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orlando de rudder
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23 avril 2007

Aorasie , aorgerie, bicarbonate.

(Conte hennuyer).

-         Tu vois, c’est toujours pareil… Je rencontre un mec à la ducasse ou en boîte, ça accroche… Bon, tout va bien… Je lui donne mon numéro de téléphone, et puis…Et puis rien… Il ne rappelle jamais… J’enrage : Celui-ci, j’étais sûr que c’était le bon ! Un gars sans enfance malheureuse et sans ex qui le colle…

-   Ca existe encore ?

-         Même que sa  mère est morte il y a longtemps ! Personne pour nous faire chier ! En plus il est beau, pas fauché…

-         Ca existe encore ? répéta Alberte..

-         Mais voilà : c’est comme les autres ! Il n’appelle pas… Pourquoi ?

-         J’sé nin, mi

-         Dis, tu me regardes bizarrement, m’coumère ?

-         Euh…

-         Qu’est-ce qu’il y a ? Tu me caches quelque chose !

-         Eh bien…voilà…

-         Quoi ?

-         Tu as remarqué que moi, je ne te téléphone jamais chez toi ?

-         Tiens, c’est vrai :toujours au bureau… Je n’avais jamais fait le rapprochement… Pourquoi ?

-         Je n’ai jamais osé te le dire… Mais…

-         Mais quoi ? Tu m’inquiètes !

-         Ton numéro de téléphone…

-         Eh bien ?

-         Il pue.

-         Quoi ?

-         Il pue.

-         Tu rigoles ?

-         Non… Regarde.

Alberte sortit un stylo de son sac. Elle écrivit le numéro de téléphone de Josiane sur la nappe du restaurant. Immédiatement, une puanteur effroyable se répandit. Elles se levèrent et fuirent après avoir laissé des sous sur la table, en règlement des Palten. Une fois dans la rue, Josiane se sentit toute désemparée.

-         C’est affreux !

-         Oui, c’est pour ça que personne ne te rappelle. Il essaient… Tu vois le résultat ! Alors ils ouvrent la fenêtre et renoncent !

-         Que vais-je devenir ? Comment ça se fait : Je ne m’en suis jamais aperçue !

-         Tu ne te téléphones jamais !

-         C’est terrible ! Qu’est-ce que je vais faire ?

-         Il paraît que ça arrive parfois…J’avais lu un article dans La Voix du Nord... Tu devrais aller voir à l’agence France-Télécom… 

Le lendemain , à l’agence, on expliqua à Josiane que, oui, il y avait des numéros de téléphone comme cela, qu’on y pouvait rien… Ah non, pas question de changer, ce sont des numéros personnels, attachés définitivement à un seul abonné. Josiane sortit, en pleurs. Elle marcha dans Maubeuge. Elle se retrouva à la Gare. Elle n’en pouvait plus.

Elle avança dans la rue du Gazomètre (qu’on nomme « rue du Gabuzomètre » depuis une paire d’années).Désespérée, elle entra chez Thérèse. Elle s’assit, commanda un schnick. Thérèse lui apporta un bon Loos bien tassé, le vrai genièvre de l’ouvrier : elle avait remarqué que Josiane était triste.

De l’autre côté se trouvait assis un homme élégant. « Sans doute un voyageur » pensa Josiane… Sous-entendant qu’en elle-même, un type de Maubeuge ne peut pas être aussi bien vêtu . C’est comme ça : on s’amoindrit soi-même dans le Nord. Alors on décolle pas ! Y en a même qui battent leur femme, comme à Cousolre !  L’homme regarda cette pauvre Josiane accablée… Il sourit et demanda :

-         Vous aussi ?

-         Euh… moi ? .. Quoi, « moi aussi » ?

-         Votre numéro de téléphone ! 

-         Mon… nu… 

-         Il pue, c’est ça ?

-         Comment avez-vous deviné ? 

-         Ah ! Ma pauvre demoiselle ! Ca m’est arrivé !

-         Ah bon ? 

-         Je suis dans les affaires, alors, évidemment, j’ai vite fait faillite !  Mais j’ai trouvé la parade… Il faut dire que je suis imprimeur ! 

-         Ah ? 

-         Oui ! Et j’ai eu l’idée, sans doute inspiré par le Ciel en personne, d’imprimer mes cartes de visite, mes formulaires et factures sur bicarbonate de soude ! 

-         Non ? 

-         Si ! Vous savez que si, dans votre réfrigérateur, vous engrangez du melon, des harengs, du maroilles (ce qui n’est pas à conseiller), ça pue ! 

-         Terrible ! 

-         Eh bien, si vous placez un petit bol de bicarbonate, toutes les odeurs sont absorbées ! Et les produits déodorisants pour frigos sont à base de bicarbonate !

-         C’est vrai !

-         Alors, je m’en suis souvenu ! Et j’ai imprimé mes cartes de visite sur un beau bicarbonate de chez Solvay, il vient directement de Belgique ! Et voilà ! Depuis, croyez-moi ça n’a pas été long, j’ai remonté la pente, mon affaire a prospéré… Je me suis acheté une belle voiture rouge j’ai épousé une fille de famille blonde un  peu nunuche et joufflue du poitrail…Et puis j’ai changé de maison ! Je me suis fait bâtir une merveille, une villa superbe…

-         Non ? 

-         Une vraie maison de riche, pas isolée, avec un chauffage très cher et une énorme déperdition d’énergie, un vrai gaspillage ! Voilà qui est vraiment  si voluptueux pour un ancien pauvre ! Un vrai palais anti-écolo et je jouis d’être riche en voyant les ce somptueux gâchis !

-         Formidable ! 

-         Ce con d’architecte avait posé des panneaux  solaires ! On les a inversés, pour qu’ils produisent du froid dès qu’il gèle et pour étouffer quand il fait chaud ! Alors, après avoir attisé le feu dans la cheminée, il faut  pousser la climatisation à fond ! Elle fonctionne au charbon, Nord oblige ! Je suis tellement riche que j’ai ait rouvrir une mine à mon usage personnel ! Je ne fais aucune économie, bien au contraire… Sauf sur le salaires des mineurs, évidemment !

-         Nord oblige !

-         Mais avec cette spoliation, je finance des ONG…Du coup, je suis bien placé pour le prochain prix Nobel de la Paix ! 

-         Vous êtes un as ! 

-         En effet ! Ah ! cette climatisation ! Vous imaginez tout le fric que je fous en l’air pour rien, avec la canicule ? Quelle volupté, la vraie richesse !

-         Bravo ! Vous êtes un poète !

-         Le soir, avec ma femme (elle n’est pas très maline, mais elle en a gros sur le cœur), on regarde les compteurs tourner à toute vitesse ! On jouit de voir tout ce fric perdu qui ne servira à personne ! Bientôt, je vais faire construire ma propre centrale nucléaire privée ! 

-         Génial ! 

-         Ah ! Le pognon ! C’est délicieux ! J’ai plein de liards, à ne savoir qu’en faire !  Le bonheur ! Le luxe ! Tout ça grâce au bicarbonate de soude ! Merci Solvay ! Je vis heureux, dans une aorgerie parfaite ! 

-         Une quoi ? 

-         Une aogerie, voyons ! L’équanimité, l’allégresse sereine, la tranquillité de l’âme repue de sa tendre autosatisfaction harmonieuse… 

« Voilà un vrai beau mot de riche  ! pensa t-elle.. ; va falloir que je m’en souvienne… Et je trouverai peut-être l’âme sœur qui sera beau comme Crésus… Sauf qu’avec mon numéro de téléphone »… Ele regarda l’homme et déclara : 

-         Mais… C’est un conte de fée ! 

-         Seulement voilà… Il a fallu changer mes cartes de visite, même si  j’ai conservé le mon numéro de téléphone, car ce sont des numéros… 

-         Personnels, attachés définitivement à un seul usager… 

-         Mais ça me fendait le cœur de jeter mes vieilles cartes… Elles m’avaient sauvé ! Les voici inutiles ! Je ne pouvais pas les laisser ainsi, les détruire, les mettre à la poubelle !

-         C’est vrai… c’eût été cruel…Qu’avez-vous fait ?

-         Un geste sacré ! Une sorte de communion avec mes salvatrices !  Je les mange petit à petit !

-         Ah ? 

-         Et, du coup, j’ai d très belles dents blanches ! Regardez !

Josiane fouilla dans son sac à main, en tira ses lunettes… de soleil.

-         En effet ! Je suis éblouie !

L’homme paya les consommations, s’en alla. Josiane demanda à Thérèse si c’était un habitué.

-         Quel homme ?

-         Celui qui était assis là !

-         Attends m’gamine  Je n’ai vu personne…

-         Mais…

-         Personne, ma pauvre petite ! Toi, tu as besoin d’un remontant ! Un chagrin d’amour ? Ah, c’est toudis l’même ! On pleure et puis ça passe ! Alors, qu’est-ce que tu bois ?

Bon sang… Cet homme…

Après l’aorgerie, voici l’aorasie : Un Ange ! Un ange ou… pire ? Pire ? Tout de même pas Dieu ? Dieu ? Lui-même ? (car Josiane n’était tout de même pas assez prétentieuse pour voir le diable : Les descendants des farouches Nerviens sont souvent rudes, fort en gueule, mais demeurent humbles ) ! ell s’ébrua et lança :

-         Thérèse, un Loos, s’il te plaît ! !

-         Tout de suite, ma poule !

Aorasie ! aorgerie ! Quand on vit dictionnaire, la richesse n’est pas loin ! Josiane ne fut donc plus jamais solitaire ! Elle se fit faire des cartes de visite sur bicarbonate de soude suisse, du vrai pur Gifrer. C’est encore plus chic et pas vraiment plus cher que le belge de chez Solvay. Elle dragua comme une grosse pourchotte.

Côté travail, tout changea ! Elle fut augmentée, devint sous-aide-chef-du-suppléant-du subalterne-en-second-par-intérim-de-troisième-classe. Avec le salaire correspondant plus les primes connexes, adventices et même afférentes et le vingt-septième mois!

Puis elle épousa le patron, changea d’adresse et de cartes de visite. Elle eût alors les dents encore plus blanches, ce qui accrut sa séduction à la fois hautaine et foutrement du genre grâce animale languide. De plus, elle se remit enfin  à manger du cervelas rouge, du bon !  Du bien aillé !  Au vrai cheval perdant de La Capelle !  Et du maroilles sans craindre pour son haleine ! Le bonheur ! NaHCO3 for ever !

De plus, elle fut débarrassée de ses tourments gastro-intestinaux, si gênants, parfois, au lit… Aussi eut-elle plein d’amants. De plus en plus jeunes au fil des ans ! Elle se tapa tout  même le mari d’Alberte, sa meilleure copine, par respect des convenances. Car cet albosiau décati n’était pas du tout son genre. Quand on est devenue une vraie bourgeoise, il faut assumer, pas vrai ?

Pour rien au monde, Josiane ne changerait de numéro de téléphone !

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