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orlando de rudder
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26 décembre 2005

Ail

Je viens de découvrir le blog épatant de Ségolène Lefevre: Boire et manger, quelle histoire! (segolenelefevre-ampelogos.hautetfort.com) ! Historienne de l'alimentation, elle nous offre de merveilleux aperçus à propos du passé de nos aliments, avec uen jolie verve... Du coup, je vous remets ici un extrait de mon prochain livre, car elle célèbre, elle aussi l'ail! ail Ail vient du latin allium. On le trouve en français, au XIIe s., au sens figuré : « Ne li valurent puis deus alz. » (Benoît de Sainte-Maure, le Roman de Troie) – ail signifiant ici « quelque chose de peu de valeur ». Le pluriel aulx pose problème : « On est souvent embarrassé dans l’emploi de ce mot au nombre pluriel. Doit-on dire : Craignez-vous les ails, ou craignez-vous les aulx ? Ce substantif et presque tous ceux qui finissent en ail, en al et en eau, changent au pluriel cette terminaison en aux, et le mot dont il s’agit ne souffre pas d’exception ; mais il vaut mieux l’employer au singulier. On a mis de l’ail dans cette salade. » (E. Mollard, Le Mauvais langage corrigé, 1810.) On préfère dire : « de l’ail » ; autrement, on précise : « une ou plusieurs têtes ou gousses d’ail ». Le pluriel, de ce fait, sera plaisamment utilisé par quelqu’un qui n’apprécie guère la cuisine provençale : Que d’aulx, que d’aulx ! (Roland Gouvernail, Éponine, 1922.) En langage populaire, à l’ail signifiait « savoureux mais un peu vulgaire ». Cette locution, en argot, désignait ce qui brille. On ne l’emploie plus guère. Elle faisait partie du langage militaire : Un mors astiqué à l’ail. (L. Rigaud, Dictionnaire d’argot moderne, suppl. 1888.) On disait aussi sentir l’ail pour parler de ce qui reluit intensément : Le comble de la patience, c’est d’astiquer une lame de sabre jusqu’à temps qu’elle sente l’ail. (Charles Virmaître, Dictionnaire d’argot fin-de-siècle, suppl. 1899.) L’odeur de l’ail ne plaît pourtant guère et permet quelque ostracisme social : Qu’est-ce qu’une bergère ? un gros morceau de chair qui a le visage roux, les mains rouges, les cheveux gras, qui sent le beurre et l’ail. (Jules Janin, L’Âne mort et la femme guillotinée, 1829.) Les Romains raffolaient de l’ail. Pourtant, au premier siècle, Horace s’était indigné contre ce goût qu’il jugeait désastreux. Ce satiriste, peu délicat, pensait que l’ail était toxique, plus même que la ciguë. Sans doute, le sens de l’observation, qui lui a permis de tracer de vifs petits tableaux, lui faisait parfois défaut : si l’ail était aussi toxique, la plupart de ses contemporains seraient morts ! Mécène, néanmoins, protégeait Horace. Ce qui n’empêcha pas ce dernier de lui écrire (Épones, III) : Ô Mécène si jamais On voit servir sur la table Un aussi funeste mets Que ta maîtresse intraitable Toujours prompte à refuser Quand tu voudras un baiser Mette la main sur ta bouche Et puisse-t-elle le soir, Trompant encore ton espoir, Garder le bord de la couche. Cette odeur de l’ail parfumant l’haleine est, pour certains, insupportable. De là à l’interdire, le shérif d’un village des États-Unis n’hésita pas à « dégainer » la loi suivante : Les coiffeurs de Waterlo (Nebraska) doivent s’abstenir de manger crus ail, oignon, et échalote, de 7 heures du matin à 7 heures du soir, les jours où ils ouvrent leur salon. (voir : http//www.opuscitatum.com.) Pauvres barbiers, pourtant parfumeurs de leur état ! Mais l’ail sait se faire discret : Colette, dans Récriminations, nous rappelle qu’il peut, tel un conspirateur, se faire oublier, agir dans l’ombre, et secrètement : Laquelle d’entre vous se doute, lectrices, en savourant l’authentique « lièvre à la royale », fondant, chaud à la bouche, que soixante – vous lisez bien soixante – gousses d’ail ont coopéré à sa perfection ? Un lièvre à la royale réussi n’a pas goût d’ail. Sacrifiées à une gloire collective, réduites à une consomption sans seconde, les soixante gousses d’ail, méconnaissables, sont pourtant présentes, indiscernables, cariatides qui soutiennent une flore légère et grimpante d’épices potagères… L’ail est fortifiant, tonique – on le dit même aphrodisiaque –, et l’on sait qu’Henri IV, fameux amateur de poule au pot, en faisait grand cas. Cependant, malgré son effet revigorant et propice aux étreintes, son parfum gêne la disponibilité érotique, semble-t-il… Mais connaît-on la signification de marché à l’ail ? En argot, une « gousse » est une femme qui se rend au « marché à l’ail », ou qui prise la cuisine à l’ail, c’est-à-dire qui apprécie les relations amoureuses avec une autre femme. En tous les cas, quelle qu’en soit l’acception, la dégustation d’une bonne soupe à l’ail est de rigueur. Ce régal était particulièrement apprécié de Claude Monet, qui la lampait voluptueusement entre deux Nymphéas : une sorte de magie a lieu durant l’oarystis velouté de la crème et de l’ail, indicible, serein, courtois…
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