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orlando de rudder
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26 octobre 2009

Sexisme judiciaire.

La sentence tomba, précise. Lourde: vingt ans de prison. La prison? Elle connaissait! Oh, jusque là, ce ne furent que des délits ordinaires: vols, entôlages, escroqueries. Du coup, elle elle avait passé une grande partie de sa vie enfermée. Certes, elle fêtait ses libérations, s'envoyait en l'air, se faisait inviter par un type pognonneux dans de grands restaurants. Mais après un état de grâce, elle se sentait désemparée. Seule. Abandonnée. Finaude, elle avait compris qu'à force de se trouver incarcérée, elle ne pouvait plus vivre au-dehors, qu'elle ne savait plus. Elle n'aimait certes pas la prison, mais elle s'y sentait en sécurité, rassurée... dehors, c'est la précarité, l'inquiétude. Et puis trouver du boulot, avec son casier... De surcroît, elle avait horreur du travail et giflait n'importe quel patron susceptible d'oser lui donner un ordre. Quant à faire la pute, ça va cinq minutes mais ça manque d'agrément... Et puis, les années passent et la date de péremption arrive.

En prison, elle étudia. Elle se découvrit intelligente. Elle lut, elle apprit, elle comprit. Elle vécut une sorte d'autre vie faite de littérature, de poésie... De philosophie. De profondeur. De prise de conscience d'elle-même. Ce que donne la culture: à la fois une certaine distance par rapport à sa propre personne et une plus grande intimité avec son être. En complément, tout ce qu'elle put lire sur la condition féminine structura sa pensée. Non pas en termes imbéciles d' « identité ». L'identité c'est ce qu'on écrit sur une carte pour nous rendre semblable aux autres. Mais en réelle conscience d'une appartenance. D'être une femme...

Le juge lui demanda si elle voulait faire une déclaration. Elle se leva, se racla la gorge. saloperie de rhume! Elle parlerait, oui.

- Voilà, dit-elle...j'ai regardé la jurisprudence... Monsieur le juge, je tiens d'abord à vous faire remarquer que, dans des cas analogues au mien, un crime odieux... révoltant, épouvantable...

- Je vois que vous le reconnaissez, persifla le juge...

- Voire même monstrueux… Eh bien... Dans des cas analogues au mien, disais-je, les hommes coupables prennent  la perpétuité, ou  trente ans de prison ou, au moins vingt-cinq ans.... Ceci me scandalise!

-Pardon?

- Oui, parce que je suis une femme! Ne suis-je pas aussi responsable qu'un homme? Me trouvez-vous des excuses en raison de mon sexe? Pensez-vous que mon crime est moins abominable à cause de lui? Eh bien non, monsieur le juge! Je suis aussi monstrueuse et cruelle qu'un mâle! Perverse, même...Ignoble et, passez-moi l'expression, je suis une immonde salope! Mais je suis femme quand même. Je le revendique! Au nom de l'égalité entre les sexes! Y en a marre, excusez l'expression, d'être considérées, nous autre femelles humaines, comme des mineures, comme si nous n'étions pas des citoyennes à part entière! Des justiciables comme nos maris, nos pères, nos fils. Je suis femme, Monsieur le juge! Criminelle, certes, mais républicaine! Oui, j'ai beau être une dégueulasse, avoir un sens moral défaillant, j'ai un sens civique solide, moi, à toute épreuve! La loi est la même pour tous et vous êtes là pour le montrer! Pour le démontrer, pour le mettre en actes, en jugements, en arrêts! Or, voici que, parce que je suis femme, vous me condamnez moins lourdement que si j'étais un citoyen de sexe masculin!

Le juge n'en croyait pas ses oreilles. L'avocat s'arrachait les cheveux. Les jurés, abasourdis ouvraient des yeux de soucoupe. Le magistrat demanda:

- Mais où voulez-vous en venir?

- C'est simple, je vais faire appel. Je veux, j'exige d'être condamnée comme un homme. Au moins vingt ans! Peut-être plus, parce que je n'ai pas mégoté! Ce n'est pas mon genre. Je suis entière, moi, j'ai de l'honneur et quand je fais quelque chose, ce n'est pas à moitié! On m' éduquée en fille, j'ai appris à coudre et la couture, il faut être précise, habile. Ca ne s'improvie pas. Et je mets dans tous mes actes la même rigueur que dans la couture, c'est ça, une bonne éducation de fille: bien tenir le ménage, savoir coudre comme il faut, à petits points réguliers et solides. Et pour mon crime, c'est pareil: Je me suis acharnée calmement, méthodiquement, comme pour faire un jour sur un drap de métis bien lourd. En bonne petite ménagère. Mon crime est tout aussi soigné que mes travaux domestiques.Sauf que là, c'était dégueulasse et que je n'ai pas eu le temps de faire le ménage, de passer la wassingue, avec tout ce sang, c'eût été nécessaire... Mais bon, nulle n'est parfaite. Tout ça pour vous dire que... J'ose?

Le juge, ébarnouflé, estrapafourbi, hocha la tête

- Pour vous dire que... Vous étes machiste, Monsieur le juge, avec tout le respect que je vous dois et que je dois aux institutions de la république... je suis bien obligée de le constater! Et c'est contraire à la loi! Excusez-moi, je ne suis pas en position de voous donner une leçon de droit! Pardonnez mon audace! Je ne veux pas vous insulter, commettre un outrage à magistrat, Monsieur le juge: je ne vous en veux pas et pardonne volontiers votre incroyable mépris pour les femmes: c'est comme ça, les hommes, ça vit en supérieur, condescendant... vous n'y pouvez rien. Mais je vais me défendre! Et, en appel, je pense que mon avocat obtiendra la peine que je mérite, car je suis un être humain, avant de faire partie de l'un des deux sexes. Vive l'égalité!.

Vous aimeriez savoir la suite? Moi aussi. Mais à quoi bon: ce serait lourd et fatigant! Ca suffit comme ça, non?

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