3 décembre 2005
Camille Bryen et Oscar Dominguez
LEs "touche à tout"...
Ma vie d’écrivain a souvent consisté à faire coïncider un visage familier avec des écrits, des musiques, des peintures qui pour moi ne ressemblent pas toujours à leurs créateurs. Il m’aura donc fallu longtemps pour connaître l’oeuvre de Soupault, neveu de Louis Renault, dont il trace un fort désobligeant portrait dans Le Grand Homme (1929), manqua le Goncourt en 1924 parce qu’on le jugeait “trop dadaïste”. Éditeur de Thomas Mann, journaliste côtoyant, lorsqu’il travaillait à l’Excelsior un employé “annamite” au nom imprononçable et qui deviendrait Hô Chi Minh . Créateur de Radio-Tunis, traducteur de Joyce (avec l’auteur pour Finnegan’s Wake), Soupault ne manqua pas d’écrire des romans singuliers. Un vrai touche-à-tout.
Les touche-à-tout que j’ai connus ne se dispersaient pas au gré de leur inspiration du moment. Il s’agissait de personnalités complètes, affamées de savoir, c’est-à-dire d‘amour. Des hommes et des femmes cultivés au sens où la culture rend meilleur…
Camille Bryen, dessinateur maniaque, était un habitué de la maison. Ce petit homme à grosses lunettes traçait des lignes enchevêtrées, aboutissant à des oeuvres minuscules au charme complètement dada. Il dessinait n’importe où, méticuleux, patient. Ce “passant outre” (c’est le titre de l’un de ses poémes) sut fort bien définir l’âme généreuse du “touche-à-tout”:
Le mouton fabrique du cuivre dans la graisse de sa toison.
Le cachalot l’ambre grise dans son ventre.
Certains hommes dessinent…
Bryen, toujours plus dada que surréaliste rencontra Breton. Ce dernier, aussi pontifiant que d’habitude, parla beaucoup. Bryen l’écouta. Ensuite, il prit congé, disant:
- Je n’ai plus l’âge des cours du soir.
Fils d’un importateur, Oscar Dominguez , le “dandy des bananes” s’occupait du commerce des fruits exotiques aux Halles de Paris. Je ne connus que bien plus tard le procédé “décalcomaniaque”. On étale de la gouache sur une feuille, on la recouvre d’une autre feuille, on frotte.
Dominguez ne se contenta pas de ces résultats fortuits. Il sut exploiter, enrichir, transformer ces décalcomanies, les préparer, afin de maîtriser la forme; obtenant des oeuvres qui, dit-on, préfigurent Max Ernst. Les décalcomanies de Dominguez s’étalent en excroissances diverses singeant les madrépores les éponges, dessinant de “merveilleux nuages”, des fleurs improbables, des animaux curieux. L’acromégalie minait sa santé. Cet amateur de jolies femmes leur expliquait ainsi les progrès de son mal:
- Toutes mes extrémités grossissent mes doigts grossissent, mes pieds grossissent, et… le reste.
Cet ogre généreux, gros buveur, gros mangeur , et… le reste demeure un personnage de légende, surnommé “le dragon des Halles”, le “caïman de Montparnasse” voire le “ caïman sentimental” ou “l’archéologue de l’inconscient”. Il se suicida le jour de l’an, en 1958.
Musikfabrik! contactez-moi donc: orlandoderudder@hotmail.fr!!!!
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