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orlando de rudder
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27 septembre 2005

la pêche Melba

Avant d’évoquer un dessert passionnant, il convient de parler de celle qui en fut l’inspiratrice. Car, comme on le verra, l’une explique l’autre. Helen Porter Armstong, née Mitchell (1861-1931) , fut une chanteuse exceptionnelle que l’on peut entendre sur des CD « remastérisés ». Soprano colorature, elle fit carrière sous le pseudonyme de Nellie Melba. Sa voix nous charme toujours par sa clarté exceptionnelle et sa sensualité sublimant les émotions avec un brio qui ne le cède qu’à une rare profondeur. On vibre en écoutant Melba. Mais peut-être moins que certains spectateurs de jadis! En effet, la légende veut que, durant une représentation d’Othello, en Amérique, la chanteuse interprétait Desdémone avec une telle chaleur qu’elle faisait pleurer maintes spectatrices, mais aussi des spectateurs lorsqu’Othello l’étranglait. Alors, pour « calmer le jeu », elle faisait un signe. Et l’on apportait un piano sur la scène. Nellie Melba, excellente pianiste, jouait et chantait alors Home sweet home. Le public reprenait en choeur et devenait moins triste. Alors, on pouvait poursuivre la représentation. La cantatrise se recouchait, et Othello pouvait enfin l’étrangler à son aise. En 1894, après une représentaiton de Lohengrin au Covent Garden, à Londres, Nellie Melba alla dîner au Savoy, où régnait le chef Auguste Escoffier. Ce dernier, en hommage à la grande musicienne se mit, comme il l’a écrit ensuite, à Tailler dans un bloc de glace un cygne et entre les deux ailes insérer une timbale en argent. Couvrir le fond de la timbale de glace à la vanille et sur ce lit de fine glace déposer des pêches à chair blanche et tendre, débarrassées de leur pelure puis pochées pendant quelques minutes dans un sirop à la vanille et refroidies. Une purée de framboises fraîches couvrira complètement les pêches, un léger voile en sucre filé jeté par-dessus complétera délicieusement cet entremets... On peut se passer du cygne ! Notons qu’il n’était pas question de crème Chantilly, délice qui s’exprime beaucoup mieux avec d’autres préparations. Et qu’éxécuté ainsi, ce dessert diffère sensiblement de quelques préparations minables servies sous son nom par un désastreux abus de langage. Ce dessert est puissant : l’acidité des framboises doit attaquer avec force, puis s’harmoniser avec la consistance plus tendre de la pêche qui doit rester ferme. La glace « exige » d’être fortement vanillée. Le tout pas trop sucré. Chaque élément doit garder son goût, tout doit se répondre dans une symphonie gustative. Il n’y a rien de mièvre dans ceci : c’est une préparation énergique, presque violente, émouvante, à l’image de son inspiratrice : Auguste Escoffier, fin psychologue, a réalisé ainsi une sorte de « portrait gastronomique » de cette chanteuse à la tendresse immense mais rêtive. Si ce dessert fut présenté dans un cygne de glace (son créateur ne se souciait pas seulement de « décoration » !), c’est à cause de cette vivacité : il faut qu’il soit à fort basse température, pour tempérer harmonieusement la saveur acide de la framboise. Et c’est pour équilibrer ce goût un peu sûr que les pêches sont cuites au sirop. N’oublions pas qu’à l’époque, les crèmes glacées étaient moins froides qu’aujourd’hui ! Une bonne « « pêche Melba » doit « secouer », presque brutaliser, dérouter les sens, faire frissonner avant de s’épanouir en douceur vigoureuse! Comme la splendide Nellie dans le rôle de Desdémone ! Texte tiré de Les carottes sont cuites, à paraître, éditions Larousse.
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