Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
orlando de rudder
orlando de rudder
Publicité
Archives
15 novembre 2005

Et encore, et toujours le zen!

On trouve aussi ça sur le net.... Tout converge, évidemment! Le zen dans la cité, religion et pouvoir Conférence donnée par Luc Boussard au restaurant La bonne heure le mercredi 27 mars 2002. Ce thème est obordé dans un autre article de ce site: Le zen en guerre: y aurait-il un jihad bouddhique? Ce soir, nous allons parler des rapports qu'entretiennent le pouvoir et la religion. C'est un vaste sujet, surtout pour une aussi modeste assemblée. Nous ne l'épuiserons certainement pas. Le problème de la religion et du pouvoir peut être envisagé sous deux aspects, celui du rapport entre la religion et le pouvoir temporel et celui de la façon dont les religions instituent leur propre mode de fonctionnement hiérarchique. Nous ne parlerons ce soir que du premier aspect. Originellement cette conférence devait se dérouler au Dojo de Paris. C'est le Dojo de Paris qui m'avait demandé de la faire parce que je suis le traducteur du livre Le zen en guerre, de Brian Victoria, qui a fait un peu scandale dans le Landerneau bouddhiste et zen. J'ai donné mon accord et puis, en dernière minute, les dirigeants du dojo ont changé d'avis et jugé que le sujet n'était pas opportun, qu'il prêtait à discorde, et on a donc décidé de faire la conférence ici, au restaurant La bonne heure. À l'origine de la conférence, comme je l'ai dit, il y a le livre de Brian Victoria. Jusqu'ici, sauf évidemment dans les milieux bien informés, l'idée reçue voulait que le bouddhisme fût la seule grande religion à ne s'être jamais compromise avec les idéologies guerrières, conquérantes, impérialistes, totalitaires, etc. On s'est gargarisés de cette idée-là, moi y compris d'ailleurs, et puis Brian Victoria a sorti ce livre, et on a été obligés de déchanter, de constater que c'était purement et simplement une légende. le bouddhisme et le Japon entre 1850 et 1945 Je vais faire un petit rappel historique pour résumer les positions de Victoria. Son livre se penche sur le comportement des élites bouddhistes à l'époque moderne. Au Japon, l'époque moderne, l'époque contemporaine, commence en 1853, quand les puissances occidentales obligent le pays à s'ouvrir. C'est le fameux épisode des "noirs vaisseaux" du Commandant Perry. Les canonnières américaines obligent le Japon à s'ouvrir, le Japon qui était totalement fermé à l'étranger depuis près de deux siècles et demi. Cet épisode introduit la modernité japonaise et la Restauration de Meiji. La Restauration de Meiji, à laquelle s'intéresse Victoria pour étudier le comportement du bouddhisme, n'est pas un phénomène monobloc, monolithique. Elle a différents aspects; d'abord dans le temps: au début, c'est un phénomène d'ouverture vers la modernité, qui s'accompagne donc d'un grand appel d'air, d'un grand brassage d'idées, mais qui se durcit de plus en plus à mesure qu'on avance dans le temps, puisque l'époque concernée se termine en 1945, à la défaite du Japon. Plus on arrive dans les années 1910, 1930, plus le régime se durcit. En outre, dans cette modernité japonaise, il y a à la fois la soif du moderne, autrement dit le rejet de la féodalité, et en même temps un repli identitaire, nationaliste, extrêmement marqué, qui va tourner ensuite à l'idéologie totalitaire et conquérante que l'on connaît. Dès le départ, la Restauration de Meiji se passe très mal pour les bouddhistes. L'empereur - qui est revenu à la tête de l'État, puisque la Restauration a aboli le régime des shoguns et réinstallé un pouvoir politique centré sur la personne de l'empereur -, dès ses premiers édits, annonce la séparation du bouddhisme et du shinto. C'est-à-dire que le shinto, la religion indigène japonaise, devient la seule religion officielle et tout de suite commence une vague de persécution du bouddhisme, pas aussi violente qu'on a pu le dire ni très durable, puisqu'elle ne dure que quelques mois. Mais en quelques mois 40 000 temples sont fermés, des dizaines de milliers de moines et de nonnes bouddhistes sont renvoyés à la vie laïque et on assiste à une grande destruction d'objets de culte, de statues, de cloches, etc. On peut d'ailleurs signaler que bon nombre de collections occidentales, entre autres les collections françaises du Musée Guimet, viennent de cette époque-là. Les temples ont été vidés, on a jeté les ustensiles du culte et bien entendu les collectionneurs occidentaux en ont profité. Il y a donc une vague de persécution des religions étrangères, le bouddhisme mais aussi le christianisme. La réaction immédiate des bouddhistes, toutes obédiences confondues, est de faire voeu d'allégeance, de montrer aux autorités que le bouddhisme peut leur être utile. Immédiatement les directions des diverses églises bouddhiques affirment leur hostilité au christianisme. Il y a encore plus étranger que nous, disent-elles, c'est le christianisme. Dans le même temps elles s'attachent à montrer qu'elles sont un excellent suppôt de l'État. C'est ce que l'on appelle le bouddhisme protecteur de la nation, qui est une vieille tradition au Japon. Les bouddhistes se posent comme les garants, et même comme le fer de lance de la propagande nationaliste. Cette campagne prend plusieurs formes. C'est une offensive tous azimuts. Les diverses écoles bouddhiques envoient leurs meilleurs éléments à l'étranger pour étudier la bouddhologie dans les grandes universités, aux États-Unis, en Angleterre... et présenter à l'étranger le bouddhisme comme une religion universelle et non pas comme une petite religion exotique. Dans ce cadre, par exemple, Shaku Soen [maître de D. T. Suzuki et Sokei an] participe au Parlement mondial des religions, à San Francisco en 1993, où il se taille un franc succès en montrant, justement, que le bouddhisme est une religion universelle, mais aussi en faisant l'apologie du nationalisme japonais au nom des valeurs occidentales de justice et de droit des peuples. Quand ils reviennent au Japon, fiers du succès remporté à l'étranger, ces zélateurs font des tournées de conférences dans tout le pays et affirment partout la solidarité du bouddhisme et de l'État impérial et l'identité même de la loi bouddhique, buppo, et de la loi impériale. Dans le même temps, l'État de Meiji devient de plus en plus expansionniste. Tandis que le bouddhisme envoie des missionnaires, d'abord en Occident pour faire valoir sa cause, puis en Chine, en Mandchourie et en Corée pour y effectuer un travail qui est avant tout un travail de propagande pour l'État japonais, celui-ci devient de plus en plus expansionniste, avec des visées ouvertement guerrières. Il faut comprendre qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe le Japon est plus ou moins acculé à cette position. Les puissances occidentales sont en train de dépecer la Chine et de se partager l'Asie du Sud-Est. Le Japon est menacé dans ses intérêts vitaux. S'il se laisse faire, il va se retrouver transformé en colonie comme tous les autres pays d'Asie, à l'exception de la Thaïlande si je ne me trompe. Et les Japonais, qui ne sont pas des imbéciles, ont bien observé les façons de faire des Occidentaux, entre autres l'alliance du sabre et du goupillon, ou plus précisément l'envoi des missionnaires pour défricher le terrain, bientôt suivis par les armées coloniales. Toujours est-il que les bouddhistes se montrent de plus en plus empressés de prouver leur soumission totale au régime impérial. Le mouvement Shin Bukkyo (Nouveau bouddhisme), qui regroupe toutes les sectes du bouddhisme, se forme avec pour but même de prouver que le bouddhisme est compatible avec la vie de la nation et de prôner la soumission à l'État impérial, la fidélité à l'empereur et l'identité de la loi du Bouddha et de la loi impériale. Les bouddhistes sont très vite récompensés de leur zèle. La Constitution de 1889 rétablit la liberté de culte. Le bouddhisme est de facto réintroduit dans son rôle de religion officielle. Le ministère des Affaires des dieux est transformé en Direction de l'enseignement religieux, avec création d'un poste d'instructeur religieux chargé de la diffusion de ce que, dans sa terminologie un peu pompeuse, le gouvernement japonais de l'époque appelle le "Grand enseignement". Ce Grand enseignement, qui va être diffusé par les prêtres shinto et bouddhistes dans les sanctuaires et dans les temples, c'est le culte des divinités japonaises - les divinités shinto de la mythologie antique - et l'exaltation du patriotisme et de la soumission à la loi impériale. Il y avait à l'époque environ 200 000 moines bouddhistes au Japon et il y en a 80 000 qui deviennent instructeurs religieux pour l'État, perdant par la même occasion leur autonomie en tant qu'enseignants bouddhistes, puisqu'ils se fondent dans une entreprise qui est quand même dominée par le clergé shinto. Les moines bouddhistes revêtent la robe shinto, les idoles sont introduites dans les temples, et le grand portail traditionnel shinto est mis à l'entrée des temples bouddhiques. Par souci de survivre, la religion bouddhiste s'est en fait inféodée au shintoïsme et à l'idéologie impériale japonaise. À mesure que le Japon se fait conquérant, les conflits se multiplient. Il y a une première guerre contre la Chine en 1894-95, qui est purement et simplement une guerre coloniale. Le Japon a des visées sur la Corée et sur la Mandchourie, et c'est pourquoi il s'attaque à la Chine qui a toujours inclus la Mandchourie et la Corée dans sa zone naturelle d'influence. Le Japon gagne cette guerre, annexe immédiatement Taiwan et, dans la foulée, dix ans plus tard, s'attaque à la Russie. C'est la guerre russo-japonaise de 1904-1905, qui relève exactement du même cas de figure. La Russie a elle aussi des visées expansionnistes vers le Sud. La Chine étant à genou et incapable de faire front militairement, toutes les grandes puissances, la Russie, le Japon, mais aussi la France et l'Angleterre essayent de faire main basse sur tous les territoires dont ils peuvent s'emparer. Le Japon gagne encore cette guerre, avec des centaines de milliers de morts. La Russie s'en tire exsangue mais le Japon aussi. Dans ces deux guerres, le soutien des églises bouddhiques, toutes sectes confondues, qu'il s'agisse des sectes de la Terre pure ou des sectes zen, à l'État impérial est total et sans réserve. Après la guerre russo-japonaise, les choses se durcissent. C'est-à-dire que l'État japonais passe à une militarisation intensive, l'industrie est convertie en industrie de guerre pour construire des armements. Le Japon annexe la Corée en 1910. Il annexe la Mandchourie en 1931. En 1937 il attaque à nouveau la Chine et on entre très vite dans le deuxième conflit mondial, avec l'attaque sur Pearl Harbor, qui, ne l'oublions pas, se déroule un 8 décembre, jour anniversaire du satori du bouddha. Là encore, le soutien des églises bouddhiques est entier et sans faille. L'impérialisme et le militarisme à l'étranger s'accompagnent bien entendu d'une répression féroce au Japon, où il y a tout de même des résistances. Là encore, le clergé bouddhique participe corps et âme à la répression. Il a depuis très longtemps le contrôle sur la population civile, une tâche qui lui a été confiée par l'autorité shogounale. Ce sont les temples qui tiennent les registres de l'état civil depuis l'époque de la lutte contre le christianisme. Les prêtres bouddhistes étaient chargés de contrôler la population et de dénoncer les éléments tentés par le christianisme. Cet appareil, ce réseau, ces vieilles habitudes servent à nouveau, non plus cette fois pour démasquer les chrétiens mais pour dénoncer les éléments subversifs. Les temples bouddhiques se chargent de repérer les anarchistes, les communistes, les socialistes, les intellectuels rebelles... Bref, à l'extérieur, le clergé se livre à un travail de propagande à travers les activités missionnaires et à l'intérieur à un travail d'encadrement de la population. Victoria le démontre très bien et, pour ceux qui auraient des doutes, il suffit de lire l'acte de repentance de la soto shu, publié en 1992, où la direction de l'école soto du zen reconnaît son entière culpabilité et demande pardon pour ses exactions. Il ne s'agit donc pas simplement de critiques formulées par quelqu'un de malveillant. À cette époque-là, pendant toutes ces guerres - il y a eu la guerre avec la Chine, la guerre avec la Russie, la conquête de la Corée, la deuxième guerre avec la Chine et ensuite la Seconde Guerre mondiale avec les puissances occidentales, en sachant que pendant la guerre de quatorze, le Japon était du côté des alliés, et qu'il a profité de la guerre pour annexer quelques territoires à droite et à gauche -, Brian Victoria nous explique que la logique des bouddhistes s'est articulée autour d'un raisonnements en quatre points. Le premier point c'est que tous les agissements du Japon dans la poursuite de ses intérêts nationaux sont parfaitement légitimes et que personne n'a rien à y redire. Le deuxième c'est que les "démons hérétiques", pour reprendre la terminologie de l'époque, qui pourraient s'y opposer - c'est-à-dire par exemple, je ne sais pas, les Anglais, les Américains, les communistes... - méritent d'être punis parce qu'ils font obstacle non seulement aux intérêts du Japon mais au progrès de l'humanité toute entière. Et les guerres menées par le Japon sur le continent asiatique sont des guerres de compassion, visant à apporter le véritable enseignement aux populations, attardées et victimes de la colonisation occidentale. Le troisième point, c'est que les églises bouddhiques apportent leur soutien total à cet effort de guerre, et que les guerres de compassion sont donc en même temps des guerres saintes. L'expression a été employée à plusieurs reprises, notamment à propos du conflit avec la Russie, où les armées du Bouddha affrontaient celles de Dieu. Le quatrième point, c'est que, dans cette entreprise militariste, les bouddhistes se donnent pour rôle principal de soutenir le moral des troupes, d'insuffler aux officiers et aux soldats d'abord un esprit de sacrifice et ensuite un esprit combatif. C'est là qu'on arrive au point le plus scabreux, parce que, dans cette intention, toutes les sectes bouddhiques, c'est un phénomène qu'on ne peut pas nier, ne se sont pas contentées de faire appel à la piété filiale et au devoir de gratitude envers l'empereur "protecteur du bouddhisme"; elles ont aussi totalement perverti leurs enseignements. Les sectes de la Terre pure promettent aux guerriers morts au combat qu'ils renaîtront immédiatement dans le paradis du Bouddha Amida et les sectes zen utilisent les enseignements les plus profonds sur la vacuité, sur le non-né, sur le détachement, pour inciter les soldats à faire don de leur vie à l'empereur, disant - les citations là-dessus abondent dans le livre de Victoria - que mourir pour l'empereur c'est mourir pour le Bouddha. À partir du moment où l'on est détaché, dit le clergé, il n'est rien de plus élevé que de donner sa vie pour la cause de l'empereur. "Le sacrifice de soi-même tourne autour de ce que le bouddhisme appelle l'abandon de soi-même pour une cause plus grande", dit Shaku Soen. Ce qui me paraît une excellente définition de la pratique de la Voie bouddhique. Sauf que la cause plus grande dont parlent Soen et ses semblables, c'est le culte de l'empereur et l'anéantissement de l'ennemi. Shin jin datsu raku et l'énergie de zazen sont ainsi mis au service de l'État impérial. On pourrait trouver beaucoup d'autres exemples de cette dérive, de ce dévoiement des enseignements fondamentaux, mais j'y reviendrai un peu plus tard. Le livre de Victoria, entériné en cela par l'acte de repentance de la Soto shu, dresse la liste des manifestations concrètes, dans les comportements, de cet asservissement du bouddhisme à la propagande d'État, avec des activités qui, somme toute, paraissent acceptables, telles que le soutien aux familles des soldats ou l'envoi d'aumôniers sur le front, mais d'autres nettement plus contestables: collectes de fonds pour les achats d'armement, activités d'espionnage et de propagande, surveillance des populations et dénonciation des éléments douteux, garde des prisonniers ennemis dans les temples, formation et endoctrinement des officiers et des soldats, célébration de cérémonies pour la victoire... Il y a donc une constatation incontournable, c'est que, contrairement à toutes les idées reçues, le bouddhisme, au même titre que le christianisme avec l'inquisition, les guerres coloniales en Amérique latine, les croisades, ou l'Islam dans ses guerres de conquête, le bouddhisme s'est rendu coupable des pires exactions au nom des enseignements les plus sacrés qu'il professe. Cela me semble indubitable. Victoria manque de recul historique et culturel C'est un tableau assez sombre, on pourrait même dire consternant. Je dois reconnaître que, quand j'ai lu ce livre, j'ai été un peu choqué. Cela fait maintenant deux ans, j'ai eu le temps de réfléchir, de m'imprégner tout cela, et je pense qu'il y a plusieurs observations qu'il faut apporter pour nuancer les jugements extrêmes qu'on serait tenté de prononcer. Tout d'abord, il faut se rendre compte que la position de Victoria a quelque chose de faussé dès le départ. Il est convaincu de son bon droit et se présente en redresseur de torts, avec les convictions d'un anglo-saxon du XXIe siècle. Il n'a aucun doute sur les vertus de l'individualisme, de la démocratie, de la liberté individuelle. Or, pour les gens qu'il critique, ces valeurs-là sont absolument inconnues. Ils ne savent pas de quoi il s'agit, ils sont issus d'une culture complètement différente. Les bouddhistes de l'ère Meiji sortent de deux siècles d'isolement total, de fermeture à l'Occident. Et l'idée que personnellement je taquine un peu, c'est que l'isolement est générateur d'intégrisme, et qu'on a une forme d'intégrisme dans les déviances du bouddhisme japonais de cette époque. Donc Victoria omet de nuancer ses jugements par une mise en perspective culturelle. Et il ne le fait pas non plus par une mise en perspective historique, en montrant que le Japon était pris dans un engrenage qui ne lui laissait guère d'autre alternative que la disparition ou l'expansion. Et les bouddhistes japonais se sont solidarisés avec cette vision de l'intérêt national avec d'autant plus d'empressement qu'ils ont eu peur d'être rayés de la carte s'ils ne le faisaient pas. En outre, ils étaient pris eux aussi dans un engrenage, celui d'habitudes de comportement acquises de longue date. En effet, ce qui se passe à l'ère Meiji n'est en aucun cas nouveau et la tradition d'alliance entre le pouvoir et la religion est un vieil atavisme, disons japonais, et si on veut aller un peu plus loin on va s'apercevoir que c'est un vieil atavisme asiatique, qui remonte en fait très loin dans le bouddhisme primitif. Je vais essayer de faire un bref rappel historique. Le bouddhisme est introduit au Japon au VIe siècle, en provenance de la Corée. À l'époque, on ne peut pas dire qu'il y ait une religion vraiment japonaise; il y a une sorte de chamanisme avec des croyances shinto, un shinto-chamanisme. Le bouddhisme est rapidement adopté par une partie des élites japonaises, non sans conflits, parfois sanglants, entre chefs de clans. Très vite, le bouddhisme devient religion d'État, et d'emblée un lien très fort s'instaure entre le pouvoir et les temples. Dès le départ apparaît l'idée du bouddhisme protecteur de la nation. Les temples sont chargés de célébrer des cérémonies, des rituels pour protéger la nation. Cela s'inscrit d'emblée dans l'histoire du bouddhisme japonais, pour prendre ensuite encore plus d'ampleur. Lors des invasions mongoles, par exemple, tous les temples célébreront des kito, des cérémonies. C'est un aspect du bouddhisme qui a pris une telle importance au Japon, il faut le savoir, que les temples sont devenus de véritables usines à cérémonies. Les moines font très peu zazen, par contre ils passent beaucoup de temps à célébrer des cérémonies et à compter l'argent qu'ils touchent pour ce faire. Pour revenir à notre aperçu sur l'histoire du bouddhisme au Japon, cette liaison entre les moines et les guerriers s'est perpétuée pendant des siècles. Les moines sont tellement proches du pouvoir temporel qu'au VIIIe siècle l'un d'entre eux a tenté d'usurper le trône. Les temples, qui, contre les services qu'ils rendent, bénéficient de la protection du pouvoir, deviennent extrêmement riches, accumulent tant de terres et de bâtiments qu'au Xe siècle tous les grands temples se dotent d'armées privées. C'est l'époque des moines guerriers, qui va durer jusqu'à la fin du XVIe siècle. Les temples ont des milices qui sèment le désordre, qui s'entre-déchirent. Je vais vous lire à ce sujet une citation assez édifiante de Gaston Renondeau, dans son livre sur les moines guerriers Pendant plus de six cents ans, du milieu du Xe siècle à la fin du XVIe siècle, les moines japonais se sont plus souvent comportés en guerriers qu'en religieux. Oublieux des règles bouddhiques élémentaires telles que la défense de tuer des êtres vivants, le mépris des richesses et des grandeurs, ils se sont mutuellement attaqués, décimés, incendiés, pour se voler les uns aux autres des rizières, des champs et des bois; Ils ont assailli les palais des empereurs et des shôgun qu'ils ont obligés à leur octroyer des privilèges, notamment l'immunité fiscale de leurs domaines [immunité fiscale qu'à ma connaissance ils ont encore, en tout cas qu'ils avaient encore il y a une vingtaine d'années, quand j'ai séjourné au Japon]; ils se sont mêlés aux guerres civiles; ils ont eux-mêmes fomenté des troubles. Bien entendu, par un retour de manivelle, ce comportement de trouble-fête s'est retourné contre eux. C'est ainsi en fait que les guerriers ont pris le pouvoir. C'est en s'armant pour mettre fin aux exactions des moines guerriers que les guerriers ont pu renverser le trône et prendre le pouvoir. Il leur aura tout de même fallu six siècles pour mettre les temples au pas. À partir du XVIIe, le gouvernement décide, pour mieux contrôler les temples, de leur confier la tenue des registres de l'état civil. Ce qui sera, là encore une véritable catastrophe pour les prêtres bouddhistes, car ils deviennent de véritables fonctionnaires, de plus en plus coupés de la population, de plus en plus riches et déliquescents, de plus en plus critiqués pour leur richesse, leurs moeurs dépravées. Ce qui prépare le terrain, finalement, pour la grande vague d'hostilité de l'époque Meiji et les persécutions... Donc, pour nuancer le jugement de Victoria, il faut se replonger dans le contexte historique comme dans le contexte culturel. Il faut se rendre compte que la marge de manoeuvre du Japon était très réduite, et qu'on ne peut pas plaquer sur un peuple qui sort de l'isolement avec ses valeurs propres, des jugements fondés sur des valeurs occidentales comme le respect de l'individu ou la démocratie. Le zen ne peut être réduit à l'asservissement au pouvoir Une autre observation qui nuance ce tableau un peu catastrophique, c'est qu'il faut savoir qu'à côté de ce bouddhisme corrompu et asservi au pouvoir politique, il a toujours existé au Japon un bouddhisme beaucoup plus authentique, beaucoup moins voyant, beaucoup plus pauvre et proche du peuple. Les textes anciens nous apprennent que, dès l'introduction du bouddhisme, au VIe siècle, il y avait des moines qui pratiquaient zazen. Dès le début - et c'est une tradition ancienne, qui remonte au Bouddha historique - il y a eu des moines qui se sont livrés à la charité et aux travaux d'assistance aux populations, défrichage, construction de ponts, construction de routes. Et puis à toutes les époques du bouddhisme japonais, il y a eu de grands réformateurs qui ont essayé, parfois au péril de leur liberté ou même de leur vie, de s'opposer à la main mise du pouvoir sur la religion. Entre autres, le fondateur de l'école à laquelle moi et d'autres ici appartenons, Dogen, est quelqu'un qui a toujours très soigneusement pris garde à se tenir à distance du pouvoir politique. La version de Brian Victoria est donc trop monolithique, elle ne présente qu'un côté des choses. De tous temps d'ailleurs le bouddhisme a présenté ce double aspect: bouddhisme de cour inféodé au pouvoir mais aussi moines iconoclastes, ascètes vivant dans des grottes, réformateurs au franc parler... Il suffit d'ailleurs de regarder l'image que le zen s'est forgé de lui-même - autrement dit la lignée des patriarches - pour constater qu'il s'est choisi beaucoup plus de héros (ou de saints) appartenant au deuxième modèle qu'au premier. Victoria: une grave distorsion des enseignements fondamentaux Et il y a un troisième point qui doit être pris en considération pour nuancer le jugement de Victoria, et qui est encore beaucoup plus important à mes yeux, à savoir qu'il a peut-être bien fait son travail d'historien, mais pas son travail de moine zen, selon moi. Je peux me permettre de le dire devant vous, puisque je le lui ai dit à lui dans les correspondances que nous avons échangées. C'est-à-dire qu'il entérine l'idée que c'est non seulement le clergé bouddhiste qui est coupable des erreurs de comportement qu'il dénonce, mais que c'est aussi l'enseignement même du bouddhisme qui est à remettre en cause. Il entérine, autrement dit, l'idée que, si on cultive le détachement de soi, l'état de conscience qu'on appelle hishiryo dans la pratique de zazen, ou des vertus comme mushotoku, le désintéressement, le détachement, on prête le flanc à la propagande fasciste, c'est-à-dire que quelqu'un qui va au-delà de son ego, qui se détache, devient une proie facile pour les idéologies totalitaires. Ça, pour quelqu'un qui pratique, c'est absolument irrecevable. Je dirais même que c'est un affront. Mais il ne semble pas que cela ait effleuré l'esprit de Victoria. J'ai pris quelques exemples de détournements des valeurs fondamentales du bouddhisme cautionnés par Victoria. On pourrait en trouver d'autres. Il entérine ainsi l'idée que le concept d'harmonie, wago, qui est un concept central du bouddhisme, se prête lui aussi aux dérives autoritaristes. À mes yeux, il mélange deux choses et montre qu'il n'a pas bien compris les enseignements du zen. Il mélange - ou tout du moins il omet de différencier - une idée, disons néoconfucianiste, d'harmonie entre les classes sociales, entre les castes, de bon fonctionnement entre le ciel et la terre, de stabilité sociale et de respect des hiérarchies, une idée effectivement réactionnaire et conservatrice selon nos critères actuels, avec l'idée d'harmonie selon le bouddhisme, qui n'a rien à voir avec cela. L'idée d'harmonie telle que nous, bouddhistes, la pratiquons repose sur le dépassement de soi. C'est l'harmonie que l'on retrouve quand on transcende ses dimensions égotiques - autrement dit ses propres illusions, sa colère, son impatience, son avidité... - pour se mettre au service d'une cause plus grande, pour se mettre au service de ce que nous appelons l'ordre cosmique. Ça peut paraître grandiloquent, mais pour celui qui pratique, cet ordre cosmique, ou ordre naturel des choses, relève de l'expérience intime et de l'indicible, du fait même qu'il échappe à l'emprise de l'ego. Entretenir la confusion entre la profonde harmonie qui est au coeur de la pratique du zen et une harmonie qui en fait se réduirait à une forme de servilité face à l'ordre en place est une grave erreur. Victoria, en tant que moine zen, se devait de lever cette équivoque. Il a préféré la renforcer. Qu'on me permette, à cet égard, une petite observation. Il me semble que les gens parmi nous, et il y en a, qui voudraient aujourd'hui faire le silence sur les égarements des bouddhistes japonais, sous prétexte qu'en parler va à l'encontre de l'harmonie et prête à la discorde, commettent la même erreur et s'appuient sur la même compréhension erronée de l'harmonie. Harmonie ne veut pas dire culte du consensus poussé jusqu'au refus d'affronter la réalité. Un coup de projecteur sur l'histoire et la géographie du bouddhisme Je vais maintenant revenir brièvement sur le bouddhisme des origines. Mais si, avant d'étendre notre réflexion dans la dimension verticale, celle de l'histoire, nous l'étendons horizontalement, dans l'espace géographique, on s'aperçoit que le problème observé au Japon - celui de la dérive étatique et militariste du bouddhisme - s'étend en fait à toute la sphère d'influence de cette religion. Dans toute l'Asie bouddhique, qu'il s'agisse de la Chine, de l'Asie centrale ou de l'Asie du Sud-Est, et à toutes les époques, les régimes politiques se sont appuyés sur la sangha, et les pouvoirs, sans doute despotiques selon nos critères, ont reposé sur une alliance avec le clergé. Et à l'heure actuelle, il y a des églises bouddhiques qui sont engagées dans des conflits violents et sanguinaires en divers endroits de la région himalayenne, au Bangladesh, au Sri Lanka... Je connais trop mal le sujet pour m'y étendre, mais pour ceux que cela intéresse il existe un bouquin qui vient de sortir, Géopolitique du bouddhisme, de François Thual, qui explique bien la situation. Mais revenons en arrière, jusqu'au Bouddha historique, en commençant par une anecdote amusante. Je tire mes sources du livre Le Bouddha historique, publié aux éditions Sully. En 520 av. J.-C., à Kosambi, où Bouddha avait des disciples, un moine a fait quelque chose de pas bien. Il a omis de vider l'eau avec laquelle il s'était lavé les fesses après être allé aux toilettes. C'était considéré comme une grave erreur de comportement et il a été exclu de la sangha. Mais c'était un type important, qui avait beaucoup de copains, et il en a résulté un conflit dans les rangs de la sangha de Kosambi. On a appelé le Bouddha à la rescousse pour trancher l'affaire. Les moines en étaient venus aux mains. Le Bouddha a essayé de les calmer, mais l'un d'entre eux lui a répondu: "Toi le vénérable assieds-toi et prends patience pendant que nous réglons cette affaire." Le Bouddha est parti dans la forêt et y est resté dix-huit mois, le temps que les choses se calment. Elles se sont calmées pour une raison très simple, c'est que les disciples laïcs qui nourrissaient les moines se sont lassés de les voir se taper dessus et les approvisionnements se sont taris. De nouveau appelé à la rescousse, le Bouddha a résolu le conflit avec beaucoup de sagesse. En fait c'est une grande leçon de diplomatie, puisque personne n'a perdu. Il a demandé au moine coupable de reconnaître son erreur, après quoi il l'a réintégré dans la sangha. Et à ses adversaires, il a dit: "En le réintégrant, je montre que vous aviez eu raison en premier lieu de l'exclure." Ainsi, tout le monde a obtenu satisfaction et la paix est revenue. Tout cela pour dire que les conflits existaient dès l'origine du bouddhisme. C'est la nature humaine. Quant au Bouddha lui-même, d'un côté il a prêché le renoncement au monde, l'abandon de tout pour la pratique et la recherche de l'émancipation, et de l'autre il était vraiment un homme de la cité, qui a toujours recherché le soutien des rois et poussé ses moines à participer aux activités sociales, à la construction, par exemple, de jardins, de ponts et de routes. Fils de raja, il avait une grande connaissance des affaires publiques et du droit. C'est de son vivant qu'est apparue cette relation triangulaire entre la sangha, le roi et le peuple, relation qui était censée circuler parfaitement dans les trois sens, le peuple faisant vivre la sangha par l'aumône et le roi par l'impôt, le roi protégeant le peuple et veillant à son bien-être, les moines bouddhistes enseignant au peuple le respect des règles et encourageant le roi à administrer équitablement. Telle est donc la relation politico-sociale de base dans le bouddhisme primitif, relation qui, malheureusement, a eu tendance à se pervertir - ce qui est peut-être le lot de toutes les affaires humaines -, puisque l'équilibre entre les trois pôles du triangle s'est détérioré à mesure que le pouvoir instrumentalisait le clergé pour contrôler la population et que le clergé mettait à profit la protection du pouvoir pour vivre dans le luxe. Ceci dit, il faut tout de même rappeler que le Bouddha s'est prononcé de manière claire et sans équivoque contre la violence à l'encontre de tous les êtres vivants, et qu'à ce titre c'est une aberration que de mener une guerre en son nom. En ce qui concerne ses idées sociales, le Bouddha était assez progressiste pour son temps, puisqu'il a admis les femmes et les membres des basses castes dans la sangha. Le salut, enseignait-il, est accessible à tous, mais il n'était pas question pour lui de remettre en cause l'ordre social. Il avait d'autres urgences, et à ses yeux l'engagement social est même, pour les moines, une entrave à l'émancipation. Les questions qui se posent Après ce bref aperçu historique, voyons les questions qui se posent. Évidemment je n'entends pas apporter de réponse définitive, ce serait bien prétentieux. Mais je voudrais faire valoir quelques points. Tout d'abord il me semble que, dans le bouddhisme, il y a des éléments qui sont véritablement des archaïsmes, des choses qui sont tombées définitivement en désuétude. Par exemple la séparation entre l'église et l'État me semble un fait acquis, sur lequel je ne vois pas comment on pourrait revenir. Il y a une autre idée qui mérite réflexion, c'est l'idée de karma. L'idée de karma, Victoria le souligne bien, a longtemps servi aux courants les plus réactionnaires du bouddhisme pour justifier l'oppression. Par exemple, la haine des élites bouddhiques de l'époque Meiji pour l'égalitarisme de nos sociétés s'appuie sur une compréhension de la théorie du karma selon laquelle la position sociale est le fruit des bonnes et des mauvaises actions dans les vies précédentes. Autrement dit, si tu es riche, tant mieux pour toi, si tu es pauvre, bien fait pour toi. Là encore, il s'agit d'une conception qui me paraît caduque et dont il faut faire table rase. Je ne pense pas qu'il y aura beaucoup de gens pour dire le contraire. Par contre, il existe une vision du karma qui est tout à fait salutaire et qui peut apporter une grande richesse à la pensée occidentale. C'est la vision du karma comme loi des causes et des effets. C'est à dire que les causes - nos pensées, nos paroles et nos actions - produisent des effets, et qu'on ne peut pas traiter les effets - par exemple les attentats du 11 septembre aux États-Unis - comme des phénomènes isolés en soi; on doit les regarder dans une logique karmique de cause et d'effet. Pour moi c'est un apport fondamental de la pensée bouddhique que l'Occident ne peut pas ignorer, au même titre d'ailleurs que la notion d'interdépendance de tous les êtres. Ceci dit, en tant que pratiquant du bouddhisme, plusieurs questions se posent à moi. En premier vient celle de l'implication, de l'engagement dans les luttes sociales, dans les grands mouvements qui travaillent notre époque. Cette question, ce n'est pas moi qui vais la résoudre, mais mon idée personnelle c'est que le point de vue le plus élevé pour les pratiquants de la Voie est celui du non-engagement. C'est d'ailleurs ce que disait Bouddha. Un homme engagé sur la Voie n'a pas assez de toutes ses forces et de tout son temps pour se livrer à cette pratique. L'urgence de la pratique est telle qu'elle éclipse celle de l'engagement en faveur toute autre cause. Cela , bien entendu, demande à être nuancé selon chacun et selon les situations. Certains combats peuvent sembler justifiés. On peut penser à la résistance, à Gandhi, à toutes sortes de causes qui paraissent justes. Je ne pense pas qu'on puisse interdire à un pratiquant, à un moine ou à un enseignant de prendre fait et cause dans certains combats. En revanche, je serais enclin à dire qu'un bouddhiste ne peut pas pratiquer la violence, c'est-à-dire que ses luttes doivent prendre des formes non violentes. À ce sujet j'ai entendu une phrase de José Bové que j'ai trouvée convaincante. José Bové, qui a été formé par Lanza del Vasto, disait: "Il y a des combats auxquels on ne peut pas échapper, des combats qu'il faut mener, et la non-violence est une autre forme de combat, dans laquelle on veille à ne jamais acculer l'ennemi à la peur et à la haine." Quoi qu'il en soit, le sujet est trop vaste et je n'ai pas compétence pour trancher là-dessus. Ce qui me semble en tout cas fondamental, lorsqu'on pratique la Voie, c'est de faire le tri entre ses idées personnelles et l'enseignement, entre l'idéologie et le Dharma. Et de ce côté-là, il me semble que les grands maîtres zen que Victoria attaque ne sont pas aussi noirs qu'il le suggère. Kodo Sawaki est un enseignant d'une incomparable envergure, même si en tant qu'individu il était marqué par la dureté et par les clichés de son époque. Quand à Yasutani, l'un des pères fondateurs du zen américain, ses disciples insistent sur le fait qu'il était irréprochable dans son enseignement du Dharma, même s'il ne l'était pas dans ses opinions et dans certaines positions prises à titre individuel. À mes yeux, Brian Victoria lui-même est loin d'échapper à la tentation de la confusion entre les idées personnelles et la compréhension du Dharma. Sa propre compréhension est profondément imprégnée de convictions progressistes, anti-autoritaires et démocratiques. Or le Dharma n'est pas plus de gauche que de droite. L'expérience intime, source de l'autonomie Voilà pour les généralités. Maintenant, pour être plus pointu, je dirais que l'idéal du bouddhisme, c'est un idéal de maturité. Kodo Sawaki disait "pratiquer la Voie, c'est trouver la dimension adulte de notre vie" et le Bouddha "soyez à vous-même votre propre lampe". Ce qui compte sur la Voie c'est l'expérience intime, l'expérience que l'on acquiert au plus profond de soi-même dans la pratique de zazen. D'un côté on ne doit pas suivre ses idées personnelles, de l'autre on ne doit pas avoir peur de ses convictions. Cela, c'est plus important que n'importe quelle doctrine. Si la doctrine entre en conflit avec l'intime conviction, qui n'a rien à voir avec les opinions, il faut remettre la doctrine à plat et faire le tri. Et il en va de même avec la relation de maître à disciple. Deshimaru lui-même nous disait: "N'imitez pas mes mauvais côtés." Autrement dit, si les maîtres zen japonais en tant qu'individus ont fait des erreurs, il faut le reconnaître franchement. Et même à l'heure actuelle, si vous suivez un maître, suivez-le dans l'enseignement du Dharma, mais si vous pensez qu'il se trompe, vous n'êtes pas obligé de le suivre dans ses erreurs. C'est un point fondamental, peut-être le plus fondamental de ma conférence: le zen est une démarche émancipatrice, la pratique de la plus grande liberté, vous devez ouvrir les yeux et ne laisser personne empiéter sur cette liberté. D'ailleurs c'est dans cette direction que vous entraînera un maître authentique, dans la direction de la non-peur et de l'autonomie. Maître Deshimaru nous disait toujours - et c'est quelque chose qui imprègne tous les textes des maîtres anciens -: "Pratiquer la Voie, c'est cesser de vouloir attraper les branches et saisir la racine." Là est l'essentiel, la polémique soulevée par Victoria, c'est les branches, pas la racine. Ce qu'on enseigne dans notre école, c'est que la racine c'est la pratique de zazen et la compréhension qu'on se forge, à travers cette pratique, des enseignements bouddhiques. Lorsqu'on pratique comme cela, on comprend que ces enseignements n'ont rien à voir avec les détournements qu'a pu opérer le clergé. Je n'ai pas grand chose à rajouter, sauf qu'en tant que pratiquants, pour ceux d'entre nous qui sont des pratiquants, on pourrait se demander ce qu'on peut faire pour éviter que les erreurs commises par les élites bouddhistes de l'époque Meiji ne se renouvellent pas. Je ne vois pas trop de menaces extérieures. Il ne me semble pas dans l'immédiat que nous ayons à craindre une tentative de main mise du pouvoir sur le bouddhisme. Par contre je distingue des périls qui nous menacent de l'intérieur. Je veux parler par exemple du formalisme, du culte de la forme aux dépens de l'essentiel. C'est ainsi que le retour d'une certaine forme de japonisme me paraît douteux. J'y vois une tentative de rétablissement de choses qui justement sont dangereuses, c'est-à-dire les privilèges, l'autoritarisme et le prestige d'un clergé professionnel, autorité et prestige fondés sur la hiérarchisation, l'apparat et le rituel. Je juge quant à moi que c'est quelque chose de dangereux. N'oublions pas que Deshimaru nous a fortement prévenu contre le clergé bouddhiste. Il nous déconseillait d'aller au Japon, nous disant que le clergé y était corrompu et qu'il n'avait plus rien d'authentique. Il ne voulait surtout pas que ses disciples deviennent des moines professionnels. Tout cela m'est resté dans les oreilles. Maintenant, il y a des gens qui pensent le contraire et qui se précipitent au Japon pour y chercher des titres, des grades, des règles et des rituels nouveaux... Une autre chose à laquelle il me semble que nous devons faire attention, c'est une certaine propension du discours zen à l'opacité. Du fait qu'il s'adresse au cerveau profond plus qu'à la raison raisonnante, l'enseignement zen est naturellement amené à employer un discours paradoxal, qui brise la logique pour toucher l'intuition. Mais nous devons veiller à ce que cela ne tourne pas au procédé, à ne pas recourir aux formules paradoxales simplement pour faire profond ou masquer notre ignorance, à ne pas sombrer dans le sophisme (car c'est bel et bien sur des sophismes zen qu'a reposé la propagande du bouddhisme impérial). Pour cela, pour garder un langage clair, la solution consiste selon moi à ne dire que ce qui coule de source, à savoir ce qu'on a vérifié personnellement, par l'expérience intime. Autrement dit, la meilleure façon de protéger l'authenticité de notre pratique, c'est encore de pratiquer. Retour à la page Le Dharma et les dharmas Retour à la page Le zen en guerre LE bouddhisme a bien fait sa propagande! Alors qu'il est fondamentalemetn guerrier!!! Toute la pensée bouddhiste esyt guerrière: ce qui vient de l'Inde ne peut pas être autrement, tandsis qu'ennChine, l'obsession des "barbares du Nord" est partout, y compris dans le Feng Shui, géomancie particulière proposant une "carapace (la tortue) au Nord et organisant tout en protection et ignorance volontaire de cet ennemi. Voir l'admirable Livre de Karen Van Ly, Le Feng shui dans votre maison aux éditions exclusif... Il faudra qu'on reparle de l'auteur, qui fait partie de ces femmes d'Asie alliant un rigueur sourcileuse dans la connaissance de la tradition et la lutte sans concession contre les dogmes infâme des orthodoxies bouddhistes et autres! KAren Van Ly? Sa vie est un roman!
Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité