22 mars 2006
Toi, la mer (une fin préférable pur le Capitaine Nemo
III.
Terre-Neuve ! Il n’y a pas eu que Terre-Neuve ! J’ai bien connu la terre, moi ! Et même des femmes d’aciens terroirs, des paysannes et des dames. J’ai vu les montagnes, moi, immenses vagues qui se tiennent en place ! L’eau y est douce. Plus que le vin. Plus que les femmes. Je n’en ai pas bu. Mais j’y ai cru, moi, à l’eau douce, à la fraîcheur des filles. Aux navets qu’on cultive, aux patates qui poussent. J’y ai cru. Mais je suis là. Me revoici, me revoila, comme toujours. Avec de la bouteille. Et du vieux tafia.
L’ « anachorète des abysses », tu parles d’une rigolade ! Ermite du tréfonds, sans solitude sérieuse. Avec toi. Même dans les yeux de la Dame de Terre-Neuve qui n’en avais que deux. Des yeux d’huîtres. A perles noires. Elle me parlait, la belle, comme j’eusse aimé que tu me parlasse ! A ce moment. Jadis. car oui, j’aurais voulu entendre ta voix. Une voix. Des mots ! Des mots ! des mots ! Maintenant, je comprends ton silence …Et je l’aime ! Toi ? Je ne sais pas. Certainement…. Peut-ête. A la folie ? Sans doute. Passionnellement ? Avant tout ?
Oui, j’ai vu les vaches : elles ont de très beaux yeux. J’ai joué de l’orgue sous la nef des églises, j’ai senti l’encens et touché l’eau bénite. Mais je n’ai pu rester. Tu m’appelais encore. Et mon orgue, en toi résonne comme l’ouragan ! Tu m’as salé. Je reviens. Et je me suis reclus dans mon vieux bathyscaphe, et l’orgue fut heureux de recevoir mes doigt et mes pieds martelant pour que la musique soit, faute de lumière intense dans ton glauque infini.
Alors, tu penses bien… si j’avais voulu ! Je n’ai pas voulu. Je suis indépendant, moi ! Tête de lard et de mule. Un marin, mais plus encore : un rêveur de basses-eaux, un vieux moine des profondeus obscure, un thon en conserve dans sa boîte de fer ! … Au naturel ! Un marin ? Ca ne peut me suffire ! Je l’ai été. Je le fus. Tu m’entends, bouillon à zieux ? Tu m’entends, espèce de trop salée, bourrelle des cœurs d’éponge ? Oui, je te parle, à toi ! A toi, la mer, toi qui me colle au cœur, me poisse les souvenirs ! A toi, avec tous ces bateaux dégueulasses et qui voguent, et qui voguent ! Tu ne les bouffes pas tous ! Tu en avales qu’un ou deux à la fois, chichiteuse, mange-petit, anorexique ! Tu les engouffres à petites gorgées. Mais quel bonheur, toi, la gourmande…
Non, je ne pense pas qu’à toi : il y a autre chose ! La Dame de Terre-Neuve que j’ai quittée pour toi, les goélands, les sternes… Le sable de la grève, des millions d’arapèdes, mille milliards de millions d’arapèdes collées à des millions de roches… Je ne pense pas qu’à toi : il y a aussi les ports, avec de la musique, des femmes blondes ou presque, et de grand verres de bière qu’on lampe beaucoup trop vite ! Des ports avec du vent ! Avec des magasins ! Et de sérieux ennuis.Alors, je les évite !
En avant, toute ! J’irai dans le froid de ta matrice bleue, puis verte, puis noire, puis rien ! Et je m’y repaîtrai de ma mort qui approche ! Largez les amarres ! Plus de vent : l’eau. Plus de cap : Là-bas. Au plus bas ! Cap au centre de la terre ! Et rire, rire dans la profondeur, rire dans l’espace glauque, rire dans la froidure ! Rire en hommage absolu, au moment où l’orgue se sera tu, ou la musique enfin deviendra soluble…Comme mon amour et moi…
J’en ai commandé, des bâtiments. Mais que faire avec ça ? Transporter l’or et le diamant ? Etriper les pirates, massacrer les corsaires, décharner la flibuste ? Faire comme tous ces marins qui te passent dessus ? Caboter dans l’ennui d’escales qu’on prévoit ? Très peu pour moi, ces coques de noix ! Il me fallait, pour toi, une prison de fer. Avec des yeux de verre. Et une peau en miroir, pour reflèter le tien, ton miroir, ta limite, si jamais je m’égare tout là-haut, en surface… Il me fallait un œuf d’acier, une bogue arrogante pour subir ton étreinte !
Et voici comment je t’aime : du plus profond, de l’intérieur, amour de ventre et d’œuf très dur. Tu ne me pondras pas comme tu ponds les épaves : échardes de mâts effilochés qui s’échouent sur les plages, haubans délavés et pavillons en loques… Tu ne me pondras pas, parce que je suis lourd, bien arrimé au fond, ancré dans ma demeure, salaison minérale, confite dans le sodium et qui brille de lumières intérieures électriques : les poissons me regardent. Et passent leur chemin… Je reviens ! Demain !
Quand on te chérit, on n’est pas libre. On ne pense qu’à toi. A en savoir plus. On veut aller voir les poissons aveugles, en profondeur. On veut toucher le fond. Ton fond. Tes montagnes à toi, celle qui ne bougent pas non plus. Mais comment faire pour ne pas sombrer ?
Des naufrages ? J’en ai vécu. Des verts et des pas mûrs ! Des glauques et des bleu-ciel, à cause des reflets. Des tempêtueux, des saumâtres. Et toi, l’impassible, tu me regardais mourir. Et je en mourrais pas, c’est à n’en plus finir. Sauf que moi, je suis vieux. Toi pas : tu renais au ressac, et le sac lui succède et tu ne cèdes pas à la fin comme nous. Les requins, dans ton ventre ne te mordent jamais ! D’abord, tu n’es qu’un ventre : ta surface n’est rien ; image, reflet, comédie, théâtre à bourlingueurs, ces violeurs d’apparence. Certains font même des courses des régates et des tours, pour devenir convaincus qu’ils peuvent t’échapper. Mais ils ne t’aiment pas. Moi non plus, ou alors…De toute façon, je reviens !
La Dame de Terre-Neuve avait des yeux d’embruns, des cheveux de filasse lorsqu’il avait plu. J’attendais souvent la pluie.Je voulais voir ça ! Toucher et même boire ! Laper les cheveux clair qui me semblaient salés. Il n’y a rien à Terre-Neuve, rien qui puisse me plaire. Je veux dire : maintenent, à cause du temps qui passe ! J’hésite encore : je voudrais tant plonger…rejoindre ma coquille et larguer mes amarres. Te naviguer encore ! Je veux revenir dans ton ventre froid. J’hésite parce que c’est bon, je ne le mérite pas !
Je ne pense qu’à toi. A la pâleur extrême de ton jour d’en-dedans quand on plonge peu profond dans un bateau de fer, avant que de descendre, et encore, et encore, à l’opposé du ciel, au firmament de boue, au silence absolu parmi les regards ronds et les aveuglements. Pendant que tu existes, je vis et je me meurs. J’ai autre chose à faire, moi, que d’être tout simplement, que de persister, comme toi, impassible rêve d’eau ! Je me suis embarqué dans la vie un beau jour, et me voilà, ici, pas trop loin du dernier. Mais tu t’en fous, toi, la mer ! Et jamais tu ne pleures, et jamais tu ne ris ! Et ça m’a reposé de cette femme de Terre-Neuve qui riait comme une cruche à chaque jeu de mots ! Et pourtant, et pourtant, je t’en ai raconté des histoires ! J’en ai joué des sérénades, des aubades , des romances ! Roméo sans balcon, au cœur même de sa belle, j’avais l’air imbécile de ceux qui aiment trop ! Et des yeux de merlan, enfariné et frit !
J’ai vu, par en-dessous, le requin bouffer l’homme. Et ça m’a fait penser : l’amour a plein de dents ! Mille millions de milliards de milliards de dents ! Des dents d’algue, de goémon, des dents d’étoile marine, des dents d’orque nacrées, des dents pourries de murènes obèses de la chair des esclaves qu’on jetait sans façon du haut des grands pontons des rivages antiques ! l’amour, ça pue des dents. Ca remugle à loisir les blessures pointillées, les chairs arrachées qui ne saignent qu’un temps sur ta surface étale. Et tu m’as mordu, toi.I nsidieusement. Avec tes dents aiguës, avec tes fortes lames. Tu m’injectas ton sel, c’est un filtre d’amour et je n’aime que toi, certainement… peut-être. Absolument, c’est sûr.
Je te regarde. Je suis sur la grève. Sans toi, je ne verrais que du sable infini. Des montagnes en contrebas. Mais qu’est-ce que tu fous là ? Que fais-tu sur la terre ? T’en sais rien ? Moi non plus ! N’empêche que tu es là. Inévitable.Obsédante. Avec tes vagues. Ton écume. Et même ton innocence qui m’énerve et m’enrage. Tu peux tout bouffer, toi : tu n’es jamais en faute. Maudite prédatrice qui digères le monde ! Il n’y a pas de bonde, tout au fond. Je sais : j’y suis allé. Parfois, je te hais ! J’eusse aimé te vider comme une baignoire sale. Entendre tes glouglous d’agonisante. Tu fais trop la fière ! J’aurais regardé le tourbillon. Senestrogyre ? Dextrogyre ? Ca dépend de l’hémisphère…
La Dame de Terre-Neuve te ressemblait un peu. Je crois que c’est pour ça ! Moi, je voulais te fuir, mais ce n’est pas possible : Eh oui, ces yeux si bleus, on aurait dit toi-même ! Alors j’ai mal encore, car c’est un souvenir ! Si j’oubliais, je ne me déciderai pas: je n’entrerais pas dans mon œuf, comme je le ferai demain. Je reviens ! Et me voici à toi ! J’ai encore trop peur, car je te connais bien ! Et si je reviens, et si je plonge, et si je m’engloutis, je sais que ce sera pour la dernière fois ! Et je regarde mon bathyscaphe, mon vaisseau impassible dont l’acier pétille sous le soleil du jour…
Non : j’aurais voulu deux bondes pour mieux te vider ! ! Une de chaque côté de l’équateur ! J’aurais joui de tes deux tornades en sens inverse ! Et j’aurais entendu le grésillement final ! Voilà, tu aurais éteint le centre de la terre. Et j’aurais vu, ma belle, une vapeur formidable ! Puis je serais parti faire le tour du monde à pied sec. Et je t’aurais oubliée.Non, parce que la vapeur, en montant vers le ciel, serait devenue nuée, pluie, orage, averse, ondée… Je ne ferai jamais le tour de la tere ferme avec un parapluie. Surtout pour te voir redescendre du ciel, avec des milliards de gouttes, mille milliards de milliards de gouttes d’eau, pour prix de tes débordements ! Non, je ne t’aime pas, ce n’est pas possible, je ne suis pas si bête, je ne suis pas si libre ! Je m’amuse, je m’abuse, je me joue le frisson, surtout que tu es froide comme la mort qui m’attend !
Non, décidément non, je ne t’aime pas, la mer. On est trop différents ! On ne peut pas s’entendre ! Je ne suis pas comme toi, moi.Je ne te ressemble pas ! Je suis un être tranquille… un... un philosophe, voilà ! Un philosophe : je fume ma pipe au bistro du port, et je te regarde. J’en ai ras la marée, moi, de te contempler, en sachant que pas plus tard que maintenant, tu peux te déchaîner, te démonter, mugir et tempêter comme n’importe quel dieu ! Je ne suis qu’un homme. Un homme simple, un homme calme. J’ai patiemment bâti mon vaisseau sous-marin. Sans hâte, sans bruit. Je ne suis pas du genre à me laisser fouiller par les homards, survoler par les sternes, sillonner par les étraves, skier par les modernes, investir par des plongeurs ou des pêcheurs de perles ! Je ne déferle pas, moi ! Ca m’est égal de déferler ! Je ne me gonfle pas en furies tortionnaires . Tu aimes trop le luxe ! Tiens : ton sel, quand il sèche, ressemble à des diamants.
La Dame de Terre-neuve portait de vieux bijoux arrachés à ton ventre ! Des trésors oubliés, tapis au fond d’épaves, de l’or et de l’argent du Pérou asservi ! De l’or et de l’argent, en pendentifs pesant, en colliers scintillants, en bracelets d’esbroufe. De l’or et de l’argent tachés du sang d’Incas, d’Aztèques ou de Mayas disparus à jamais ! Un gentils capitaine les lui avait offert. Ca vient temps jadis, moi, j’étais encore jeune et je ne savais âs ô combien je t’aimais. Non : je ne t’aime pas ! Tu caches tes bijoux tout au fond de tes fosses, tu es belle en dedans, sournoise et circonspecte ! Dissimulatrice ! Tu es comme un mensonge ! Et c’est bien pour cela qu’en mon bateau de fer je suis descendu pour mirer tes entrailles ! Je en suis qu’un curieux se prenant pour Tristan !
Ecoute-moi, la mer, écoute moi bien : tu ne parles jamais.comment veux-tu que je te comprenne ? Tu te tais sans silence, mais… en fait, tu n’as rien à dire ! Je suis sûr que tu es bête ! C’est pour ça que tu te tais ! Oui, tu es une cruche, une gourde ! Je m’en rends compte maintenant, parce que je ne t’aime plus comme avant! Mais tellement plus. Tu es une moule, un bigorneau mental ! Et ça m’est égal ! Alors, c’est facile : on ne parle pas, comme ça personne ne s’en aperçoit ! Mais je t’ai percée à jour, moi ! J’ai mis le temps mais j’ai compris ! Tu es niaises, tu es obtuse, tu n’as même pas inventé l’eau tiède ! Férocité de mérou affamé, tendresse de bonite au rencard : toi, la mer…
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