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orlando de rudder
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4 janvier 2014

Lire vraiment, acte d'être: Balzac et Rimbaud

La découverte recommencée de la lecture est une aventure certaine. Comme pour marcher en forêt, en se répèrant, en connaisant les arbres, mais en découvrant, il y faut un vigilance particulière et sans a priori. Comme pour voir un tableau, il faut que le regard sache "boire" le texte, que l'écrit vous "saute aux yeux".On ne dévore pas un livre: il vous dévore. Et ça va vite. il faut savoir devenir éponge, absorber le livre sans préjugé, sans le penser au moment de la lecture. Il faut s'y laisser prendre, qu'il entre en soi, qu'on entre en lui. Tout éventuel jugement ne peut venir qu'ensuite. parfois même des années après quand on se relit le livre de mémoire. Il suffit de peu pour que surgisse un livre qu'on croyait oublié. Parfois, on pense à un livre lu jadis et voici que s'impose à l'esprit un autre contemplé naguère. L' acte de lecture, comme la dégustation d'un bon plat est à la fois passif et actif. Il demande cependant une provisoire suspension du jugement, comme un oubli de soi. Sinon, la critique ou l''opinion  font tout perdre. Lire est un acte des sens et non de la raison, ce qui lui permet d'intervenir après, beaucoup plus précise. Encore une fois c'est comme voir vraiment un tableau: on contemple, on ne médite pas... Après seulement, empli de l'oeuvre, on la pense et on la savooure autrement. Ce qui permet aux lecteur de ne jamais sennuyer en lisant. voici un extrait d'un livre expliquant ce genre de démarche, d'attitude, de présence, d'être au monde:

"En trois ans, Louis Lambert s’était assimilé la substance des livres qui, dans la bibliothèque de son oncle, méritaientd’être lus. L’absorption des idées par la lecture était devenuechez lui un phénomène curieux;; son oeil embrassait sept àhuit lignes d’un coup, et son esprit en appréciait le sens avec unevélocité pareille à celle de son regard, souvent même un motdans la phrase suffisait pour lui en faire saisir le suc. Samémoire était prodigieuse. Il se souvenait avec une même fidélitédes pensées acquises par la lecture et de celles que la réflexionou la conversation lui avaient suggérées. Enfin il possédait toutesles mémoires : celles des lieux, des noms, des mois, des choses etdes figures. Non-seulement il se rappelait les objets àvolonté mais encore il les revoyait en lui-même situés,éclairés, colorés comme ils l’étaient au moment où il les avaitaperçus. Cette puissance s’appliquait également aux actes les plusinsaisissables de l’entendement. Il se souvenait, suivant sonexpression, non-seulement du gisement des pensées dans le livre oùil les avait prises, mais encore des dispositions de son âme à desépoques éloignées. Par un privilége inouï, sa mémoire pouvait donclui retracer les progrès et la vie entière de son esprit, depuisl’idée la plus anciennement acquise jusqu’à la dernière éclose,depuis la plus confuse jusqu’à la plus lucide. Son cerveau, habituéjeune encore au difficile mécanisme de la concentration des forceshumaines, tirait de ce riche dépôt une foule d’images admirables deréalité, de fraîcheur, desquelles il se nourrissait pendant ladurée de ses limpides contemplations".

Honoré de Balzac, Louis Lambert.

loui Lambert semble retrouver ce qui se faisait en plusieurs étapes dans la lectio médiévale, voire quand tout se lisait à haute voix. Mais son silence va plus vite et il éponge come on engrange. Encore lit-il des ouvrage qui "méritent d'être lus". Un autre lecteur va plus loin, sachant être équanime et passionné à la fois. Il sait suprêmement lire et devait lire très vite, comme un baba tout sec absorbe la sauce au rhum. C'est cela, lire, pour le vivre pleinement:

"J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs".

Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer, "Alchimie du verbe".

Sinon, est-ce la peine de lire?

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