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orlando de rudder
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24 mars 2006

Toi, la mer (une fin préférable pour le Capitaine Nemo).

V. Je me souviens de ports du Levant : On attend la mousson, et puiis tout recommence : on ne sait pas quand la guerre reviendra, ni même si c’est la paix et des centaines de jonques demeurent amarrées : les pirates , au loin se pourlèchent à l’idée d’en dévaster le pont en y versant les tripes de marins du Tonkin ou de la Cochinchine. Non, t’aimer c’est autre chose et je t’aime comme on hait, sachant que tu es ma vie comme ma mort, aussi bien ! J’ai construit mon œuf, mon joli bathyscaphe comme une œuvre d’amour, comme une œuvre de paix. Pour toi.Pour teconnaître mieux, intimement, de l’intérieur ! Pour mieux t’aimer en amour volontaire ! Et qu’ont-ils fait, eux, les hommes, avec de tels navires ? La Reine d’Angleterre avait refusé ça ! Elle t’aimait sans doute comme une reine peut aimer : en dominatrice ! Elle croyait régner sur tes vagues, pauvre folle ! Mais elle ne voulait pas qu’on se batte en ton sein. Moi non-plus : mon sous marin est fait d’amour tout autant que de fer ! Mais j’ai connu la guerre et les grands cuirassés ! Avec des cheminées comme la pipe du diable, et leur vapeur intense de coton envolé ! Qui donc pourrais t’aimer comme je le fais moi-même, avec des souvenirs qui pèsent aussi lourd ? Oui, les grands cuirassés se croyant invincibles ! Ils méprisaient, de haut, les U-boots insidieux naviguant comme on rampe sous ta surface d’argent ! Ah ! les grands cuirassés comme des taureaux calmes ! Ils ne se méfiaient pas, sinon de leurs semblables, bateaux d’air et de vent, de vapeur, de charbon ! Et pourtant il était de fort petits navires qu’on ne remarquait guère car ils voguaient sous l’eau. Des hommes déterminés se serraient dans leurs coques et voyaient l’horizon par l’optique limitée d’un périscope gradué en forme de viseur… Les grands cuirassés patrouillaient lentement, attendant l’ennemi sur mer ferme et mouvante…Ils ne s’attendaient pas à subir cet outrage : le naufrage par ceux-là qui se cachent sans vergogne ! Qui donc pouvait aimer dans cette furie belliqueuse ? Pensait-on même à toi, sinon par météo ? Regarde-moi,la mer, je t’aime vraiment, moi ! Là ! Le sous-marinier visant tout à son gré ! Là, comme le chat patient qui guette sa proie vivante ! L’homme ne se presse pas, il va tuer à son aise en prenant tout son temps ! Lenteur fatale et fin certaine ! Il se pourlèche, le sous-marinier, savourant sa victoire en la sachant certaine, oui, il se régale amusé, dans ton corps qui s’en fout. Dans ton corps voluptueux qui est fait pour aimer ! La guerre, la guerre, la guerre, toujours recommencée ! Toi tu demeures, vaste, impassible… Toi tu demeures mouvante, immobile, puis furieuse ; et tu sera toujours inflexible et honnête, sournoise et généreuse, infiniment présente ! Je te veux à jamais! Santa Maria de Guadalupe, il se fait temps d’aller mourir ! Quand le grand cuirassé, vaste taureau puissant avait repéré le vaisseau d’inquiétude qui se terre sous la mer, il avançait, il reculait et crachait ses munitions : des poissons fort rapides qui fondent sur leurs proies. Mais le sous-marinier larguait sa banderille explosive. Corrida dans le sel, dans les embruns fugaces, corrida sous le ciel et que tu reflétas ! La torpille furtive fend les flots ! Parfois, la mort est belle quand un machine odieuse, taillée comme un esquif, se jette sur sa proie ! Toi, la mer, tu donnes maintes images de cette cruauté ! Et je t’aime quand même, et je t’aime pour ça ! Car il ne faut pas rater quoi que ce soit ! Echouer, c’st mourir ! Avec toi, c’est donnant, on ne reprend jamais ! On paye comptant, c’est tout ! Une seule fois suffit ! Tu es la carnassière de toute inadvertance, tu la mords de tes dents, tu l’écrabouilles, la mâches et c’en est bien fini, à Dieu vat et prosit ! Il n’y a pas de seconde chance : il faut saisir la vie ! Pour t’aimer comme tu es, cruelle autant que belle, il faut toujours savoir que tu es implacable ! Toi, la mer, toi qui es seule au monde ! Toi dont la présence infinie cache l’unicité, tu es comme un dieu, sans rivale, infinie ! Comment veux-tu que je ne te craigne pas ? Je suis là, moi, mortel, et je te regarde dans les yeux ! J’emplis mon regard de ton immensité ! Il va s’en saouler, s’en péter les orbites ! Il va vaciller exploser d’un trop plein d’amour et de frayeur, ô délicieux mélange ! La torpille sillonnait, outrancière, abusive… Le temps se dilatait et l’on voyait l’écume danser la tarentelle, la danse-fatalité… La banderille froide ne manquerait pas son but. Elle serait bientôt flamme et puis feu dévorant. Le cuirassé déjà voguerait au passé… La guerre n’a pas de prix : elle fait payer comptant. La mer, impassible roule son flot ; qu’importe. Les hommes ont l’habitude de se tuer souvent là où le ciel est beau et la nature sublime. Les Romains s’entre-égorgeaient dans de grands paysages. On s’étripa beaucoup dans les forêts superbes. Et l’on aime à crever une panse ennemie sur les rivages grandioses, dans les vertes campagnes. Alors, pensez, la mer ! La mer si vaste, avec son opulence, la mer si forte avec l’éternité ! On aime tuer là, sur la grande mouvance ! Il a fallu des hommes pour qu’elle s’endanglante. Et la torpille allait, sûre d’elle, sans pitié ! Le grand taureau se cabrait pour mourir, fumait des milles naseaux : sabords et écoutilles, et sombrait corps et bien. J’ai vu ça, je l’ai vu, moi le pauvre marin affolé par la mer ! Moi le pauvre marin affolé par la guerre ! Des canots indécis furent mis à flot. Des soldats brûlaient vifs dans de brillantes flammes. On se jetait à l’eau, on priait en vitesse : la torpille n’était plus, mais le reste suivait. On vit le capitaine pâlissant mais austère, couler sans rien dire et tout continuait ! Le cuitrassé-taureau vacillait désormais… Il tangua, il roula. Sa grande déchirure augmenta sa douleur : le navire fut scindé, le torpilleur hilare inscrivit une croix tout près du périscope, là où d’autres déjà avaient été gravées… Le cuirassé sombra et la mer devint calme ! De si beaux bâtiments ne servent qu’à tuer ! Regarde-les , la mer, d’en bas, comme un sale gamin scrute sous les jupes des filles : Ils voguent hargneux sur ta beauté intense… Ô le sel, ô l’amour, je t’aime, toi, la mer, et j’en meurs à plaisir ! qu’ai-je à faire du silence à la fin de ma vie ? Je préfère t’écouter,puis lentement, m’engloutir ! Et je n’ai pas de carte dans ma manche comme ces tricheurs de rade ! Alors, je vais venir, pour sombrer, moi aussi : j’ai trop vécu, je crois, ne te regardant pas.Je te découvre enfin, moi qui ne t’ai jamais quittée, ou peut-être à Terre-Neuve, à cause d’une belle femme ! Et je prie Saint Brendan pour venir à bon port ! J’ai vu, j’en pleure encore, d’autres sous-marins peuplés d’hommes étouffants. Des sous-marins échoués sur tes fonds de malheur ! J’ai vu, j’en pleure encore, les hommes périr en toi, et leurs bouches d’engoulevents quand ils s’asphyxiaient, tout au fond de ton eau. Ils crevaient en râlant, se raclant les poumons, empoisonnés à petit feu par leurs propres souffles ! Sainte Barbe sauve-nous par ta grande pitié ! Et c’était d’une tristesse à déchirer le ciel ! J’ai vu, j’en pleure encore, ceux qui, las de leurs haleines devenues mortifères, ont ouvert les ballasts en laissant l’eau entrer pour en finir plus vite ! Jésus, Marie Joseph, mon amour, ô la mer, toi qui es sans pitié, comment puis-je t’aimer ? Mais je t’aime quand même d’un amour effaré ! Oui, j’ai construit mon œuf, et demain, j’engloutis ce métal et ma chair par amour infini ! Et tout s’alourdira ! Je toucherai le fond, là où même les étoiles ont perdu leur lumière ! Et là, qu’y aura-t-il ? Des poissons abyssaux ? Une faille gigantesque qui m’avalera ? Un tourbillon soudain qui me dévorera et m’emmènera loin, au centre de la terre, vers le feu éternel, vers la friture ultime, vers le non-retour dans le ventre du ventre, au fin fond de la mer, au fin fond de la terre, là où rien ne se vit, là où rien ne se meurt ! Et mon bathyscaphe fondra comme une bougie molle, comme une lumière pâle dans le feu de l’enfer ! Je t’aime, je te veux, ô la mer, mon amour ! Et même ta morsure me sera douce au cœur ! Tu es mon port d’attache et mon hâvre de grâce et que Sainte-Barbe soit louée pour ce feu du tonnerre, par mille milliards de millions de degrés, je fondrai comme l’or que ramenaient jadis les galions espagnols du Pérou massacré ! Comme l’or dans le creuset qui nappe et qui grésille, comme l’or qu’il faut fondre et surtout ne pas cuire ! Comme l’or, vif comme un œil, et qui fait tant de mal ! Au centre de la tere, sous tes milliards de gouttes, tes cent mille millions de millions de milliards de mètres cubes ! Ô, ton sel ! alcool fort ! Je te boirai demain ! Et je serai ivre-mort et heureux… Amoureux ! Au centre de la terre, je te retrouverai toute, halluciné ; fervent, en sueur évaporée ! Je serai ton amant jusqu’à me dissoudre et je serai soluble dans ton eau, dans ton feu ! La photo d’une femme, soigneusement morcelée s’éloigne vers le large… et je suis affamé de ton immensité ! Sainte Rose de Lima, veille sur nos cœurs et protège nos âmes ! Non, je ne mourrai pas comme d’autres capitaines qui furent blessés à mort par d’inconnus pirates ! Comme ces officiers dont on plaçait le cadavre dans une barrique qu’on remplissait de rhum : On les débarquait arrivé à bon port, afin de les enfouir au cimetière marin ! Je n’aime plus rien que toi, quant à mon cénotaphe, qu’on le promette au Diable et que mes compagnons m’oublient, évaporant cul-sec mille millions de milliards de bouteilles de tafia ! Qu’ont-ils donc fait pour toi, tous les autres marins ? Ils ont doublé des caps, transporté des esclaves, négocié des vies, caboté en vadrouille pour vendre du poivre et des tissus somptueux venus du bout du monde ! Il ont rempli des cales de bouteilles de vin, de tonneaux d’alcool, d’huile d’olive en amphores, de caques de harengs ! Leur bateaux innomables puaient le vieux poisson , le sang de ceux qu’on fouette, les sanies des malades et la coûteuse girofle ! Est-ce ainsi que l’on t’aime, en parfumant des puanteurs ? En trafiquant des armes, en beuglant des chansons qui parlent de naufrages et d’amours envolées ? Regarde-moi, je t’aime ! Et je n’ai pas besoin de ces chichis odieux : mon corps sera pour toi, mon corps dans mon bathyscaphe, mon corps en son cercueil brillant, comme une sardine à l’huile !
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