23 février 2006
LAtin de cuisine
l'expression "latin de cuisine" est encore en vigueur. On ignore souvent qu'elle vient de loin et se rapporte à un moine aventureux.Mais aussi qu'elle est partie prenante de tout un courant littéraire qui va du burlesque italien à Rabelais, en passant par les goliards et leurs "carminae buranae" et que ce courant n'est pas tout à fait mort! Voici l'article que j'ai écrit à ce propos dans mon livre sur els expressions culinaires qui devrait paraître en septembre chez LArousse:
Teofilo Folengo, dit Merlin Coccaie (1491-1544), était un moine bénédictin représentatif de la vaste érudition qui caractérise son ordre. Il s’enfuit de son monastère par amour et partit, avec une femme, mener une vie de bohème durant une dizaine d’années. Puis il revint dans son cloître et écrivit des ouvrages pieux, et des textes où il cherchait à faire oublier son passé tumultueux. Il rédigea l’Opus Merlini Cocaii macaronicum, qu’on a traduit en français sous le titre d’Histoire macaronique. Il s’agit d’un ouvrage plaisant, d’une extrême importance, puisqu’il a inspiré Rabelais autant que Molière, ainsi que Balzac pour ses Contes drolatiques, Gautier pour le Capitaine Fracasse. Ce mélange de références érudites latines, grecques, de fabliaux, de farces et de saynètes participe du « gai savoir » des goliards, étudiants itinérants, allant d’une université à l’autre, érudits et tapageurs… En se surnommant Coccaïe, Folengo évoque l’art culinaire, le cuisinier. On appelle le courant qu’il représente « macaronisme ». Merlin Coccaïe, amoureux de la langue et du lexique, rédigea son livre en écrivant une sorte de latin outré, précieux et grossier à la fois, très différent du latin classique, comme du latin médiéval ou renaissant. Ce latin, épique, généreux, savoureux, est au service d’histoires comiques, facétieuses, drolatique, ébouriffantes – « hénaurmes », comme l’aurait dit Flaubert – et qui nous laissent parfois « estrapafourbis », selon la jolie expression de Claudel. Le latin macaronique fut appelé « latin de cuisine » et peut encore nous réjouir par ses outrances résolument grotesques.
Latin de cuisine est parfois employé dans le sens de « mauvais latin », pratiqué par quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue des Romains antiques, fussent-ils enseignants :
Ce n’était pas l’enseignement lui-même que j’aimais tant – cela me mettait en difficultés sérieuses avec mon orthographe – ni le traitement que j’en retirais et qui était dérisoire. C’était juste que je rencontrais tant de gens intéressants et que cela m’élargissait tant l’esprit et m’éduquait. J’appris à me sentir tout à fait à l’aise avec des serpents, et, en guise d’autodéfense, je me pris d’une passion pour les petites choses rampantes et les souris blanches. On m’apprit à faire tourner une toupie et à jouer aux billes. J’appris aussi à parler couramment le latin de cuisine ainsi que l’Op, une langue bien plus savante. J’ai aussi appris qu’un visage d’ange à la Botticelli était beau à voir, mais pas nécessairement agréable à supporter longtemps. Une tête à qui une auréole aurait convenu parfaitement, pouvait se révéler, comme je l’ai découvert alors, capable d’inventer les pires sottises. (Louise Baker, Ma vie sur une jambe, 1946.)
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