17 décembre 2005
Suzanne Rodillon
J’allais souvent me réfugier chez les amis: Suzanne Rodillon m’accueillit souvent. Elle fumait le cigare, se vêtait de vastes boubous aux tissus peints par elle-même. Grande, imposante, belle, portant une flopée de bijoux exotiques, elle marchait comme vogue une galère royale. Parfois, elle m’expliquait “le grand danger de peindre qui vous peuple le coeur, vous obsède l’esprit”. Elle fut longtemps la compagne de Massimo Campigli. Ce Florentin, à la fois influencé par les portraits du Fayoum, , le futurisme, le cubisme, que sais-je encore? brossait des oeuvres figuratives aux couleurs de terre, des toiles parfois sombres, avaleuses de lumière…
Voici ce que le Bénézit dit de Suzanne:
Rodillon Suzanne. Née en 1916. Morte en 1988. XXe siècle. Française.
Peintre expressionniste-abstrait.
Elle était une femme de grande taille et d’un beau port, d’une beauté d’abord intimidante. Elle ne vivait que dans la compagnie d’artistes, poètes ou peintres et sculpteurs: Paulhan Prévert, Alain Jouffroy ou Jorn, Maryan Magnelli, Lipschitz et surtout Campigli. Elle élabora ses références à partir des cultures africaines et océaniennes. Elle participa à des expositions collectives à partir de 1958, au Japon, en Angleterre, en France, en Italie, souvent aux côtés de Corneille, Lam, Matta, Ernst. Elle fit sa première exposition personnelle en 1956. Pour des raisons personnelles, elle cessa définitivement de peindre en 1966-67. Ses amitiés correspondaient à ses affinités. On peut trouver, dans la diversité de ses peintures des parentés avec celles de Lam, Matta, Corneille. Le monde de Picasso expressionniste ne lui était pas inconnu. Sa famille en art aurait pu être celle de Cobra. De même que les créateurs de Cobra à ses débuts elle n’établissait pas de frontière tranchée entre figuration et abstraction et en tout cas privilégiait l’expression..
Suzanne se révolta contre l'aspect profond, mais obscur de la peinture de son mari. Elle assuma son déluge de couleurs vives. Elle affirmait peindre comme elle cuisinait: en couleurs. De fait, ses toiles montraient des teintes de menu provençal, d’aubergines, de poivrons, le tout secoué d’une énergie crue,.
Elle insista pour que j’essaie, avec des pinceaux en cheveux, d’apprendre sous sa houlette la calligraphie chinoise. Je pense que le résultat sut promptement la décourager. Alors, elle me donna un fusain, du papier, et j’ai, de temps en temps, tâché de dessiner le paysage merveilleux qu’on voyait par la baie vitrée…
Elle fabriquait aussi des bijoux, en maillechort, en argent.; Munie de pinces, d’outils divers, elle montrait une habileté impressionnante. Elle soudait des boules métalliques à des torsades de fil, arrangeait le tout pour vendre ses oeuvres dans sa boutique de la rue Allard.
Je la regardais, tandis qu’elle parlait, m’écoutait, me répondait, comme si les mains précises qui oeuvraient ne lui appartenaient pas. Elle souriait, et ses doigts, comme des machines, inventaient les assemblages, les formes. Elle s’arrêtait parfois, pour contempler le résultat, Puis reprenait la conversation, après avoir rallumé son cigare… c’est ainsi qu’elle me parla de Van Gogh.
La violence de ce peintre s’accordait pour moi, à la lumière de la presqu’île tropézienne. Le calme du matin, la nostalgie du paysage, m’évoquant les Tristes d’Ovide devenait presque brutale sur les toiles de Vincent. Il s’agissait d’une brutalité immobile, celle du contemplatif, celle de l’intensité, celle qui essouffle les nerfs. Les gens qui se passionnent devenaient mes modèles, ceux qui , se forcènent, accomplissent, dussent ils en mourir… l’artiste, le philosophe, le poète, le Saint… Celui qui arrache sa vision intérieure de son coeur, de son esprit, pour la projeter violemment dans le réel des autres,. Le tracas de Van Gogh n’est pas loin de celui de Jacob…
Depuis toujours, j'avais bien vu à l'église Saint-Sulpice, qu'en avant plan, sur la toile marouflée d'Eugène Delacroix, cette merveille montrant Jacob combattant l'Ange, se trouve un chapeau. C'est le chapeau de Van Gogh... Du moins, il lui ressemble... Prémonitoire couvre-chef et relai de mémoire!
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