Le requin même s’agite, affolé, sans comprendre : les radiations qui vibrent lui bouffent la raison… Il danse à la Saint Guy, il tournoie dans ton eau, il se sale davantage et perd le sens commun. A-t-il même encore faim ? Je le vois, le requin, intrigué par les fûts, les déchets nicléaires : il n’a jamais vu ça. Il sait que c’est mauvais… Si je darde une torpille, ce sera encore pire : le fût déchiqueté n’est pas vaincu, loin de là ! Il répand bien plus vitre ses radiations mortelles et c’est la mort fétide, les poissons ventre en l’air, les pieuvres enchevêtrées et les méduses clignotantes comme des phares enivrés par la mort qui aborde ! Voilà ce que nos sommes devenus : de l’attente rageuse. De la résignation ! A quoi bon serrer les poings ? A quoi servent nos beaux grappins d’acier ? Et nos haches d’abordages forgées à grands coups de masse, dures comme la tête d’un capitaine d’Armor ? Il n’ya pas d’armes contre ce destin là ! Que ferais-je du sabre de Surcouf l’intrépide ? Il deviendrait radioactif, me brûlerait le poing, me tuerait moi-même ! Ca te ronge,ma belle, et cela se répand comme un sale nénuphar dans une mare d’eau douce, d’eau pas vraie, d’eau sans sel comme un régime de vieux ou de brisé du cœur ! Les électrons hilares joueront à saute mouton : des fluides sans odeurs ramperont dans tes gouttes. Des ondes à sale gueule te feront frémir. Te feront bouillir ! En attendant, on ne verra rien : calme plat, mer d’huile. Le mal est là, serein… Oui, par les cornes de Belzébuth, ça va bouillir, la mer, comme le chaudron du diable et l’on entendra les hurlements terribles de mille millions de milliards d’agonisants damnés ! La septième trompette marine d’un triton esseulé sonnera comme un glas et ce sera la fin ! Le ciel se fendra et tu te déchirera, toi, la mer, pour laisser voir au fond d’horribles incandescences ! Il n’y aura plus de temps, non, plus de jours ni d’heure, et plus d’orientations aux boussoles explosées ! On en verra plus rien sous le soleil éteint, aveuglé par la plus somptueuse des lueurs ! Et moi, je serai là, bien enfoui dans ton sein, déjà mort ou, peut-être devenu un poisson ou une holoturie ! Une daphnie d’amour ressassant tes louanges d’une voix de colère parce que je t’aime trop ! Tout sera comme toujours : chacun prendra son quart et les filles du port se rougiront les lèvres. On entendra beugler quelques accordéons : Valparaiso, Port-Arthur, Odessa, Marseille… Les ports déchargeront le même fret qu’aujourd’hui et les débardeurs boiront le même vin rouge trop fort… Swansea, Le Havre, Trinidad, Pernambouc ! Les marins navigueront en espoir d’une escale… Mais ce sera fini : en chacun de nous autres la matière méchante embrouillera les codes et les paroles intimes de nos foies, de nos rates, de nos cœurs et poumons… Nul ne pourra se battre ! Pas même le Grand Piotr qui castagnait féroce en quittant le bordel du port de Tobago ! Mon Dieu, ce temps qui passe ! Je l’ai devant les yeux de mon souvenir ! Il me reste dans l’âme comme un aujourd’hui neuf, comme une éternité, comme une durée instantanée ! Bernique ! C’est illusion ! Je suis vieux maintenant ! Je m’accroche à tout ça parce que j’ai un peu peur : j’arrive, la mer, demain ! Demain ! Je ne souffrirai pas des radiations intenses ! Le rongeur atomique ne sera pas pour moi ! Mais je le sais : ce mal nous secouer les corps entiers des hommes et des femmes: d’immenses éczémas rougiront leurs bras, et ils se gratteront jusqu’à l’os, jusqu’à l’âme. Et certains flétriront leurs genoux devant l’autel fendu de la vierge de Recouvrance ! Ou, pire, des crevasses en silence tarauderont leur chair, et tout se bouffera de soi-même à soi-même, chaque cellule en guerre arraisonnera l’autre et se la mangera comme un Capitaine Cook dans les îles sauvages ! Les yeux exploseront sans lumière apparente ! M’en fous, je t’aime, la mer, et je reviens vers toi ! Sainte Rita de Cascia, n’oublie pas les marins ! L’atomique ? C’est la mort du silence et des frénésies lentes ! C’est la mort nucléaire, promise, insoutenable ! Il faudrait que je voies ça ! En toi, la mer, toi que j’aime à crever ! Je viens mourrir en toi, je viens en bathyscaphe déchirer l’aventure d’une vie déjà longue… Je ne veux pas voir la vibration méchante des électrons valseurs ! Et pourquoi pas jeter mon navire d’acier sur les fûts atomiques, sur les déchets radiants pour en finir plus vite et le monde avec moi ? Pourquoi ne pas enfin abréger toute souffrances en une charge farouche et désespérée ? Je cognerai l’atome, comme on gifle un faquin. Et tous en mourront, veille sans lendemain ! La mort ! En toi, en toi que j’aime, la mer… bien plus que les poissons qui, eux, n’ont pas le choix ! Bah ! à quoi bon se battre contre plus fort que soi ? J’ai bien connu l’amour d’une femme de jadis. Et je l’ai vaincu, puisque je suis parti ! Terre-Neuve explosera comme le reste du monde ! Les hommes les plus hardis n’ont plus de place au monde : Martin de Saint-Malo, qu’on vit à Trafalgar en mangerait son sabre en acier castillan ! Barberousse lui-même hausserait les épaules ! Juan, el capitan, de Palos de Noguer en jetterait sa pipe et la piétinerait ! Et nous devrons mourir en serrant les poings, en grinçant des dents, parce que la matière se soûle de néant ! Distribuons à la chiourme des quarts de rhum en rab, libérons les rameurs des sinistres galères : C’est fini, marée basse, calme plat, dégueulis d’équinoxe pour un temps qui s’arrête ! Ô mort, vieux capitaine, comme disait le poète ! Nous ne sommes plus de mode, nous autres, pauvres marins : l’Apocalypse est là, Sainte Barbe, priez pour nous… Non, je ne veux pas voir ces faits abominables ! Demain, je m’engloutis ! Et je rejoins la mer, mon amour, amour à mort ! L’atome a tout dégénéré ! Je me suis battu, moi ! Je me suis battu pour toi, la mer ! J’ai vouolu vaincre les nouvelles créatures, les générations neuves d’animaux déformés par les fluides nocifs de l’affreux nucléaire! J’ai vu, dans tes eaux glacées, des poissons frigides aux dents encore plus grandes que des mâts d’artimon ! Des poissons à trois têtes et à dix-huit nageoires, des monstres engendrés par la folie atomique ! Je les ai combattus à la hache ou au sabre dans un scaphandre lourd qui me cachait le corps. Je me sentais gaillard et encore pleine de vie ! Je n’avais pas compris qu’une fatalité ferait de notre terre une vaste nécropole ! Je combattais encore, avec le risque en moi, l’espoir de la victoire, et l’ardeur du guerrier ! J’étais là, averti que la mort arrivait. J’en ai harponné, moi, des saumons jaune d’or et des murènes oranges ! Et des huitres dentues ! Et des homards nerveux, plus larges que des barriques aux pinces fluorescentes ! Sainte Philomène, protège-nous ! Je n’avais aucune chance : c’est toi qui m’a sauvé par des vagues imposantes et des lames de fond ! A chaque fois, l’adversaire dérouté et abruti par son cerveau débile, rongé par les radiations, s’est mis à vaciller. C’est là que je l’ai tué et ses boyaux jaunes ou vert-pomme, tango ou zinzolin ont teinté ton eau pure… Et je t’aimais quand même, au point de désirer mêler mon sang à toi. L’amour ? Bah ! c’est un choix ! A quoi servirent ces combats, ces peines et ces travaux ? A quoi bon ces volontés de granit, ces muscles prêts à rompre et ces armes brandies ? A quoi bon en finir par un vrai désabus ? Pourquoi ai-je laissé un amour prometteur en pleurant comme un sot au large de Saint John ? A te dire que je t’aime et que je t’ai choisie ! A dire des mots que je ne connaissais plus ! A crier, maintenant dans le vent qui s’en fout ! Je me battais en toi contre les monstres marins qui voulaient me croquer de leurs mâchoires immenses comme ils croquèrent parfois des navires entiers fait des plus beaux bois que la terre a portés ! Et je ne suis pas mort, moi ! Car j’ai voulu vivre pour me souvenir de toi, pour te regarder, pour t’imaginer demain, pour te désirer en tous temps de la vie, et même s’il n’y a plus de temps un jour, et même s’il n’y a plus de G.M.T au monde! J’ai vécu des aurores et des crépuscules à te regarder vivre, respirer et mugir ! Oui c’est cela, l’amour : une regard, rien de plus, mais un certain regard, avec ds yeux pour voir, avec des yeux gourmands à bouffer l’océan ! J’ai combattu, ma belle, pour te séduire encore ! J’ai vaincu ma peur autant que tous les monstres qui hantrent les mémoires des enfants affolés ! Et les poulpes géants aux regards de gelée, aux becs en crocs féroces, aux huitaines de membres ? Et les regards terribles des murènes agrandies, celles qui croquaient des avisos tout crus, et qui en recrachaient les étraves tordues ? Et les vastes requins aux ventres dilatés qui bouffaient même les pierres cubiques des jetées ? Les as-tu oubliés ? Moi pas, car j’avais peur et je t’aimais quand même ! Et je te haïssais dans ma grande souffrance, et je te haïssais à cause de ton silence ! J’en ai crevés des yeux de calamars immenses qui me crachaient leur encre en guise de défi, comme un gant pour un duel ! Il a bien fallu ! J’ai aimé ces bagarres aux issues indécises ! J’ai aimé le hasard qui ronge et qui surprend, j’ai aimé ma liberté que je croyais précieuse au point de vouloir offrir à une femme, à Terre-Neuve ! Mais je ne suis qu’à toi, la mer ! C’est en toi que j’ai combattu ces bêtes fantastiques ! J’ai senti, me fouettant, leurs tentacules poisseux, et j’ai frémi pour toi, tout en croyant mourir ! J’ai même combattu le roi des bigorneaux devenu gigantesque, la pointe de sa coquille transperçant les nuages ! Mon amour est féroce comme tes vagues mortelles… je t’aime comme on hait, et ça m’est implacable. Car je suis ta victime, mon amour, ô la mer, car je suis ta proie, mange moi, comme les autres ! Croque comme un bonbon mon navire de fer ! Je veux bien, oui, mourir de mon désir de t’aimer follement, à perte de vue, à perte de vie ! J’effeuillerai les pieuvres comme des marguerites : ça donne « à la folie » ! Ou alors… Oui, je le sais, un jour une lueur féroce encombrera ta panse, ô la mer, mon amour… une lumière puante, grasse et définitive… Comme des feux-saint-Elme qui n’en finiraient pas : des jaunes, des verts, des bleus, des violets et des noirs ! Une lumière sale, plus claire que mille millions de soleils ! Plus sale que le cœur du défunt Ollonnois ! Ce sera la temête à nulle autre pareille, la rage du fond profond qui montera vers la surface, qui crachera sur le ciel et des milliards de femmes pleureront, et des milliards d’hommes pleureront, et des milliards d’enfants pleureront ! Nostra Señora del Pilar, priez pour nous, pauvres pêcheurs ! Et, l’instant d’après,le tout petit instant d’après sera le désert : on ne pleurera pas les morts de juste avant… Et le vieux perroquet du bar de l’Espérance ne ricanera plus, rôti comme un poulet !Dégueulis de clarté aussi moche que possible ! La mort, mon amour ! Je t’en foutrais, de l’atomique ! Le compas danse la gigue et le sextant va fondre ! Un squelette d’oiseau portant une branche morte s’abattra sur le pont déserté de l’Arche de Noé. Il n’y aura rien à faire, et merde pour les Rois de la Terre qui nous ont déclaré la guerre ! Fin
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