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orlando de rudder
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31 octobre 2005

Une nouvelle de François Bonneau

Voici une nouvelle de François Bonneau, qui vit à Poitiers et n'est pas plus fier pour autant! Salade ou Mastic Une ruelle pour deux ahuris. Le premier vient de se surprendre. Il exhibe son impressionnant trophée canabique. Le second s’étonne aussi : Plus je le regarde et plus je décomplexe. Quel caïd en paille. Il lance et rattrape, prends son bloc pour un osselet, démontrant sa dextérité, exhibant le poids du mastic. Se tient là (entre nous, sans trop payer de mine). (D’ailleurs, ’doit pas souvent payer grand chose.) Le premier jongle avec du brun. Un gros bout de brun dont il ne saura bientôt plus quoi faire. Il lance, puis, la plupart du temps, rattrape. Semble content de lui. Le second hoche la tête en feignant de l’écouter, un peu trop ostensiblement. Ils s’assoient sur l’asphalte désert, entament ce bloc-trophée en guise de travaux manuels. Après d’interminables palabres, un cône s’est matérialisé ; j’avais failli attendre. Un briquet s’est élevé à sa rencontre, est retombé aussitôt : Un regain de parlotte, comme une giboulée qui vous transit d’ennui. Une manière de s’impatienter divertissante : Il comptait machinalement sur ses dix doigts, impérieux comme une horloge. Jusqu’à l’embrasement du cône, Qu’il m’a enfin tendu. Lente inhalation : entrée en bouche tumultueuse, touche de caramel brûlé, odeur de gel douche « eucalyptus incandescent ». Au bout de quelques instants, Il sembla pénétré de réflexions mystiques. … Et comment font les essuies-mains pour se salir, alors qu’ils ne sont supposés essuyer que du propre ?.. *** Je passai ainsi un moment distrayant. Flagrants parce que trop cachés, ils fractionnèrent laborieusement leur bout de savon brunâtre, avant de se le partager. Ils repartirent, faussement détendus, au moment ou l’éclairage public venait de s’allumer. Ah, la magie du store ! Une fenêtre sur ruelle devient un réservoir d’anecdotes. Quelques passants réguliers deviennent parfois des connaissances un peu virtuelles. Leurs vies sont devinées un peu plus à chaque pas. Quant à ces deux-là… Le premier ne me dit rien. Je n’ai d’ailleurs aucune envie qu’il ne me dise quoi que ce soit. Le second ? Déjà croisé, peut-être ; sa manière de s’ennuyer doit me rappeler quelqu’un. *** Un couple de parents, comme une apparition : Je souhaite une bonne nuit, en bon fils de bonne famille, tandis que mes yeux rougis cherchent une échappatoire dans les motifs du papier peint. Puis, quasi immédiatement, je me replie vers mon cabanon. L’inventaire m’attend. Mastoc : Le bloc parait avoir grossi. Une belle ration : Me voilà pourvu pour la vie. Il me faut célébrer ce capital-fume inespéré : je m’apéritive. A la santé du couillon qui offre ! Merci pour cet exploit d’escamotage sur cibles belliqueuses. Merci de n’avoir pas oublié quelques uns de mes services rendus par le passé, merci pour ce partage de ton trophée, en preuve de ta gratitude sincère. Une gratitude en résine à effriter. Nous nous recroiserons. Peut-être pas dans l’immédiat. Et maintenant ? D’ordinaire, j’en ai, j’en use. Quand ça n’est plus possible, que la réserve est vide, j’arrête d’en user. Simple. Seulement, désormais, la possibilité d’un usage de grande envergure se présente : Il me faudra apprendre à me domestiquer. Garder ce lot de fumée-qui-détend pour des occasions privilégiées. Une Cigarette-divertissante m’aidera à clarifier ces résolutions, avant de sortir rejoindre La Meute. *** Clés, sac, chaussures : prête à partir, en route. Plus qu’un claquement de porte avant le baiser du vent frais. Pourquoi reste t-il dans ma tête, cet amateur de ruelles et de lourde fumée, qui s’accompagnait, cet après-midi, d’un fanfaron notoire? Accompagné bien malgré lui, accordons-lui éventuellement cela. Quoique : cette amitié-ci me semble trop rentable pour être honnête. Si je le recroise, je lui demande d’être plus discret. Voire de se débarrasser d’un colis aussi encombrant. Une bonne raison de lui adresser la parole. D’en savoir un peu plus. De ne pas finir vieille fille ? *** Le fond de l’air effraie : nuit d’encre, j’aimerais voir ou je marche. Le quartier général se rapproche doucement. Parfois, l’impression furtive d’être suivi par des ombres survient : Difficile à vérifier, dans l’obscurité. Encore un anniversaire. Poisse : je prophétise une nuit à user la banquette. Fort heureusement, j’ai apporté des provisions. Quelques grammes de mastic, à répartir dans du tabac. Les cigarettes pétaradantes consommées avec trop d’assiduité finissent toujours par me faire penser à un escalator : pendant l’inhalation, c’est comme si je grimpais deux à deux les marches d’un escalier mécanique, comme un raccourcissement de l’instant un peu vertigineux. Sitôt la dernière marche franchie, sitôt le mégot écrasé, le sol immobile semble coller aux semelles. Un ralentissement comme une désillusion, prise de conscience de la fugacité de ces déplacements artificiels. Alors, dès demain, je m’impose la sobriété. Je serais intraitable avec moi-même. Mais ce soir n’est pas demain. Arrivée sur les lieux. Présence féminine devant l’entrée. Pourquoi pas. Je salue. Je me présente. Esther carême, de forme indéterminée, me répond la première. Bunny Brownie, Jupe trop courte pour collant trop opaque, prend sa suite : - Enchantée : Bunny, voyante extralucide. Je peux lire ton passé, deviner ton présent, saisir ton lendemain. Une petite consultation, entre nous, à la bonne franquette ? Gratuité pour la première visite, carte de fidélité à négocier ultérieurement. - Tu ne seras pas surchargée de travail pour deviner mon présent : nous sommes face à face. Bon, allons-y pour le passé. - Je dois me concentrer. je vois… je vois une ruelle, un comparse ; je vois de l’ennui. je vois un négoce, un commerce de proximité ? - On t’a mal renseigné sur ce dernier point. Pas de commerce. Pour le comparse et la ruelle, c’est effectivement un passé très récent. Quelques heures. Tu m’as l’air plutôt douée. Disons que tu n’es pas myope : ne t’étais-tu pas déguisée en rideau qui bouge, quelque part au premier étage d’un bâtiment gris beige ? - En store, à vrai dire. Me voilà découverte, c’est embarrassant. Il n’empêche, tu nierais la transaction ? - En toute bonne foi oui, je nie, jeune inquisitrice : Il s’agissait d’un don. Un héritage anthume, ou quelque chose comme ça. D’ailleurs, je ne croyais pas passionner quelqu’un avec ce genre de chose ; C’est original, l’indiscrétion comme loisirs. - Cela aurait été de l’indiscrétion si j’avais eu à fouiller. L’indélicatesse ne se gagne qu’avec efforts. Je n’ai eu qu’à me poster à ma fenêtre pour vous regarder …échanger : c’est plutôt toi qui t’es offert à ma vue. Ne me reproche rien. *** Elle tourna les talons et tout le reste de son être suivit, en une volte-face qui flairait la vexation. Je me décidai à entrer, rejoindre quelque connaissance pour exécuter mon plan initial : entamer frénétiquement la boulette de mastic. Et l’on verrait demain. Ayant déniché des comparses, j’offris quelques calumets de papier. Puis je me retirai dans un coin moins peuplé de la pièce. Me mit à réfléchir, mais sans plus penser rien. Je trouvais mille idées, incontestablement lumineuses, qui s’évanouissaient aussitôt dans les airs. Oubli. Alors je me remettais en condition, à l’aide d’une cigarette-songeuse, qui bien évidemment ne me ramenait pas l’idée perdue. Ainsi de suite. A mesure que je l’inhalais, le mastic fixait une vitre, quasiment tangible et pourtant imaginaire, entre moi et les autres. Etais-je en vitrine ? Etaient-ils mon aquarium ? Le son ne passait plus. Bientôt, je crus même voire mon triste reflet sur ce verre qui s’opacifiait. Il était temps de rentrer. *** Provision illimitée ? Une semaine intensive eût raison du mastic. J’en garde peu de souvenir. Lors d’une journée d’ennui, peut-être un mardi, je me surpris à vagabonder vers la ruelle sans trop savoir pourquoi. L’ouverture d’une fenêtre, au premier étage, me fournit l’explication. L’image de la fouineuse court vêtue me revint, à l’instant ou je croisai son regard. Bunny s’avérait plus jolie au balcon qu’en souvenir. - Viendrais-tu défiler ? - Je ne fais que passer. - Tu ne déranges pourtant pas. Et puis, tu semble moins voyant sans signaux de fumée. - Je me croyais plutôt discret, pourtant. Elle ricana et disparut de sa fenêtre. J’allais rejoindre mon errance lorsqu’elle apparut sur le trottoir. - L’effacement n’aboutit pas forcément à la discrétion. Les yeux rougis non plus. Et puis, tiens, j’en ai une autre : ce qui brûle ne fait pas nécessairement briller. - … - Herbe et résine, salade ou mastic : Des vitriers pas très clairs, des maraîcher qui en racontent. Des détaillants qui, si on les laisse faire, ne laisseront bientôt à la gent féminine qu’une armée de mollassons, incapables de poursuivre les jeunes filles qui les rembarrent un peu vite. Je déteste ses arguments tout de béton sournois, et son impartialité m’agace. Je la prends alors dans mes bras pour ne pas avoir tort. Mais j’ai peut-être d’autres raisons. (1457 mots) Copyright François Bonneau.
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